L'ACTU.
L’opération de destruction des cases en tôles insalubres de « Talus 2 », un quartier de Majicavo, sur la commune de Koungou (nord de Mayotte), a démarré lundi 22 mai. L'opération avait été reportée le 25 avril, après que l'avocate Marjane Ghaem, avec une dizaine de consœurs, ait entamé des recours contre les expulsions à la demande d'une vingtaine de familles, en l'absence de proposition de relogement adapté. Le tribunal judiciaire de Mamoudzou avait suspendu l'opération de destruction et d'expulsion.
À Mayotte, le ministère de l'Intérieur et des élus locaux ont décidé de lancer une opération de lutte contre l'immigration illégale, l'insécurité et l'habitat insalubre. Le gouvernement entend pour cela raser plus d'un millier de bangas, ces cases en tôle et terre battue, situées à Majicavo. Les autorités françaises ont promis de reloger les habitants et d'expulser les étrangers, en majorité Comoriens. Seul ce quartier situé au nord de Mayotte, dans la commune de Koungou, avait fait l'objet d'un arrêté préfectoral de démolition dans le cadre de l'opération « Wuambushu ».
«Talus 2» est composé de milliers de « bangas ». Ces minuscules habitations abritent des familles nombreuses, mais dans la tradition mahoraise, elles accueillaient autrefois les jeunes garçons qui venaient de quitter leur famille et devait construire leur propre maison. Il s'agissait d'un rite initiatique incontournable et fort de sens.
L'archive en tête d'article est un reportage réalisé par RFO en 1990. Il présente cette tradition ancestrale à travers le portrait de plusieurs jeunes garçons, habitants de M'gumbani, pour qui les quatre murs de terre colorés et leurs toits de paille représentaient « un château », symbolisant leur liberté acquise.
L'ARCHIVE.
Dans la tradition Mahoraise, chaque garçon, à l'âge de l'adolescence, devait se séparer de sa famille et habiter une case de terre qu'il construisait lui-même : le banga. Ce serait la seule fois dans sa vie où il habiterait seul, car une fois marié, il allait s'installer dans la maison de son épouse. La fabrication du banga était un moment important de la vie de l'adolescent, la famille entière devant y être associée. Une fois que le banga était terminé, l'adolescent allaita le décorer et l'équiper, selon son goût, son imagination, sa personnalité, ses désirs, avec en arrière-plan, sa volonté de séduire une jeune fille.
Le reportage est ponctué des commentaires de Jean-Claude Pichard, co-auteur du livre Bangas, qui éclaire cette tradition plus qu'étonnante. Il racontait que cette séparation pouvait intervenir très jeune, quelquefois dès l'âge de 8 ans, « c'est un petit peu fonction de la composition de la famille et du nombre d'enfants à abriter dans la case familiale ». Jean-Claude Pichard insistait ensuite sur un point capital de la culture mahoraise essentiellement matriarcale, à savoir que la femme était le centre de la famille, « c'est elle qui possède la maison et l'homme, lui, il gravite autour. Finalement, le banga, c'est la seule maison qu'il aura à lui dans sa vie. Parce que dès qu'il se marie, il entre dans une autre maison, qui est la maison de sa femme ».
Un rite de construction initiatique
Ce qu'on appelle banga, à Mayotte, c'est une petite case qui n'a qu'une seule pièce, « une maison en terre traditionnelle extrêmement précaire, mais qui nécessite beaucoup de soins, d'entretien et de réparations et qui dure peu de temps », ajoutait-il. Les images montraient aussi la construction de bangas, réalisés en famille. « Une véritable aventure » rendue possible grâce à la « Moussada », le nom que l'on donnait à l'entraide villageoise. Elle donnait une reconnaissance officielle du statut social de l'adolescent. Cette communauté aidait le jeune à fabriquer les murs composés de terre et de paille de riz. Ce travail devant s'effectuer sur une journée.
Le reste du reportage partageait le quotidien d'Abdallah et d'autres jeunes gens dans leurs maisons parfois joliment colorées et recouvertes d'images. Il s'agissait d'une innovation, car la tradition musulmane, jusqu'aux années 1970, n'acceptait pas de représentations de corps, précisait Jean-Claude Pichard. « Le ganga devient un lieu très permissif » destiné à attirer le regard des jeunes filles, expliquait-il encore, commentant les dessins et slogans peints sur les façades.
En conclusion du reportage, l'auteur affirmait que les bangas ne disparaîtraient pas de la culture, mais évolueraient, notamment à travers les matériaux utilisés. Il constatait déjà l'usage du ciment et de la tôle : « ça restera quand même un signe d'une originalité mahoraise. Et peut être que ça deviendra un peu un folklore. Mais après tout, toutes les cultures traditionnelles connaissent cette phase dans l'évolution », concluait-il, loin de s'imaginer que 33 ans plus tard, les bangas de Mayotte symboliseraient la misère et se retrouveraient au centre d'une polémique politico-économique.