Aller au contenu principal
Nicky Doll raconte l'histoire du drag français

Nicky Doll raconte l'histoire du drag français

La saison 3 de «Drag Race France» débute vendredi 31 mai. Cette année encore, le concours est présenté par la drag-queen Nicky Doll. Pour l'INA, l'artiste revient sur les grands moments de l'histoire du drag français.

Par Léa Beaudufe-Hamelin et Romane Laignel Sauvage - Publié le 30.05.2024
80 rue des Martyrs - 1969 - 05:41 - vidéo
 

À partir du 31 mai, France 2 diffuse la troisième saison de « Drag Race France ». Ce concours de drag-queens, déclinaison française de la célèbre téléréalité américaine « RuPaul’s Drag Race », est présenté par Nicky Doll et revendique plus de 11 millions de téléspectateurs pour sa précédente saison.

Le programme, dont Nicky Doll a été la première candidate française dans la version américaine, met en avant un art de la scène transgressif, le drag, longtemps limité, en France, aux cabarets et clubs parisiens. Autrice de l'ouvrage Reines, l'art du drag à la française, Nicky Doll revient pour l’INA sur les grands moments du drag en France.

INA - Si le drag tel qu'on le connaît aujourd'hui est originaire des États-Unis, en France, certains cabarets parisiens mettent depuis longtemps en scène des transformistes. Quel héritage gardez-vous de cabarets comme celui de Michou que l'on voit dans cette archive [voir en tête d'article] de 1969 ?

Nicky Doll - Chez Michou est devenu un phénomène de société culturel en France. Michou, lui-même, est un peu le frère gay préféré des Français. (Rires) C'est un établissement qui est aujourd'hui iconique et connu à l'international. La dernière fois que j'y suis allée, j'y ai vu différentes générations et des artistes absolument incroyables. À l'époque, ils étaient inspirés par France Gall, aujourd'hui par des artistes beaucoup plus contemporains. C'est le drag aux influences cabaret qui font le génie du drag français.

INA - Quels sont les liens entre l'art du drag et le transformisme ?

Nicky Doll - Dans l'archive chez Michou, c'est un spectacle transformiste. On a souvent fait une différence entre le drag et le transformisme, alors que le transformisme est une sous-catégorie du drag. C'est ce qui a fait l'âge d'or du cabaret en France, l'âge d'or queer du cabaret en France. Parce que justement, le transformisme, c'est se réapproprier tous les codes vestimentaires, artistiques et de personnalité d'une artiste, comme on l'a vu avec France Gall. Qui n'avait d'ailleurs pas une bouche aussi ronde.

Cet héritage rend le drag français absolument unique. Encore maintenant, en 2024, le cabaret chez Michou est formidable et je vous conseille d'y aller.

INA - Est-ce que dans « Drag Race France », qui est aujourd'hui la vitrine grand public de la scène drag française, il y a un héritage de ce type de spectacles ?

Nicky Doll - Oui ! Il y a un héritage du transformisme. Il y a des reines qui viennent faire la compétition alors qu'en dehors, elles sont plus spécialisées dans le transformisme. On a aussi un challenge qui s'appelle le «Snatch game», où chaque drag-queen doit se réapproprier l'histoire et les codes visuels, parfois sonores, d'un artiste. C'est comme ça que dans les précédentes saisons, on a eu par exemple une Fanny Ardant absolument loufoque ou d'autres personnages comme Félindra, tête de tigre.

INA - Le premier grand essor de la scène drag en France a lieu dans les années 1990, comme on le voit dans cette archive d'«Envoyé spécial». Sur ces images apparaissent plusieurs grands lieux du drag parisien, comme la boîte de nuit le Queen, ainsi que de célèbres artistes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nicky Doll - J'aurais tout donné pour y être ! Je n'ai commencé le drag qu'autour de 2010, mais je connais très bien les lieux que l'on voit. Ce sont beaucoup de souvenirs parce que quand je suis revenue en France, à Paris, le Queen Club était encore ouvert sur les Champs-Élysées [Il a fermé en 2018, ndlr].

Le monde des drag queens
1995 - 00:00 - vidéo

Dans ce premier extrait, on peut voir le Banana Café. Le Queen apparaît plus bas, dans un troisième extrait, avant une interview de la drag-queen Lola.

Par ailleurs, le Queen Club, c'était un endroit à l’ADN queer* avant même qu'on comprenne ce que voulait dire queer, c'était un safe space [lieu sûr, ndlr] pour toutes les personnes qui n'étaient pas hétéros. Mais tout le monde y était le bienvenu. Ce sont des endroits où, personnellement, je me suis absolument révélée.

On voit aussi le Banana Café, une institution du Marais. C'est un endroit où vous voyez des spectacles, mais aussi où on venait prendre un verre. Et ce que j'aime dans cette archive, c'est qu'on ne voit pas juste l'aspect spectacle de transformisme où l'on vient prendre une place, on s'assoit et on repart à 23 h. Là, la vie nocturne et le cabaret se mélangent.

Surtout, je vois certaines personnes qui ont été mes mentors quand j'ai commencé le drag comme Tyra. C'est une femme transgenre absolument incroyable qui est une légende de la scène. Là, on la voit à ses débuts déambuler dans les rues de Paris.

INA - On est en 1995. Est-ce que vous pouvez nous expliquer quel tournant s'opère dans les années 1990 ? Qu'est-ce qui a changé depuis ?

Nicky Doll - Dans les années 1990, la fenêtre s'est ouverte pour le drag, c'était devenu cool. À la télé, on pouvait voir des drag-queens, dans des sortes de talkshow où on parlait de phénomène de société. C'était vraiment plus mainstream [grand public, ndlr]. Comme quoi en 1995, on avait aussi la mentalité pour l'accepter.

Et puis, comme pour tout phénomène de mode, car même si notre art n'est pas un phénomène de mode, on a été traités à la même échelle, les portes se referment. De la fin des années 1990 jusqu'à l'arrivée de « Drag Race » US - merci RuPaul - le drag était retourné dans l'ombre.

Par ailleurs, le visuel drag a énormément changé depuis les années 1990. Les queens ont beaucoup plus de ressources. En 1995, on ne voit qu’avec rien, avec Miss Coquine et tous les sexshops de Pigalle, on arrive à se faire un look. C'est aussi pour ça que Tyra ne nous montre que trois centimètres de tissu et 2,10 mètres de jambes. Et on la remercie pour ça.

INA - Les années 1990 pour le drag en France, c'est aussi le tube Let me be a drag queen. Créé par les Sister Queen, un duo composé de Tonya Loren et Yazz, deux drag-queens originaires de Toulouse. Le titre avait atteint la neuvième place du Top 50 en France !

Nicky Doll - Icône. Tout simplement. Je crois que c'est une chanson qui n'a pas juste connu un succès national. C'est un succès planétaire. C'est un hymne qui en dit un peu plus que la plume et la nuit et la joie. Il demande la permission d'en être, c'est-à-dire « Let me be a Drag Queen », laissez-moi être une drag-queen.

Le business des drag queens
1995 - 00:00 - vidéo

Cette archive présente le tournage du clip de «Let me be a drag queen». On entend également le titre passer au Banana Café.

Il faut se rappeler qu'à l'époque ce n'était pas cool, c'était dangereux d'être qui on était. C'était dangereux de faire un art transgressif comme celui-ci. Ces incroyables personnes ont eu le cran, le courage de non seulement faire une chanson, d'être signées en label, mais aussi de passer à la télé avec une chanson super fun. C'était très courageux.

Par ailleurs, je suis très amie avec Tonya Lauren qui est une sublime femme transgenre et qui a fait énormément pour la communauté. Le plus important, je pense avec cette chanson, ce n’est pas forcément que ce soit ou non un titre de référence pour les drags. C'est un titre référence pour les gens et je pense que c'est ça qui fait que son message est beaucoup plus ancré. Que moi, je le passe dans mes shows, on s'en fiche. Mais que le grand public chante « Let me a Drag Queen », c'est là où on se rend compte qu'il y a eu un impact.

INA - L'un de vos chevaux de bataille est la professionnalisation des drag-queens, que vous avez expérimentée aux États-Unis, mais qui n'était pas encore une réalité française avant « Drag race France ». Dans cet extrait [disponible ci-dessous] d'«Envoyé spécial» en 1995, la drag-queen Lola expliquait comment elle avait préféré garder son art comme loisir. Elle évoquait un « miroir aux alouettes ».

Nicky Doll - Vous avez de sacrées archives ! Lola est une très bonne amie à moi et elle parle exactement comme ça aujourd'hui encore. C'est hyper intéressant ce qu'elle disait en 1995. Il faut savoir que Lola est drag-queen depuis des années, mais qu'elle a aussi été l'assistante personnelle de Thierry Mugler. Elle a travaillé sur énormément de looks que vous définissez aujourd'hui comme légendaires, iconiques, etc. Lola a toujours été styliste, créatrice de mode, couturière et gardé son côté punk pour le drag.

Lola, drag queen styliste
1995 - 00:00 - vidéo

Témoignage de la drag-queen Lola sur la professionnalisation de son art. Le début de cet extrait montre la boîte de nuit Le Queen.

Encore aujourd'hui, il y a plein de reines qui ne veulent pas se professionnaliser parce qu'elles ne veulent pas perdre ce côté fun, créatif et cette liberté de pouvoir le faire quand elles veulent. En revanche, c'est drôle parce que Lola dit en 1995 qu'elle ne voyait pas son art comme une carrière. Mais elle continue aujourd'hui !

Quoi qu'il en soit, Lola a absolument raison de dire qu'en 1995, on n'avait pas forcément la chance de vivre du drag. À l'époque en France, on ne voyait pas l'art du drag comme une carrière à temps plein, à part si on faisait du transformisme ou si on faisait partie d'une troupe de cabaret où il y avait, comme elle disait, un emploi du temps hyper musclé pour pas énormément d'argent.

On avait toujours un job à côté. Que ce soit notre carrière professionnelle qui nous passionne ou un job alimentaire parce que de toute façon, on ne pouvait pas vivre du drag. Tout comme moi, j'ai été maquilleur pendant longtemps avant que Nicky Doll ne décide de jeter mes pinceaux et de me mettre une robe. Moi-même, à mes débuts en 2009, je ne pouvais pas forcément en vivre. Il n'y avait pas ce côté international, encore moins la visibilité d'une franchise aussi virale que « Drag Race ».

J'ai quitté la France en 2015 parce que je voulais vraiment vivre de mon art. Je savais que les États-Unis, c'était un peu l'eldorado de la drag-queen. C'était tellement mainstream [grand public, ndlr] qu'il y avait plein de projets de carrière, que ce soit pour être à la télé, faire partie d'une troupe ou faire uniquement des guests appearance [apparition de courte durée, nldr] dans différents clubs. Je savais que j'allais pouvoir m'exprimer là-bas.

Quand j'ai vu, grâce à ma participation à la saison 12 de « Drag Race US », qu'il y avait une vraie effervescence autour de Nicky Doll, la première Française, il me paraissait évident d'utiliser les médias pour la communauté et de dire : "C'est bien moi, mais, est-ce qu'on peut parler du drag français ?" Et ça a été vraiment mon combat. J'ai le privilège d'avoir, et de pouvoir ramener le flambeau à la maison. On en est à la troisième saison de « Drag Race France », donc je pense que c'est mission accomplie.

INA - Justement : comment a été accueilli « Drag Race » en France ? Dans cette archive de 2022 [disponible ci-dessous], le public a l'air enthousiaste.

Nicky Doll - Ah ! Si je n'avais pas fait autant de botox, je pleurerais peut-être un peu devant cette archive. Je ne suis pas la seule à célébrer dans cette prise d'initiative qu'est « Drag Race France ». Certes, j'ai eu le cran de présenter la première saison, mais elles ont eu le cran de candidater pour la première saison. Elles ont permis de démocratiser le drag, rien ne se serait passé sans ces reines absolument incroyables.

Après la première saison, on a pu faire une tournée avec les candidates. C'était la première fois qu'on allait à la rencontre du public. Nous étions heureuses de voir à quel point ce n'était pas un public uniquement communautaire, mais un public intergénérationnel, avec des enfants, des grands-parents, des personnes queers qui comprenaient ce qu'on était et se révélaient dans leur culture queer.

Le public était prêt, il fallait juste avoir un peu plus confiance en notre peuple français.

*Queer : «étrange» ou «bizarre» en anglais, auparavant utilisé comme une insulte homophobe, le terme est aujourd'hui réapproprié par les personnes LGBTQIA pour désigner l'ensemble de la diversité sexuelle et de genre.

Une version vidéo de cet entretien sera disponible sur les réseaux sociaux de l'INA.

S'orienter dans la galaxie INA

Vous êtes particulier, professionnel des médias, enseignant, journaliste... ? Découvrez les sites de l'INA conçus pour vous, suivez-nous sur les réseaux sociaux, inscrivez-vous à nos newsletters.

Suivre l'INA éclaire actu

Chaque jour, la rédaction vous propose une sélection de vidéos et des articles éditorialisés en résonance avec l'actualité sous toutes ses formes.