L'ANNIVERSAIRE.
Raymond Aron est un philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste français né en 1905. Proche de Jean-Paul Sartre et Paul Nizan, il devient lors de la montée des totalitarismes un ardent défenseur du libéralisme, à contre-courant du milieu intellectuel pacifiste et de gauche qui dominait alors. Il dénoncera leur aveuglement et leur bienveillance à l'égard des régimes communistes dans un ouvrage resté célèbre, L'Opium des intellectuels. Il fut l'un des spécialistes reconnus de Karl Marx, Clausewitz, Kojève ou Sartre.
Il fut élu en 1963 à l'Académie des sciences morales et politiques et enseigna à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'École des hautes études en sciences sociales, puis devint titulaire de la chaire de « Sociologie de la civilisation moderne » au Collège de France en 1970.
On le qualifiait de pluridisciplinaire, tant ses centres d'intérêts étaient variés, allant de l'économie, la sociologie, la philosophie, les relations internationales ou la géopolitique. Dans ce dernier domaine, ses convictions libérales et atlantistes lui attirèrent de nombreuses critiques venant aussi bien de la gauche et de la droite. Également journaliste, Raymond Aron travailla pendant trois décennies pour le quotidien Le Figaro,, il écrira aussi pour L'Express les dernières années de sa vie.
L'ARCHIVE.
Raymond Aron apparaissait aussi comme un philosophe du pessimisme, convaincu que l'homme de son époque, notamment en France post 1968, traversait une grave crise de société. Ce pessimisme avait pris racine dans sa jeunesse, une époque où il avait assisté à la montée du nazisme en Allemagne. C'est ce qu'il racontait en décembre 1969 à Georges Suffert, dans l'émission « Un certain regard ».
Raymond Aron avait vécu en Allemagne deux ans entre 1931 et 1933, en pleine montée du nazisme. Il racontait ici avoir été profondément marqué par son séjour à Berlin alors qu'il se trouvait à la Maison académique française. « J'étais sorti de la formation intellectuelle française en bon idéaliste, en bon naïf, inconscient de la politique et de ses rudes nécessités. Et j'ai découvert la politique en voyant la montée de l'hitlérisme. Ce qui m'a donné, ce que d'aucuns appellent mon scepticisme, d'autres mon cynisme, d'autres mon réalisme », pour le philosophe, il ne s'agissait pas de pessimisme, mais de la prise de conscience de la noirceur humaine. « J'ai découvert que l'homme était capable d'atrocités », ajoutait-il.
Cette époque expliquait en bonne partie l'abandon de son idéalisme, son orientation philosophique, mais alimentait le socle de son étude de la sociologie. Il poursuivait : « Entre 1930 et 1933, j'ai renoncé à mes aspirations métaphysiques. J'ai renoncé à la méditation sur les sciences de la nature (...) et je me suis décidé à réfléchir sur les sciences sociales ou plus exactement sur la conscience que nous prenons de la réalité historique et les conditions dans lesquelles nous en prenons conscience. Au fond, j'ai commencé mon dialogue avec le marxisme à l'époque. »
Sciences sociales et libre expression
Il s'était alors aperçu qu'il était incapable d'expliquer ses convictions politiques, ce qui représentait selon lui une indignité intellectuelle. « C'est pour me rendre compte à moi-même de mes jugements politiques que j'ai voulu faire des sciences sociales », expliquait-il. L'intention politique se trouvait donc à l'origine de ses recherches scientifiques. Sa formation économique et sociologique lui permettrait plus tard de réagir aux événements en tant que sociologue et spécialiste, mais pas comme un intellectuel de gauche classique, ce qui lui fut souvent reproché. Il ajoutait que cela ne l'avait pas empêché de conserver, ce qu'il appelait, des valeurs typiques de gauche : « C'est-à-dire la liberté de l'esprit, la rationalité et, dans la mesure tolérée par les sociétés, l'idée égalitaire. Tout cela, je ne l'ai jamais abandonné. », concluait-il.
Après cette période berlinoise, il avait rejoint la Résistance à Londres, non par peur ou par héroïsme, simplement parce qu'il voulait être du côté de ceux qui continuaient la guerre. Il embarqua le 24 juin 1940 sur un navire britannique. Sur place, il s'engagea dans les Forces françaises libres. C'est à cette époque qu'il découvrit le journalisme en devenant le rédacteur de « La France Libre », une revue indépendante de la France libre créée par André Labarthe. Son ton était souvent critique vis-à-vis du général de Gaulle. Dans la Résistance comme dans sa pensée intellectuelle, il resterait fidèle à la liberté d'expression qu'il chérissait.