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Michel Butor, l'auteur qui souhaitait transformer son lecteur

Michel Butor, l'auteur qui souhaitait transformer son lecteur

Né le 14 septembre 1926, Michel Butor aurait eu 95 ans ce mardi. Poète, romancier, il fut l'un des précurseurs d'une nouvelle forme de littérature qu'on appelle le Nouveau Roman, notamment à travers un ouvrage emblématique de ce courant, intitulé "La modification".

Par Florence Dartois - Publié le 13.09.2021
Michel Butor et La Modification - 1957 - 10:27 - vidéo
 

Enseignant, poète et romancier, Michel Butor se lance dans la littérature au milieu des années 1950. Sa notoriété explose en 1957 avec la parution de son troisième intitulé La modification, paru aux Editions de Minuit. Cet ouvrage est l'un des romans à succès du courant littéraire apparu dans cette maison d'édition en 1955 : le Nouveau roman. Un art littéraire conscient de lui-même et dans lequel des écrivains comme Alain Robbe-Grillet ou Nathalie Sarraute remettaient en question la position du narrateur dans l'intrigue et la forme conventionnelle du récit. Le Nouveau roman souhaitait laisser à chaque auteur le choix du fond et de la forme en se libérant du joug des conventions de la littérature classique établie au 19e siècle par certains auteurs tels Honoré de Balzac.

L'archive que nous vous proposons de regarder est une interview de Michel Butor par Pierre Dumayet dans "Lecture pour tous" du 23 octobre 1957, à propos de cet ouvrage étonnant, obligeant le lecteur à aborder la lecture de manière active.

Glisser le lecteur dans la tête du héros

De prime abord pourtant, le propos du roman de Butor est plutôt classique : un homme, Léon Delmont, quitte sa femme pour rejoindre sa maîtresse à Rome dans l'intention de lui annoncer qu'ils vont pouvoir vivre ensemble. Mais au cours des 21 heures de ce voyage en train, le personnage va se métamorphoser intérieurement jusqu'à changer le cours de sa vie. Tout l'art de l'auteur va être de plonger le lecteur dans la tête du héros, de lui faire expérimenter cette transformation intérieure pour partager les méandres des pensées, des réflexions du héros jusqu'à leur terme. Maniant les flashbacks et les projections avec dextérité, l'écrivain parvient à modifier la perception du lecteur en même temps que s'opère la modification du personnage. La modification est le récit du changement qui va s'opérer chez cet homme jusqu'à son arrivée à Rome...

L'originalité du récit est de parvenir à créer une identification quasi émotionnelle entre le lecteur et le héros de papier. Dès le départ de l'entretien, Pierre Dumayet souligne cette construction originale du roman où le récit du voyage accompagne l'évolution de ce personnage : "Ce sont des micros détails qui le font changer d'avis et le lecteur assiste à cette mise en doute de la décision que ce personnage avait prise. Vous demandez au lecteur au fil des pages d'acquérir les obsessions, les ennuis, les petits agacements que votre personnage a dans la tête déjà ." Le romancier utilise pour cela la deuxième personne du pluriel. Le texte est écrit au "vous", comme si le lecteur était l'interlocuteur privilégié du héros, comme s'il était le narrateur. Ce vouvoiement distancié provoque immanquablement l'identification et l'empathie. Les idées qui défilent dans un flot ininterrompu renvoie à l'idée de mise en abyme du personnage dans le propre récit intérieur du lecteur.

Espace-temps de la transformation

Dans l'œuvre, l'espace géographique accompagne le développement psychologique du personnage. Le déplacement dans l’espace entraîne un changement dans la représentation que Léon Delmont se fait de lui-même. Son voyage matériel est le socle de son vertige intérieur. L'auteur décrit ainsi ce voyage  : "Pendant ce voyage, il y a des micros événements qui vont transformer la façon dont le personnage voit sa situation. Au début du voyage, le personnage a une certaine image de lui-même et de sa façon de voir sa vie. Et puis, peu à peu, des événements très minimes, par exemple, le fait que la façon dont des gares vont passer dans la vitre du compartiment. Les gestes que vont faire les autres voyageurs, ces gens qu'il n'a jamais vu, qu'il ne reverra sans doute jamais, vont orienter peu à peu ses pensées, de telle sorte qu'il sera obligé de réviser complètement la façon dont il voit sa propre situation."

Michel Butor décrit ensuite les rouages de la modification qui va s'opérer chez son personnage. Sans dévoiler les détails, il déclare que ces micros événements sont aussi dévastateurs qu'une "bombe atomique", et poursuit : "Il suffira d'un tout petit mouvement pour provoquer une libération d'énergie énorme pour provoquer une transformation énorme chez ce personnage. Toute la façon de voir les choses du personnage est en quelque sorte minée. Il y a si vous voulez, dans le monde qui entoure ce personnage des cavernes qui sont masquées par sa vie quotidienne, et ce voile qu'il y a sur les choses, il va se crever. S'il n'avait pas pris le train ce jour-là. Si il n'y avait pas eu ces petits événements à l'intérieur du compartiment. Peut-être que le voile aurait pu subsister encore, au moins un certain temps."

Le romancier va notamment évoquer les flashbacks, les souvenirs oubliés qui resurgissent au fil du voyage et qui vont bouleverser le voyageur - et modifier la perception du lecteur - pour laisser place à la transformation : "Si certaines scènes se révèlent tout d'un coup pour lui décisives, c'est parce qu'elles sont liées, elles aussi à des choses encore plus importantes." Plus le héros s'éloignera de chez lui, plus sa conscience lui permettra d'accéder à des informations qui lui étaient jusqu'alors inaccessibles : "Les projets qu'il a vis-à-vis de ces deux femmes se trouvent impliqués, non seulement ces deux femmes, non seulement lui, mais toutes les relations entre un personnage, de son genre, de son espèce et ses énormes objets, ces énormes personnages que sont, par exemple, les villes de Paris et de Rome… "

Modifier durablement le lecteur

Pour conclure l'entretien, le journaliste souligne que le lecteur est particulièrement actif et sollicité à travers la lecture de ce roman. Une évidence pour l'écrivain : "Je crois que le lecteur a toujours un rôle très important dans tous les livres parce que c'est le lecteur qui lit." Le titre du roman, La modification, concerne aussi bien le personnage qui se trouve modifié au cours de son voyage que le lecteur. L'auteur souhaite clairement le modifier au fil la lecture. D'ailleurs, il conclura avec une pointe de provocation : "Je suis plus méchant que ça envers le lecteur. Oui, je voudrais que quelque chose soit modifié dans sa façon aussi à lui de voir les choses qui l'entourent."

La modification remportera un énorme succès et obtiendra cette année-là le prix Renaudot. Il est devenu depuis l'un des récits emblématiques du Nouveau Roman. Michel Butor est mort le 24 août 2016, peu de temps avant son 90e anniversaire.

Pour aller plus loin :

Michel Butor à propos de son roman La modification, livre phare du Nouveau Roman qui révolutionna la lecture. "Les écrivains écrivent pour devenir autre chose. La littérature est une fontaine de jouvence... L'auteur raconte le lecteur au lecteur." (31 mars 1984)

Rencontre avec Michel butor chez lui en Haute-Savoie. (29 août 2006)

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