"Les apiculteurs français sont inquiets : les abeilles ont modifié leur comportement depuis qu'elles butinent des tournesols pulvérisés par un puissant insecticide."
En cette année 1998, pour la première fois la télévision publique se fait l'écho d'une angoisse qui monte parmi les apiculteurs : une mortalité totalement anormale des cheptels d'abeilles. Avec son corollaire : une chute de la production de miel.
Les aléas climatiques expliquent en partie, certaines années, la baisse de production. Mais les apiculteurs observent un autre facteur : quand les ruches sont proches de champs de tournesols traités avec un nouvel insecticide récemment mis sur le marché, les colonies s'effondrent. L'insecticide en question : le gaucho, apparu en France en 1994 et qui attaque le système nerveux des insectes. C'est ce qu'explique dans ce reportage Maurice Mary, alors vice-président de l'Union des apiculteurs de France : "Dès le début de la floraison du tournesol, les bataillons de butineuses s'y précipitent, elles sont très attirées. Et c'est là qu'on a les pertes de butineuses et ensuite une perte de récolte." Une intuition qui sera confirmée par plusieurs études pointant la toxicité des néonicotinoïdes, dont celles de l'Inra ou de l'Anses. Le gaucho, de la classe des néonicotinoïdes, est un tueur d'abeilles. Elles perdent le sens de l'orientation et ne retrouvent plus le chemin de la ruche. Ce sera le début d'un long combat des apiculteurs pour l'interdiction de ce pesticide. Son usage en France sera interdit sur le tournesol en 1999, puis sur le maïs en 2004. En 2013, l'Union européenne l'interdit partiellement, sur certaines plantes et à certains moments de l'année. Mais d'autres néonicotinoïdes sont encore utilisés.
Et surtout, cette classe de pesticides reste massivement utilisée dans le reste du monde, comme l'illustre une étude parue jeudi dans la revue Science et rapportée par l'AFP. Des traces de ces pesticides toxiques pour les abeilles ont été détectées dans 75% du miel produit dans le monde entier. "Ces découvertes sont alarmantes", a estimé Chris Connolly, un expert en neurobiologie de l'université de Dundee, auteur d'un article accompagnant la publication de l'étude. "Les niveaux relevés sont suffisants pour affecter les fonctions cérébrales des abeilles et pourraient entraver leur habilité à trouver de la nourriture et à polliniser nos cultures et notre végétation", a-t-il mis en garde.
Les scientifiques ont concentré leurs analyses sur les cinq types de néonicotinoïdes les plus utilisés: acétamipride, clothianidine, imidaclopride (présent dans le fameux gaucho), thiaclopride et thiaméthoxame. "Au total, 75% de tous les échantillons de miel contenaient au moins un néonicotinoïde", selon cette étude pilotée à l'université suisse de Neuchâtel. "Sur ces échantillons contaminés, 45% en contenaient au moins deux et 10% quatre ou cinq". La fréquence de contamination la plus élevée a concerné les miels d'Amérique du Nord (89%), devant l'Asie (80%) et l'Europe (79%). L'Amérique du Sud a présenté la plus faible (57%). L'étude précise aussi que les miels collectés en Europe l'ont été avant la limitation de l'usage du gaucho en 2013.
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