LE CONTEXTE.
La lecture a toujours été au centre des préoccupations des adultes et des parents en particulier, notamment en matière d'acquisitions de connaissances. Mais quelle relation entretenaient les enfants aux livres au début des années 1970 ? Lisaient-ils plus qu'aujourd'hui ? Aimaient-ils lire ? Que lisaient-ils ? Autant de questions que leur avait posés Patrice Laffont, le 29 juin 1972, au collège de La Varenne, pour l'émission « Aujourd'hui madame ». Et comme on le constate, lire n'était pas une évidence. Mais pour ceux qui se lançaient dans la lecture, l'aventure était au rendez-vous.
L'ARCHIVE.
- Est-ce qu'il t'arrive de lire des vrais livres ?
- Non !
- Pourquoi ?
- Parce que ça ne me plaît pas et je ne les finis jamais, alors ça ne sert à rien !
Ainsi commence ce reportage. Le journaliste va vite découvrir que les enfants ont déjà des idées bien arrêtées sur la lecture et qu'ils adorent se plonger dans les bulles des « Illustrés », comme on les appelait à l'époque : Pif, Babar, Mickey pour celui-ci, Bob Morane, Astérix, Tintin ou Lucky Luke pour celui-là.
De l'aventure avant toute chose
Lorsqu'un enfant choisit un livre, il est d'abord question d'évasion. Ce sont souvent des ouvrages d'aventure, comme cette fillette qui avait acheté « tous les Frison-Roche », un alpiniste ! Sans surprise, la comtesse de Ségur avait toujours la cote, Alphonse Daudet ou Jack London étaient aussi plébiscités par les lecteurs en herbe. Ceux qui avaient accès à une bibliothèque familiale avaient des choix très éclectiques : beaucoup de livres d'aventure, d'animaux, d'imaginaire.
Les adaptations cinématographiques de romans donnaient souvent envie aux enfants de découvrir l'œuvre originale, telle cette fillette fan de « films de cape et d'épée » qui s'était lancée dans la lecture du Capitaine Fracasse de Théophile Gauthier, elle ajoutait : « Les films, ils trichent un peu, tandis que dans les livres tout est expliqué... ».
Le goût du mystère poussait certains vers Jules Verne. Enyd Blyton, auteure du Club des cinq, était très en vogue chez les collégiens qui s'identifiaient facilement aux héros de leur âge.
« J'ai trouvé ça barbant… »
Du côté des professeurs, il était question de transmission intelligente : « J'avoue que si un livre ne me plaît pas, je l'abandonne très vite et j'ai conseillé à mes élèves de ne pas poursuivre une lecture qui leur parait ennuyeuse. Je crois qu'il faut éviter tout ce qui peut les rebuter. », déclarait-il.
Les enfants de 1972 lisaient principalement pendant les vacances ou le soir. À l'époque, comme aujourd'hui, les parents leur mettaient la pression, estimant qu'ils « ne [lisaient] pas assez ou mal ». Si aujourd'hui, les livres jeunesse disposent d'un large catalogue et rencontre un large succès, au début des années 70, l'offre de littérature enfantine était quasi inexistante. C'est ce que regrettait d'ailleurs cet autre professeur : « C'est une grosse carence. La littérature enfantine, ce sont souvent des livres d'adultes coupés, censurés et je trouve ça très mauvais. » Il prenait l'exemple de Moby Dick, un très grand livre qu'on avait fait passer pour un livre pour enfants.
À l'école, les séances hebdomadaires de lectures expliquées permettaient aux professeurs de proposer de nouvelles pistes de lectures « plus attrayantes » aux élèves. En l'occurrence, cette fois-là, il s'agissait de la trilogie de Pagnol. Mais les élèves ne semblaient pas tous sensibles à la prose de l'écrivain marseillais : « J'ai trouvé ça barbant… L'histoire ne m'a pas plu, c'est enfantin ! », déplorait l'une d'eux. Le château de ma mère, dont le narrateur est un enfant de leur âge, les séduisait davantage.
Mais quelle est la recette du succès selon ces critiques juniors ? Du suspens, avec des personnages de leur âge car « les grandes personnes ne m'intéressent pas… on ne comprend pas toujours ce qu'ils font ».
Au terme du reportage, filles et garçons étaient d'accord pour dire que lire les instruisait. Et cette fillette de conclure : « On n'est jamais assez instruits ! ».
Pour aller plus loin
La littérature jeunesse de Bécassine à Hunger Game. (Article)
Le livre de poche et le mépris. Un étudiant en médecine affirme la nécessité d'une aristocratie des lecteurs, déplorant que le Livre de Poche offre "un droit de mépris". (1964)
Quand le fantastique booste la littérature. (Article)
Le château de ma mère joué par des enfants en 1978. (Article)