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1977 : la journée marathon de Philippe Bouvard, un boulimique de travail

1977 : la journée marathon de Philippe Bouvard, un boulimique de travail

À 94 ans, Philippe Bouvard a annoncé le 23 juin 2024 qu'il prendrait sa retraite en janvier 2025. Le journaliste assurait toujours une chronique hebdomadaire sur RTL. L'autodidacte, bourreau de travail, a longtemps été un pilier des médias. Hyperactif, il cumulait alors les casquettes de journaliste, écrivain, humoriste, animateur radio et présentateur télé. En 1977, il se dévoilait dans un autoportrait rarissime.

 

Par Florence Dartois - Publié le 04.12.2019 - Mis à jour le 24.06.2024
Philippe Bouvard : autoportrait - 1977 - 11:49 - vidéo
 

L'ACTU.

Philippe Bouvard, né le 6 décembre 1929, est un recordman de l'antenne. Le journaliste va prendre sa retraite à l'occasion de son soixantième anniversaire sur RTL. Il cessera son activité en janvier 2025. « Il y a une tentation, qui n'est pas une tentation de paresse, mais une tentation de record, c'est d'aller jusqu'au 1ᵉʳ janvier, ce sera déjà pas mal, et ensuite d'écouter les autres et de faire silence », a expliqué le créateur des « Grosses têtes ». En janvier, en effet, il établira un double record : « 60 ans de radio et 60 ans de RTL », comme il l'a justifié, au micro, ajoutant, « J'aimerais bien avoir celui-là, parce que, je ne vous le cache pas, j'ai beaucoup aimé la radio, et la radio me l'a bien rendu ».

L'ARCHIVE.

Boulimique de travail, infatigable trublion du Paf et curieux insatiable, Philippe Bouvard fut un ovni des médias. Journaliste autodidacte, il a démarré en 1965 à Radio Luxembourg, une station à laquelle il est resté fidèle. C'est sur cette antenne qu'il a créé « Les Grosses têtes » qu'il anima durant 37 ans, jusqu'en 2014, date à laquelle il avait dû passer la main à Laurent Ruquier. Depuis, il produisait « Les portraits de Philippe Bouvard », chaque dimanche à 6h40, une émission dans laquelle il revenait sur des moments ayant forgé sa carrière et sa réputation.

Sa force de travail exceptionnelle a toujours étonné, parfois agacé et c'est sans doute pour casser son image de touche à tout - parfois superficiel - que ce Titan acharné de travail avait accepté que la télé lui consacre un portrait. Le 30 avril 1977, pour l'émission « L'homme en question », Philippe Bouvard s'offrait en pâture, se livrant à un exercice périlleux, celui de dresser son autoportrait. Dans ce monologue caustique, sans faux-semblant, mais avec une bonne dose d'humour et d'autodérision, l'homme des médias entraînait le téléspectateur dans le tourbillon de son quotidien, entre plateau télé, scène de théâtre, maison d'édition et studio radio... Un vrai marathon !

Théâtre, lecture et écriture

Pour entamer cette incursion dans la folle journée de Philippe Bouvard, la caméra suivait le journaliste dans sa DS équipée en bureau, avec bar et télévision intégrée. Il y travaillait pour ne pas perdre de temps dans les embouteillages parisiens expliquait-il. Arrivé dans son bureau à France Soir, il déclarait : « contrairement à ce que des esprits chagrins écrivent : je ne suis pas le journaliste le mieux payé. Je suis seulement celui qui travaille le plus. »

Petit détour ensuite par son - autre - bureau, au théâtre Michel. On y jouait sa pièce : Au Plaisir Madame. Sans flagornerie, l'auteur précisait que c'était une pièce de divertissement, pour amuser le public, car Philippe Bouvard, l'auteur, savait se montrer cabotin. Plus tard, il faisait un détour chez ses éditeurs et plaisantait sur sa serviabilité : « si je suis un mauvais père, un mauvais mari, un mauvais fils, un mauvais journaliste, un mauvais citoyen, un mauvais confrère, je dois être un bon auteur… entendez par là que je livre ponctuellement et à domicile. »

À son domicile, l'autodidacte accueillait les caméras dans son immense bibliothèque, une fierté pour celui qui avait quitté l'école de bonne heure : « je ne possède aucun diplôme, alors pour compenser, je possède une bibliothèque avec beaucoup de livres. Je reçois une dizaine de bouquins tous les matins, mais ceux que je préfère, on ne me les envoie jamais… Cette bibliothèque est aussi un rêve d'enfant. » Pas si dupe que cela de sa bibliothèque ostentatoire, il présentait une autre particularité du lieu : une échelle qui lui permettait d'accéder aux rayonnages du haut, où il avait rangé un ouvrage de Massillon, qu'il présentait avec une pointe d'ironie amusée, « que tout bibliophile sérieux possède, mais ne lit jamais » !

Ses œuvres à lui représentaient «15 kilos et 11 livres », plaisantait-il. Mais, il ne se considérait pas comme un homme de Lettres pour autant, et ironisait à nouveau : « Même si j'arrive un jour à passer le cap des 50 livres publiés, je ne serai toujours pas écrivain, mais seulement un journaliste qui rédige parfois des articles de 300 pages. »

La caméra s'arrêtait un instant sur une table insolite, de poker, qui trônait au milieu de la pièce. Autre indice de sa particularité, de son âme de flambeur et dernier vestige de sa passion du jeu. Le journaliste confiait : « Sur cette table, j'ai longtemps perdu tout ce que j'avais gagné à mon bureau (...) et puis j'ai supprimé le poker comme le reste. » Il n'en dira pas plus.

Du repos (mais pas trop)

L'homme hyperactif prenait - parfois - du repos, pas bien longtemps, et souvent en Normandie où il possédait une maison de campagne avec un immense terrain à l'utilité bien particulière, expliquait-il : « La seule façon d'oublier qu'on sera un jour six pieds sous terre, c'est de faire pousser des légumes et du gazon (…) enclave bénie où les tracteurs remplacent les détracteurs », concluait-il avec cet humour caustique qui l'aura toujours caractérisé.

Un havre de paix qu'il partageait avec sa femme et son chien baptisé Miel. Un chien abandonné qu'il avait recueilli et sur lequel il confiait avec tendresse, et une pique au passage pour tous les profiteurs qui orbitaient inévitablement autour de lui et de sa notoriété : « C'est un ami. Un ami sûr et pas encombrant. Il ne m'avait jamais, jusqu'à aujourd'hui, demandé de parler de lui. »

Trois médias, trois facettes

Retour à Paris, à RTL, sa station de radio fétiche, où il exerçait alors depuis plus de 10 ans. Les ondes, son autre passion, lui permettait, confiait-il de « montrer mon âme sans montrer mon visage ». Ce boulimique de travail officiait aussi dans un hebdomadaire, à l'Express, la presse écrite lui permettant de prendre du recul, d'installer sa réflexion dans le temps long et de prendre du recul, un moyen aussi de : « ne pas aller au plus simple, au plus évident ou au plus facile. Il ajoutait que pendant 25 ans, il avait écrit, sans réfléchir, alors j'essaye maintenant, parfois, de réfléchir sans écrire ».

Le reportage se poursuivait dans les studios de télévision où il animait alors l'émission « L'Huile sur le feu ». De la télévision qui exacerbait son côté provocateur, il avait une opinion nuancée, soulignant que la télévision était à la fois son point fort et son point faible. Un point fort, car la télé possédait, selon lui, un impact immédiat et massif et un point faible, parce qu'il estimait ne pas être fait pour ce média et subir une sorte de distanciation de sa personnalité. Un peu comme si, à chaque fois qu'il entrait sur un plateau, le bon docteur Jekyll en lui se transformait en insupportable et agressif Mr. Hyde : « Dès que la petite lumière rouge s'allume, je me sens un autre. Je fais de la télévision comme je vais chez le dentiste parce que je peux respirer un grand coup, chaque fois que c'est fini. Parce que c'est chaque fois un combat que je livre, plus contre moi-même, que contre ceux, que professionnellement, je suis chargé d'agresser. J'ai eu longtemps le trac, je ne l'ai plus depuis que ma présence l'inflige aux autres…. Pendant 50 minutes, je vais être un autre et vivre dans un rêve. »

Philippe Bouvard était complexe et en était conscient, offrant une facette différente de lui à chaque « média-miroir ».

Autoportrait sans concession

L'émission s’achevait par son auto-interview, dans laquelle il posait les questions que chacun rêvait de lui poser. En voici quelques-unes qui lui donnèrent, ce jour-là, l'occasion de se présenter sans faux-semblants ni pirouettes déroutantes. Et ne répondre aux critiques acerbes qu'il suscitait immanquablement.

Philippe Bouvard, vous aimez-vous ? Tout le monde dit et répète que vous êtes méchant ! Vous vous attaquez volontiers à plus faible que vous ? Pourquoi exhibez-vous des signes extérieurs ? Aimez-vous l'argent ? Pourquoi écrivez-vous n'importe quoi ? Pourquoi travaillez-vous 14 heures par jour ? Êtes-vous vraiment un ambitieux ? Peut-on vous confier un secret ? Vous souciez-vous du qu'en dira-t-on ? Pourquoi appréciez-vous autant les plaisanteries de mauvais goût ?

Et cette question sur sa longévité, dont la réponse parait aujourd'hui, à l'heure de sa retraite, tout à fait prophétique : « Quel est votre rêve ? "Vivre aussi vieux et longtemps que mes victimes. J'y suis presque parvenu…" » Pari gagné. Après 60 ans à RTL, l'homme orchestre des médias qui vécut sans se ménager, a gagné son pari de longévité et rendu l'adage « le travail, c'est la santé » d'une véracité insolente.

L'intégralité de l'émission est disponible sur madelen.

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