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Comment le président et le Premier ministre se partagent le pouvoir en cas de cohabitation ?

Comment le président et le Premier ministre se partagent le pouvoir en cas de cohabitation ?

La décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives a remis la cohabitation et la nomination d’un nouveau Premier ministre à l’ordre du jour. Retour en archives sur les trois précédentes nominations d'un Premier ministre de cohabitation dans la Ve République.

Par Florence Dartois - Publié le 01.07.2024 - Mis à jour le 05.07.2024
Déclaration de Jacques Chirac - 1986 - 05:47 - vidéo
 

L’ACTU.

Depuis la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier législatif en 2000, le risque d’une cohabitation était devenu hypothétique. Il était envisagé à la suite d’une dissolution liée à une vacance de la présidence de la République (décès ou démission) ou à un empêchement (maladie) du chef de l’État. L’option de la dissolution volontaire n’avait pas été envisagée.

Quel que soit le résultat définitif des élections législatives, le 7 juillet, Emmanuel Macron devra choisir un nouveau Premier ministre et s’engager, comme François Mitterrand ou Jacques Chirac avant lui, dans une cohabitation. La Ve République a connu trois précédents : sous François Mitterrand, les nominations à Matignon de Jacques Chirac (1986-1988) et d’Édouard Balladur (1993-1995), puis lors du mandat de Jacques Chirac en 1997, la nomination de Lionel Jospin (1997-2002). Les archives éclairent la manière dont se partage le pouvoir en cas de cohabitation.

NOMINATION DU PREMIER MINISTRE : QUE DIT LA CONSTITUTION ?

Selon l'article 8 de la Constitution, la nomination du Premier ministre est un pouvoir propre du chef de l'État. Dans des conditions normales de gouvernance, avec une majorité, le choix se fait par décret présidentiel, sans accord du gouvernement. En cas de cohabitation, en l’absence de majorité présidentielle, le Président de la République « a vocation à nommer à la tête de ce gouvernement une personnalité qui puisse avoir l’appui de la majorité à l’Assemblée nationale » (art. 20, al. 3, 49 et 50 de la Constitution du 4 octobre 1958). La désignation du chef de gouvernement s’effectue logiquement dans la nouvelle majorité et doit intervenir « dans un délai raisonnable ».

Dans un contexte de cohabitation, on assiste à un déplacement du pouvoir de l’Élysée vers Matignon, ainsi l'article 20 de la Constitution précise : « Le Premier ministre dirige l'action du gouvernement, lequel détermine et conduit la politique de la Nation ». L'article 39 de la Constitution précise aussi que « l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ».

Des pouvoirs étendus inscrits dans la Constitution

L’archive disponible en tête d’article, relative à la nomination de Jacques Chirac par François Mitterrand en mars 1986, illustre bien la manière dont le nouveau Premier ministre s'était appuyé sur ces dispositions pour mettre en place son programme et asseoir son pouvoir exécutif.

Cinq ans après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, la droite remportait les élections législatives créant une situation inédite jusqu'alors : la cohabitation entre un chef de l'État d'un bord et une majorité parlementaire différente. Le 20 mars 1986, en direct de l'hôtel de Ville de Paris, Jacques Chirac (maire de Paris et président du RPR), prononçait son premier discours de Premier ministre.

Dans ses propos liminaires, Jacques Chirac soulignait qu'il s'agissait d'une nouvelle situation dans la Ve République, bien qu'elle ait été prévue par la Constitution. Il exposait la manière dont allait s'organiser le partage du pouvoir pendant cette parenthèse politique, employant les notions de « contrat » et de « méthode ».

Ainsi, déclarait-il : « La France doit être gouvernée. Elle doit l'être dans la clarté et l'efficacité. Tout d'abord, les règles de notre Constitution et la volonté du peuple français doivent être respectées. Les prérogatives et les compétences du président de la République, telles qu'elles sont définies par la Constitution sont intangibles ». Il rappelait les termes de l'article 20 de la Constitution évoqués plus haut. S'appuyant ensuite sur l'article 39 de la Constitution, le nouveau locataire de Matignon affirmait la légitimité de son gouvernement et se portait garant de sa future action.

À l'initiative des lois, le premier ministre exposait ensuite les différentes mesures qu'il comptait prendre en priorité pour assurer le redressement du pays et garantir le meilleur fonctionnement des institutions. Il annonçait le vote de deux lois d'habilitation qui seraient soumises au Parlement pour autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnances. La première devait concerner les mesures économiques et sociales (notamment les privatisations) ; la deuxième loi devait permettre au gouvernement de réaliser une réforme électorale (établissement du scrutin majoritaire pour l'élection à l'Assemblée nationale).

En conclusion de cette déclaration, le nouveau premier ministre appelait à « faire taire les divisions, se rassembler dans un esprit d'ouverture pour mener à bien le renouveau du pays ». Trois semaines plus tard, le 9 avril 1986, Jacques Chirac présentait sa déclaration de politique générale à l'Assemblée.

Réactions Assemblée nationale
1986 - 04:00 - vidéo

Avant le vote de la confiance, plusieurs députés étaient montés à la tribune déclarer leur défiance, notamment Jean-Marie Le Pen qui déclarait : « (...) Encore une fois, la confiance ça se ressent, ça ne s'écrit pas, on a ou on n'a pas confiance, monsieur le Premier ministre, je n'ai pas confiance. »

La Constitution décrit clairement les rôles de chacun. Le président de la République reste, par exemple, le seul habilité à signer les décrets et les ordonnances en Conseil des ministres et à s'opposer à une mesure. Mesure temporaire, car le Premier ministre peut ensuite transformer une ordonnance en projet de loi, puis le faire adopter par sa majorité à l'Assemblée nationale. François Mitterrand usa de son droit de véto pour ne pas signer les ordonnances sur la privatisation des entreprises nationalisées.

Choix et nomination du gouvernement

La deuxième cohabitation se déroula à nouveau sous François Mitterrand. La droite, rassemblée dans la coalition de l'Union pour la France (UPF), remporta les élections législatives de mars 1993 et inversa la majorité politique à l'Assemblée nationale, la droite détenant 472 sièges sur 577. Pour cette nouvelle cohabitation, le chef de l’État nomma Édouard Balladur (RPR) comme Premier ministre. Il avait été ministre de l'Économie pendant la première cohabitation.

Le 29 mars 1993, dans le 20h, le président annonçait la nomination et décrivait les tâches qu'il conserverait en tant que chef de l’État : « Quant à moi, je me conformerai aux devoirs et aux attributions que la Constitution me confère. Je veillerai à la continuité de notre politique extérieure et de notre politique de défense. » En effet, comme chef des armées, en période de cohabitation, le président de la République peut négocier et ratifier les traités et peut recourir à la force nucléaire.

En période de cohabitation, le chef de l’État bénéficie d'un droit de regard sur la constitution du gouvernement. La loi prévoit que le choix des noms est laissé au Premier ministre, charge au président de procéder à la nomination des ministres. Un aspect que François Mitterrand évoquait également dans sa déclaration disponible ci-dessous.

Allocution François Mitterrand
1993 - 04:31 - vidéo

« Mes chers compatriotes, en élisant une majorité nouvelle, très importante à l'Assemblée nationale, vous avez marqué votre volonté d'une autre politique. Cette volonté sera scrupuleusement respectée (...) Je confie dès ce soir la charge de Premier ministre à M. Edouard Balladur, député de Paris, ancien ministre d’État, non seulement parce qu'il apparaît comme le plus apte à rassembler les différentes composantes de la majorité, mais aussi en raison de ses compétences... Je souhaite qu'il soit en mesure de former une équipe gouvernementale solide et cohérente dans les plus brefs délais. La France ne peut attendre plus longtemps. »

Reçu ce même jour à l’Élysée, le nouveau Premier ministre s'exprimait devant les caméras dès sa sortie du palais présidentiel. Il annonçait se consacrer, dès le lendemain, à la constitution de son gouvernement, précisant qu'il s'agirait d'une équipe restreinte où règnerait « la cohérence, l'efficacité et la solidarité ». Édouard Balladur mettait en avant la notion de respect mutuel.

DECLARATION EDOUARD BALLADUR A L'ELYSEE
1993 - 02:13 - vidéo

« Notre pays connaît une crise. Tous nos efforts doivent être mobilisés pour la surmonter. C'est pourquoi le nouveau gouvernement, appuyé sur la majorité parlementaire à laquelle les Français viennent d'apporter massivement leur confiance, devra se consacrer à redresser la situation de notre pays et à rétablir la confiance ». (Édouard Balladur)

Les prérogatives réservées du président

Juin 1997. Alors que Jacques Chirac occupait l’Élysée depuis deux ans, il créait la surprise en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale pour obtenir une nouvelle majorité « ressourcée » en vue de la mise en place de la monnaie unique européenne. Contre toute attente, à la suite du scrutin législatif des 25 et 1er juin 1997, la gauche plurielle (PS, PC, radicaux de gauche, Verts) obtenait la majorité absolue, entraînant une nouvelle cohabitation. Le 2 juin 1997, Jacques Chirac nommait Lionel Jospin Premier ministre en remplacement d'Alain Juppé.

Cette cohabitation dura cinq ans et se déroula sans incidents majeurs. Elle débuta, néanmoins, par une mise au point musclée sur les prérogatives respectives du président de la République et de son Premier ministre. Car, même en période de cohabitation, le président bénéficie de pouvoirs réservés qu'il exerce seul. La Constitution les liste précisément. Parmi ces pouvoirs, citons la possibilité de soumettre un projet de loi au référendum, la nomination de trois membres au Conseil constitutionnel et de son président, ou encore la dissolution de l'Assemblée nationale après un délai minimum d'un an.

Lors de la traditionnelle interview du 14 juillet du président, menée par Arlette Chabot et Patrick Poivre d'Arvor, Jacques Chirac avait été interrogé sur les prérogatives du chef de l’État. S'il listait les principales, il déclarait un peu hâtivement que la Constitution prévoyait des situations qui donnaient, selon lui, « une prééminence, et (...) un peu le dernier mot au président de la République ». Une déclaration qui n'allait pas passer inaperçue et provoquer un recadrage du Premier ministre.

Deux jours plus tard, lors du conseil de ministres, s'appuyant sur les articles 5 et 20 de la Constitution qui délimitaient les prérogatives de chacun, Lionel Jospin rappelait fermement les règles de la cohabitation et réaffirmait sa légitimité, précisant qu'il n'y aurait « pas de domaine de la politique française où le Président aurait le dernier mot. » L'archive ci-dessous, extraite du 20h de TF1, revient sur cette première mise au point. Cet incident n'hypothéqua pas la « cohabitation constructive » souhaitée par les deux parties.

La cohabitation Chirac Jospin
1997 - 00:00 - vidéo

Cet échange musclé montre que le président de la République n'est soumis à aucun devoir de réserve, pas même pendant une cohabitation. En 1997, comme l'a montré l'archive précédente, Jacques Chirac ne s'était pas privé d'exprimer son opinion divergente sur la ligne politique suivie par son Premier ministre. Reste un point que la Constitution ne clarifie pas vraiment, celui de la politique extérieure et de défense. En la matière, le chef de l’État et le Premier ministre partagent les compétences. Charge aux deux hommes de s'entendre pour ne pas bloquer la France à l'international.

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