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La ménopause à la télévision : un tabou et une parole trop rare

La ménopause à la télévision : un tabou et une parole trop rare

Un nouveau traitement sans hormones contre les symptômes de la ménopause devrait arriver sur le marché. De quoi soulager les milliers de femmes qui souffrent de cet ultime dérèglement hormonal depuis des décennies dans le désintérêt général. Comment la télévision parle-t-elle de cette étape inévitable ? Qu'en disent les médecins ? Comment l'abordent les femmes ? Entre méconnaissance, mépris et gêne, le «retour d'âge» est longtemps resté un angle mort de la santé. 

Par Florence Dartois - Publié le 02.09.2024
La ménopause : un tabou - 1973 - 03:52 - vidéo
 

L'ACTU.

Un nouveau traitement pour lutter contre les symptômes liés à la ménopause, l’élinzanetant, serait efficace. Mis au point par le laboratoire pharmaceutique Bayer, il n’utilise pas les hormones utilisées dans les traitements existants (œstrogènes, progestérone) et aurait montré de très bons résultats pour lutter contre les symptômes récurrents de la ménopause (bouffées de chaleur, sueurs nocturnes, transpirations intenses, rougeurs…).

80% des testeuses âgées de 40 à 50 ans ont constaté une réduction significative des symptômes, notamment les bouffées de chaleur. Désormais le laboratoire attend une autorisation de mise sur le marché.

Bien qu'« inéluctable », un terme répété dans nos archives, cette étape est peu évoquée dans les programmes. Pourtant, le sujet est capital puisqu'il concerne 500 000 nouvelles femmes chaque année. 14 millions de femmes sont concernées au total en France, dont 100 % des femmes de 55 ans ou plus.

LES ARCHIVES.

À l’instar de la puberté, avec l'arrivée des règles qui marque l'avènement de la fertilité, la ménopause est une étape incontournable de la vie d’une femme à l'arrivée de la cinquantaine. Elle est marquée par l'arrêt des règles, la fin du fonctionnement des ovaires et de la sécrétion hormonale. En un mot : la fin de la capacité à procréer. Cette transformation physiologique bouleverse l'équilibre physique et psychologique des femmes, avec une multitude de symptômes, plus ou moins gênants et graves, dont l'ostéoporose, responsable de la diminution de la densité osseuse et génératrice de fractures.

Dans notre fonds d’archives, rares sont les émissions consacrées à la ménopause. Les premières sur ce sujet apparaissent au début des années 1970. Lorsqu'elles existent, la parole est invariablement laissée aux médecins, souvent des gynécologues, surtout masculins, notamment dans les premières archives. On pourrait se demander, comme Patrick Juvet en 1978 : « Où sont les femmes ? ». Les principales intéressées, peu informées, voire terrorisées par ce couperet fatidique, se font discrètes.

Derrière l'expression « retour d’âge », largement usitée, transparaît de la honte, comme si, avec la ménopause s'installait l'inutilité, le déclassement social et l’invisibilité. Autant de mots qui reviendront de nombreuses fois dans les archives illustrant cet article.

Pour commencer cette incursion dans l'univers de la ménopause, commençons par une archive tout à fait représentative du malaise récurrent. Le premier magazine à parler de la ménopause fut, sans surprise, « Aujourd'hui madame ». Le 9 février 1973, dans son propos liminaire, disponible en tête d'article, le présentateur, Jacques Garat, annonçait que pour la première fois (en 3 ans d'existence), l'émission allait aborder le thème de la ménopause. Fait unique dans l'émission, aucune téléspectatrice n'avait accepté de venir témoigner sur le plateau. Un état de fait qui interrogeait le présentateur : « Vous avez toutes éludées la proposition et nous nous retrouvons cet après-midi seuls avec nos invités », pour évoquer cette « phase inéluctable » du parcours féminin.

En plateau, trois médecins tenteraient d'éclairer les téléspectatrices : Jacqueline Rey, gynécologue et psychosomaticienne à la maternité Rothschild à Paris, le docteur Gilbert Tordjmann, célèbre gynécologue et sexologue, ainsi qu’un médecin allergologue de l’Assistance publique dont le nom était anonymisé. Faute de femmes sur le plateau, c’est Nicole André qui poserait les questions.

La peur du vieillissement

Mais comment expliquer l'omerta autour de la ménopause ? C'est l'interrogation qui planait sur ce début d'émission. Jacques Garat lâchant le mot de « honte », alors que la praticienne invitée évoquait plutôt « la peur de vieillir » : « Ce n’est pas parce que la ménopause arrive, que soudain, on vieillit du jour au lendemain », rassurait-elle, tout en reprochant aux femmes leur immaturité et leur comportement d'adolescentes.

Pourtant, la notion de vieillissement revenait sans cesse dans les échanges, à l'image de l’analyse faite par Gilbert Tordjmann qui reliait, lui aussi, ce comportement de fuite à une peur d’affronter la « crise de la ménopause ». De fait, la suite de l'émission n'était pas de nature à rassurer les téléspectatrices.

Le sexologue parlait de « phase critique » durant laquelle les femmes étaient confrontées à l’apparition des signes de vieillissement : « En effet, à cette époque apparaissent quelques rides, les traits peuvent s’empâter, il y a un risque de prise de poids ». Il ajoutait à sa liste un autre facteur anxiogène : « Il y a aussi cette apparition de bouffées de chaleur qui sont aussi gênantes qu’inesthétiques et qui remettent en question la propre féminité de la femme et même le problème de leur communication à autrui ». Parmi les autres facteurs aggravants, il mentionnait « le problème d’un maintien d’une sexualité ».

Fin de la féminité ?

Dans l'archive ci-dessous, toujours extraite de la même émission, les deux gynécologues tentaient de définir la ménopause et se lançaient dans une description de ses symptômes. Gilbert Tordjmann se montrait d'emblée le plus didactique. Il expliquait aussi que la ménopause était unique dans le règne animal et spécifique au genre humain. Si elle marque la fin de la capacité de reproduction, elle ne signifie pas la fin de la féminité, rassurait-il : « Il faut absolument lever ce problème qui hante beaucoup de femmes. »

Les symptômes de la ménopause
1973 - 05:14 - vidéo

Incohérence médicale

Si l'archive est étonnante, c'est surtout par les propos extravagants de la seule femme médecin du débat. Lorsque Jacqueline Rey évoque l'origine des bouffées de chaleur, par exemple, ses propos n'ont rien de scientifiques : « Plus elle (la femme) s’énerve, plus elle aura de bouffées de chaleur », affirme-t-elle, avant d'ajouter un argument tout aussi insolite, lié à la couleur de la peau qui accentuerait les symptômes. Et de conclure de manière complètement désinvolte, « certaines femmes s’en plaignaient, d’autres pas ».

Même flou explicatif de sa part lorsqu'il s'agissait d'évoquer la prise de poids, un sujet particulièrement délicat. Une fois de plus, le commentaire de la gynécologue s'avérait surprenant : « Les femmes qui ont l’impression qu’elles vieillissent ont tendance à se rassurer en mangeant un petit peu plus de gâteaux... ».

Des propos saugrenus qui seront tout de même nuancés par Gilbert Tordjmann, rappelant que c'était la disparition des hormones œstrogènes qui était impliquée dans les modifications physiologiques, comme la prise de poids. La longue description des tracas promis aux femmes qu'il faisait ensuite n'avait pas de quoi rassurer...

Seule pointe d’espoir, l’apparition de traitements qui permettraient de « remédier et de contrôler » ces impondérables.

Dépression et mépris médical

La ménopause s'accompagne de symptômes psychologiques bien réels, mais méconnus. C'est ce dont il est question dans l'archive à regarder ci-dessous. Une fois de plus, les propos tenus n'avaient rien de rassurants. Gilbert Tordjmann rattachait la tendance dépressive rencontrée par certaines femmes à une perte de repères. Il comparait cette période à une crise d’adolescence inversée durant laquelle la femme est confrontée à une transformation globale qui remet définitivement en question son schéma corporel, sa féminité et sa sexualité. La femme se retrouve dans une impasse, contrairement à l’adolescence, face au « vaste horizon qui s’étend », expliquait-il.

Il ajoutait : « à la cinquantaine, la femme sent bien que ses projets, ses fantasmes, ses rêves n’ont que peu de chances, peu de possibilités de se réaliser. C’est là qu’apparait le risque de dépression (...) très souvent, elle se demande "à quoi bon continuer" ? » Cette étape de vie s'accompagne, soulignait-il de « la perte de la capacité à désirer » et son corollaire, « la perte de la joie de vivre ».

En fin d'échange, il livrera une réflexion intéressante sur la responsabilité de la société jeuniste et de la difficulté pour les femmes de trouver leur place dans le monde du travail après 50 ans.

Si son analyse semble plutôt intéressante, un autre aspect de son discours frise l'absurde. Le sexologue sous-entendant ensuite que « le vide de l'existence » des femmes ouvrait la porte à toute sorte de « délires jaloux ou érotomaniaques ». Quant à leurs soucis de santé, pourtant bien réels, ils devenaient dans sa bouche des maux psychosomatiques « dans lesquels elles vont pouvoir réinvestir le narcissisme qu’il leur reste ».

Si l'émission se voulait informative et rassurante, il semble que le tableau brossé par les invités ait déstabilisé l'animateur Jacques Garat lui-même. Et d'interroger : « Mais y a-t-il des ménopauses normales ? ». La réponse du troisième médecin finira de plomber l'ambiance : « Bien souvent, il ne se passe rien » Avant d'ajouter : « Mais c’est rare ! ».

Pas sûr que les téléspectatrices aient trouvé des raisons d'espérer dans la parole des experts présents.

Ménopause et dépression
1973 - 04:49 - vidéo

Une bataille perdue ?

En 1975, paraissait un livre événement sur la ménopause au titre évocateur : La ménopause effacée. Dans cet ouvrage, le docteur Anne Denard-Toulet abordait les connaissances médicales du phénomène et sa découverte tardive en médecine. Dans l'archive ci-dessous, elle décrit avec compassion ses effets délétères, son irréversibilité et ses symptômes perçus comme « des agressions » menant au délitement du corps des femmes. Il était également question de l'accompagnement médical, de la perception sociale du vieillissement hormonal de la femme et des traitements possibles.

Sujet médical : la ménopause
1975 - 12:00 - vidéo

« "La ménopause effacée" pour qu'il n'y ait pas cette espèce un hiatus irréversible et un peu dramatique entre la femme de 45 ans en pleine forme et celle de 50 ans qui est censée accepter d'être vieille et malade ». « Je vous assure que l'ébranlement psychologique est très considérable ».

Enfin, des femmes racontent

Les premiers témoignages de femmes ménopausées apparaissent à l'antenne au début des années 1980. Sans surprise, il est largement question du comportement des médecins, de leur absence d'intérêt sur la question.

Il faut constater qu'un hiatus existe déjà entre les femmes « épanouies » qui suivent un traitement hormonal et échappent aux symptômes désagréables et les autres... Celles qui subissent et souffrent en silence. À l'image de la femme, ci-dessous, qui s'exprimait dans le magazine « C'est à vous » en décembre 1981. Elle avait « passé le cap », déclarait-elle, avec son lot de désarroi, de fatigue chronique, et la confrontation au regard des autres, avec l'abandon de toute vie sexuelle.

La femme à 50 ans
1981 - 03:30 - vidéo

« La vie est plus difficile. Je me sens beaucoup moins courageuse (...) Je suis en pleine ménopause. Cela se passe assez difficilement » .

Témoignage des effets de la ménopause
1984 - 01:37 - vidéo

Les bouffées de chaleur, le cap « qu'on ne peut pas maîtriser et qui est fort désagréable », (à propos des médecins) « J'avais l'impression que ça ne les intéressait pas beaucoup la ménopause (...) j'ai eu l'impression que ce n'était pas très intéressant ce que je racontais ».

La ménopause
1988 - 12:24 - vidéo

Une femme ménopausée, Jeannine Chauvin, témoigne de son vécu. « Ça s'est passé assez difficilement, mais je pense qu'on pourrait faire autrement. C'est un mauvais souvenir, ça a été une période dépressive terrifiante, avec des journées entières d'une fatigue énorme qui m'empêchait de vivre une vie normale... »

À ses côtés la gynécologue Annie Weiss évoque ce phénomène qui a émergé récemment dans la médecine avec l'augmentation de l’espérance de vie. Désormais, une femme va vivre un tiers de sa vie sans hormones. Définition de la ménopause (arrêt des règles), ses symptômes, les troubles à long terme (ostéroporose), les traitements possibles pour améliorer la vie. Elle conseille vivement le traitement hormonal alliant œstrogènes et progestérone.

Bouffées de chaleur
1990 - 02:06 - vidéo

Fanny qui a souffert de bouffées de chaleur : « La nuit, j'étais toujours debout, je suais énormément, je ressemblais à Johnny Hallyday sur scène. »

Le traitement : une renaissance ?

« La science peut aider les femmes à mieux passer le cap de la cinquantaine ». Au début des années 1980, les traitements hormonaux substitutifs (THS) arrivent en France. Il est alors question d'hormonothérapie. Celles qui les prennent s'affichent épanouies, à l'image des deux femmes qui se confient sur leur vie intime dans l'archive ci-dessous. Mais on sent bien dans ce reportage qu'il est encore question de jouer un rôle : celui de la femme comblée par une vie sexuelle bien remplie. Une image largement véhiculée par ce sujet et déplorée par l'une des femmes.

Hormonothérapie et ménopause
1980 - 01:38 - vidéo

« On a la ménopause que le mari vous fait », « les désirs ne changent absolument pas à 50 ans ou à 51 ans. C'est tout à fait la même chose.  Une femme de 50 ans est tout à fait capable de vivre un amour, une aventure sexuelle (...)

Au journaliste qui insinue que la ménopause signifie la fin de la sexualité : « Je suis un peu choquée par la manière dont vous prenez les choses ».

Malgré les années, la ménopause reste taboue et les propos des unes et des autres similaires. À partir des années 1990, la majorité des témoignages concernent surtout des femmes prenant des traitements hormonaux substitutifs. Où sont passées les autres ? La majorité ? Pas dans les JT en tout cas.

En 1995, une campagne est lancée pour promouvoir ces THS, à l'époque seule 1 femme sur 10 en prend un. Un spot est réalisé par Nicole Garcia pour décrire leur intérêt : protection des déficiences cardiaques ou de l'ostéoporose à long terme. Des bienfaits présentés dans l'archive, ci-dessous, dans le 20 heures de TF1. Des femmes témoignent de leur bien-être retrouvé. Il n'est pas question des risques de cancers du sein générés par ces traitements et pourtant avérés dès 2005.

Ménopause
1995 - 01:48 - vidéo

« Je n'ai plus de bouffées de chaleur », « maintenant, on prend ça, il faut y passer, comme on est assez bien soutenue, on n'en fait pas un drame si vous voulez »

Et les hommes dans tout ça ? Si les témoignages des femmes sont rarissimes, ceux des conjoints le sont encore plus. Ceux qui s'expriment, ce sont bien souvent ceux pour qui « rien n'a changé » parce que leur femme prend un traitement substitutif.

Qu'est-ce qui a changé ? je ne vois pas tellement

Seulement 600 000 femmes prennent un traitement hormonal sur les 14 millions concernés par la ménopause en France. Le 2 septembre 2024, l’Eurométropole de Strasbourg a annoncé la mise en place d'un congé de santé gynécologique. Il concerne les agentes souffrant de douleurs menstruelles, d’endométriose, mais aussi de troubles liés à la ménopause. Elles pourront bénéficier de 13 jours d’absence sur présentation d’un certificat médical.

Le tabou est-il sur le point de tomber ? Les femmes auront tout à gagner de l'évolution du regard de la société sur cette étape, certes incontournable, mais inconfortable de leur vie.

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