Les témoignages de tirailleurs sénégalais qui ont combattu pour la France

L'ACTU.

Co-produit par Omar Sy, le film Tirailleurs revient sur un épisode marquant de la Première Guerre mondiale : la participation des tirailleurs sénégalais aux grandes batailles. Il raconte l’histoire d’un père et de son fils sénégalais enrôlés de force par l’armée française pour combattre dans les tranchées.

Ceux que l’on a appelé les tirailleurs sénégalais n’étaient pas nécessairement Sénégalais. Ils furent recrutés dans toute l'Afrique occidentale et centrale conquise par les Français. Cette appellation leur a été donnée parce que le premier régiment de tirailleurs avait été créé au Sénégal en 1857 sous Napoléon III. Durant la Première Guerre mondiale, ils furent environ 135 000 tirailleurs à se battre sous le drapeau français en Europe. 15 % d'entre eux, soit 30 000 soldats, ne rentrèrent jamais chez eux et ils furent nombreux à revenir blessés ou à rester invalides.

LES ARCHIVES.

Nous avons retrouvé des témoignages de ces anciens combattants, souvent oubliés de la Nation, qui donnèrent pourtant leur vie à la France. L’archive en tête de cet article est le témoignage radio de l’un de ces vétérans enregistré en 1957 pour le magazine radio « Documents » et intitulé « Le centenaire des tirailleurs sénégalais ».

Cet ancien combattant avait été affecté au premier régiment d’infanterie coloniale, avait combattu au Vardar (Salonique), puis avait été désigné pour aller au front en avril 1918. Il était monté en Champagne, près de Reims, pour remplacer des régiments français laminés par les Allemands et « qui avaient subi d’énormes pertes ». L'ancien combattant évoquait la désolation sur place. « Nous avons trouvé des tranchées qui étaient pleines de cadavres », se souvenait-il. Il évoquait, précisait le général François Ingold (1894-1980), mobilisé en août 1914, de l’offensive du Chemin des dames. Le soldat rappelait que son bataillon avait immédiatement contre-attaqué, alors que les Allemands, moins méfiants, pensaient avoir remporté une victoire. « C’est à ce moment-là, le 9 juin 1918, que j’ai été blessé, par une balle, un éclat d’obus à la tête qui a motivé par la suite ma trépanation », disait-il.

Blessé à la tête, ne pouvant plus porter de masque à gaz, le tirailleur avait poursuivi le combat alors que l’ennemi bombardait les tranchées avec des « obus à gaz ». Il se remémorait avec émotion le soutien de ses frères d'armes hexagonaux, « j’ai vu des camarades français, blessés, qui me passaient leur masque, mais à chaque fois, je le retirais et je le jetais, car je ne pouvais pas le supporter, à cause du mal que j’avais à la tête. » Le vétéran ajoutait qu’après avoir repris ses esprits, il avait vu son caporal mort à côté de lui, une scène gravée à jamais dans sa mémoire.

La contre-attaque allait être « glorieuse pour la France ». Grâce à leur courage, les tirailleurs sénégalais parvinrent à contenir les Allemands. Un tournant de la guerre. « Notre marche en avant est partie de là. Et c’est à partir de ce moment que notre grande offensive a été déclenchée. », précisait-il. Cette bravoure serait récompensée puisque son régiment, le 43e d’infanterie coloniale, recevrait pour ce fait d’armes une décoration prestigieuse, « la fourragère rouge ».

Toujours en première ligne

Dans cette même émission, le caporal Tarawala, originaire de Haute-Volta, évoquait sa participation aux combats de Verdun, où il fut blessé le 10 novembre 1918. Dans l'archive ci-dessous, il relatait les actes de bravoure qu’il réalisa, expliquant qu’ils pouvaient être bombardés avec ses camarades « 24 heures d’affilée », mais que lorsqu’ils « montaient à l’assaut », les tirailleurs sénégalais étaient toujours « en première ligne ». Il ajoutait que « les tirailleurs sénégalais tenaient toujours leur position », avec peu de matériel et des fusils de mauvaise qualité.

Dans ses souvenirs, Verdun n’était qu’une vaste bataille. Comme caporal, il avait également participé à la chute des Dardanelles, (une opération franco-britannique menée entre février 1915 et février 1916 dans le détroit des Dardanelles pour forcer la Turquie à la paix. Les Français perdront 27 000 dans les combats).

Dans cette archive, nous retrouvons à nouveau Monsieur Nime. Il évoquait cette fois sa participation en 1916 à la bataille de Vardar (Salonique) dans le premier régiment d’infanterie coloniale. Il se rappelait que les ordres étaient « d’aller à l’attaque », qu'ils n'avaient pas le choix et qu’une grande partie des hommes avaient été « décimés ». Le général François Ingold confirmait que cette bataille avait été l’un des épisodes « les plus difficiles de la campagne d’Orient », « avec des attaques pénibles et sans grand résultat ».

Vétérans de la Seconde Guerre mondiale

Les tirailleurs sénégalais ont continué à se battre pour la France, notamment lors du débarquement de Provence. Bien des années plus tard, le 11 novembre 1993, la France rendait enfin hommage aux soldats d'Afrique. Ils étaient 650 000 en 1914-18 et 350 000 en 1939-45. 175 000 Africains ont directement contribué à libérer la France. Dans l'archive ci-dessous, le 19/20 de FR3 avait rencontré à cette occasion au Mali le lieutenant Tiecoura Doumbia, ancien tirailleur sénégalais, qui évoquait ses souvenirs de la Deuxième Guerre mondiale. Il décrivait le Monument aux héros de l'Armée noire, statue érigée à Bamako en l'honneur de ces combattants africains.

Sur France Inter le même 11 novembre 1993, Frédéric Carbonne interviewait Diallo Hassan, un ancien tirailleur sénégalais du Niger qui avait, lui aussi, combattu. Il regrettait que la France les ait oubliés par la suite, ne leur versant aucune pension : « les tirailleurs n'étaient pas des mercenaires. Ils étaient venus de la brousse, ils se sont initiés au combat par le feu, au combat par les tranchées, en masse. Nous nous sommes battus pour la France et la plupart du temps on a l'impression qu'on nous laisse à nous-mêmes ». Ces pensions auraient représenté à ses yeux une reconnaissance, même tardive.

Une absence de reconnaissance toujours dénoncée par les anciens combattants sénégalais en 2002. Ils réclamaient la révision de leur statut. Une requête appuyée en novembre 2001 par le Conseil d’État français qui demandait officiellement au gouvernement de reconnaître les mêmes droits aux tirailleurs qu'aux combattants de l'hexagone.

Alors que sort le film Tirailleurs, le gouvernement a accordé une mesure aux derniers vétérans encore vivants. L’État français les autorise à garder le minimum vieillesse (950 euros/mois), même s'ils décident de rentrer définitivement dans leur pays. Cette mesure concerne une vingtaine d'hommes de plus de 90 ans.