L'ACTU.
Alain Touraine, auteur de nombreux travaux sur les questions sociales, est mort vendredi 9 juin 2023, a annoncé sa fille, l'ex-ministre Marisol Touraine. L'intellectuel âgé de 97 ans était l'auteur de nombreux ouvrages et travaux sur les questions sociales. Spécialiste de l'action sociale, auteur de nombreux ouvrages tels La Sociologie de l’action ou du Nouveau Siècle politique, il avait posé un diagnostic éclairant sur l'évolution de la société industrielle et ses conséquences sociétales.
En septembre 2020, un nouveau rapport d'Oxfam avait dévoilé que 1 % des plus riches polluait davantage que la moitié de la planète. Selon ce rapport, les plus riches du monde (environ 63 millions de personnes) émettaient deux fois plus de gaz à effet de serre que la moitié des plus pauvres de la population et étaient responsables à eux seuls de « 15 % des émissions cumulées ».
Ce constat avait été anticipé bien des décennies plus tôt par Alain Touraine. Dès 1973, il alertait sur cette inégalité croissante. C'est sa réflexion que nous vous proposons de découvrir en tête d'article.
L'ARCHIVE.
Le 11 novembre 1973, le magazine « Horizons » de la 2e chaîne diffusait un reportage intitulé Des tonnes de tout ! Un titre explicite pour dresser un bilan sans appel : les ordures générées par la société de consommation étaient - déjà - de plus en plus envahissantes et déstabilisaient les pays les plus pauvres.
L'enquête menée en France et aux États-Unis dressait un panorama des modes de traitements de ces déchets. À la suite du passage concernant les Etats-Unis, et notamment l'apparition d'un mouvement de tri et de recyclage des déchets dans une frange de la population, le sociologue Alain Touraine dénonçait les incohérences de la société de consommation au détriment des plus démunis.
Il visait en premier lieu l'absurdité, à ses yeux, de ce tri rendu nécessaire par une hyper consommation stimulée par un marketing offensif. « Il ne s'agit pas simplement d'être bien gentil, d'être un bon citoyen, expliquait-il, on vous bourre votre boîte à lettres de papier, que vous n'avez pas demandé, et qui sont finalement des stimuli non souhaités que vous recevez ! Que vous soyez, en plus de ça, obligés d'aller transporter ces prospectus publicitaires à 20 kilomètres de votre domicile pour rendre service. Là, je trouve que, à la limite, on pourrait aboutir à l'absurde. »
Domination et gaspillage
À propos de la notion de gaspillage, essentielle, qui l'emportait alors sur la notion de déchet, il poursuivait : « toutes catégories dirigeantes dans l'histoire se caractérisent à la fois par son austérité, par sa capacité d'investir, et au niveau de la consommation, par son gaspillage. » Alain Touraine poursuivait sous forme d'autocritique : « Et ce qui caractérise notre société, c'est que nous, nous, Européens, nous, gens de pays riches (...) nous sommes devenus des dominants à l'échelle mondiale et donc nous gaspillons. Et non seulement nous gaspillons, mais nous salissons les autres ».
Pour illustrer son propos, le sociologue livrait une anecdote qu'il avait personnellement observée en Californie. « J'ai été frappé, une fois, sortant de la Californie américaine et entrant dans la Californie mexicaine, la Basse-Californie, de voir pendant plus de cent kilomètres au-delà de Tijuana (...) une côte qui est très belle, qui était entièrement abîmée par les détritus, par les ordures de la riche Californie américaine. ». Il décrivait le lamentable spectacle des décharges sur des centaines de kilomètres, complètement symptomatique de ce rapport de force entre domination et impuissance.
« Le rapport de la production et du détritus n'est qu'un signe physique du rapport social »
Le chercheur reliait cette abondance de détritus à une marque de domination, ajoutant : « il est évident que les centres urbains les plus riches évacuent leurs ordures, évacuent tous les détritus de la vie urbaine vers les catégories socialement les plus basses ». On pourrait presque dire, que le rapport de la production et du détritus n'est qu'un signe physique du rapport social ».
Alain Touraine concluait son analyse par un portrait glaçant du cynisme de nos sociétés développées, « cette espèce de différenciation entre le produit brillant et l'ordure, ce n'est que la forme par laquelle la société utilise des ressources, des forces de production et les transforme d'un côté en richesse et en domination sociale et de l'autre côté, en catégories subordonnées ou exploitées ».
Pour aller plus loin
L'ONG Oxfam a étudié la période 1990-2015, 25 ans pendant lesquelles les émissions mondiales de CO2, responsables du réchauffement d'une planète, qui a déjà gagné plus de +1 °C depuis l'ère pré-industrielle, ont augmenté de près de 60%.
Voir le reportage complet, en amont de l'interview d'Alain Touraine.
