L'ACTU.
Le policier soupçonné d'avoir tiré sur Nahel M., 17 ans, le 27 juin à Nanterre, est poursuivi dans le cadre d'une enquête pour « homicide volontaire ». L'objectif est de savoir pourquoi le motard a appuyé sur la détente de son pistolet à quelques centimètres de l'adolescent. La mort du jeune garçon a provoqué la colère des banlieues et plusieurs quartiers du pays ont connu des émeutes depuis les faits.
De nombreuses personnalités, dont Mathieu Kassovitz, le réalisateur de La Haine, ont réagi à la mort du jeune homme et aux violences. Dans une vidéo, le cinéaste apparaît bouleversé, il fait clairement un parallèle avec son film, expliquant ce que serait, selon lui, l'unique manière de mettre un terme aux violences : « Le problème, depuis 30 ans, c’est qu’on ne résoudra jamais cette question-là, tant que la police continuera à tuer des enfants, comme on le voit dans cette vidéo, tant qu’on ne condamnera pas les policiers (...) La seule solution pour arriver à résoudre ce problème-là, le seul moyen d’arriver à calmer tout le monde (…) c’est de condamner le policier et de le faire vite. Et que la justice soit forte et représente la justice française, pas juste la justice de quelques-uns. » Des propos qui résonnent avec ceux qu'il tenait sur le plateau de « Bouillon de culture » le 26 mai 1995, comme le montre l'archive en tête d'article.
L'ARCHIVE.
Invité par Bernard Pivot, Mathieu Kassovitz, jeune réalisateur de 27 ans, évoquait la genèse du film et le message qu'il avait voulu transmettre.
La Haine raconte la journée de trois jeunes de banlieue en région parisienne après une nuit d’émeutes : Vinz (Vincent Cassel), Saïd (Saïd Taghmaoui) et Hubert (Hubert Koundé). Des laissés pour compte de la société, animés par la haine après le décès de l'un de leurs proches dans une bavure policière survenue pendant une nuit d’émeutes.
Bernard Pivot lui demandait si la haine était un sentiment qu'il connaissait à titre personnel ? Insistant pour obtenir une réponse : « Est-ce que vous ? Mathieu Kassovitz, vous avez 28 ans [il en a en fait 27]. Est-ce qu'il vous est arrivé de ressentir ce qu'on appelle la haine, c'est-à-dire quelque chose qui vous ronge l'âme, qui vous ronge les os, qui vous attaque la moelle ? » Après un instant d'hésitation, le réalisateur répondait par la négative : « Non… enfin, oui, bien sûr, mais peut-être pas dans ce contexte du film (...) J'ai trop de respect pour les gens qui ont vraiment des raisons d'avoir la haine pour pouvoir dire ça. », déclarait-il.
«J'ai la haine des mauvais flics, oui !»
Après avoir résumé l'intrigue du film, Bernard Pivot lui posait cette question : « [La Haine], c'est aussi, à l'évidence, un film anti-flic. »
Mathieu Kassovitz s'inscrivant en faux, décrivait au contraire son interprétation et une certaine compréhension du malaise policier : « ce n'est pas un film anti-policier dans le sens primaire du sujet. C'est vraiment un film anti-système qui fait que la police est comme elle est. Il y a des policiers qui ont des armes, ils n'ont pas la formation nécessaire et ne sont pas assez payés. Ils travaillent dans des conditions difficiles et malheureusement, en plus, ils sont obligés d'obéir à une hiérarchie, à un ordre et ça tue l'individualité. Et forcément, ça amène des bavures. Ce n'est pas un film contre les flics, parce qu'il y a des bons flics. Il y a des mauvais flics, il y a toutes sortes de gens différents. »
Bernard Pivot tentait une nouvelle fois d'impliquer personnellement Mathieu Kassovitz, « Vous-même, vous n'avez pas la haine des flics ? », lui demandait-il, avant d'obtenir cette réponse sans appel : « J'ai la haine des mauvais flics, oui ! »
Réveiller les consciences
L'idée du film lui était venue d'une bavure policière et le cinéaste rappelait ce fait divers qui l'avait marqué : « Il y a eu une série de bavures en 1993, il y a Makomé qui s'est fait tirer une balle dans la tête dans un commissariat du 18e. Et puis, il y a un enchaînement de choses qui fait que l'on peut se poser la question : comment, aujourd'hui, dans ce pays, on peut se lever le matin et se prendre une balle dans la tête le soir ?"
L'animateur, cherchant visiblement à titiller son invité, lui demandait ensuite d'expliquer sa déclaration à propos du film : « Je voulais faire un film qui rentre dans le lard », Bernard Pivot lui demandait, avec une pointe d'ironie, de commenter sa phrase, « Mais pour rentrer dans le lard de qui ? »
Mathieu Kassovitz, visiblement, conscient de la manœuvre, s'en amusait : « Je ne sais pas, du sujet ! On parle de bavure policière. Il ne faut pas le faire de façon [Il cherche ses mots], il faut le faire avec recul, parce que ce n'est pas simple. Ce n'est pas des histoires qui "arrivent" (…) Il y a des gens qui payent les pots cassés. C'est-à-dire qu'il y a toujours des blessés, c'est toujours les mêmes mecs qui se prennent des balles. Mais la faute n'est jamais que d'un côté, malheureusement, elle se répartit. »
Pivot l’interrompait lui demandant s'il cherchait à « choquer les bonnes consciences, alerter et prévenir ? », ce que le jeune cinéaste ne niait pas : « J'avais un grand-père qui disait "ce qu'il faut, c'est choquer le bourgeois". C'est vrai que c'est quelque chose d'intéressant à faire parce qu'il faut réveiller les gens. Il faut réveiller leur conscience, si c'est possible. Reste que ce n'est qu'un film donc on ne peut pas faire non plus la révolution. » Mathieu Kassovitz ajoutait, qu'il fallait aussi du courage et une volonté de fer pour réaliser ce type de film clivant : « Mais, c'est vrai que parler de ces choses-là, c'est déjà assez difficile, assez délicat. Ce n'est même pas sûr qu'il est bien de faire des films comme ça. Donc, à partir du moment où on le fait, il faut l'assumer jusqu'au bout. Il faut le faire d'une façon assez appuyée. Il faut prendre des partis pris. »
Un film comme un autre ?
Le film devait être présenté le lendemain sur la Croisette, à Cannes, ce qui semblait beaucoup amuser Bernard Pivot, « au Palais, quand il va être présenté devant tout le monde, en robe de soirée, en smoking, ça va quand même chauffer, ça va rentrer dans le lard ? »
Une boutade que le réalisateur prenait avec une certaine résignation, décrivant la superficialité de l'audience cannoise : « Vous savez, le fait d'être à Cannes. Ça fait que le film est rentré dans une institution. Je ne pense pas que les gens soient choqués parce que Cannes est trop protégé. Il ajoutait avec ironie, si on balançait une bombe nucléaire au milieu de Cannes, tout serait foutu, sauf Cannes ! Ne se faisant pas beaucoup d'illusion sur la réception de son film, il concluait, je crois qu'ils vont voir ça. Ils vont trouver ça très sympathique et ils vont passer à autre chose. Je ne pense pas que ça les choque et que ça va les remettre en question. Je ne vois pas les gens sortir dans la rue, jeter leur smoking et dire : c'est vrai ! Ça suffit ! Il faut passer à autre chose. Je ne pense pas que ça choque plus que ça !
Mathieu Kassovitz avait tort, le film projeté lors du Festival de Cannes en avant-première allait remporter un franc succès. Il sortait en salles le 31 mai suivant, réalisant deux millions d'entrées en France.
Hasard des circonstances, les 8 et 9 juin 1995, une émeute éclate à Noisy-le-Grand à la suite de la mort de Belkacem Belhabib pendant une course-poursuite avec la police. Le journal France-Soir titrera un article « Noisy-la-Haine », une référence claire au film.
Nommé onze fois aux César en 1996, La Haine y obtenait trois récompenses, notamment le César du meilleur film. Le film est ressorti le 5 août 2020. Un nouveau public a pu découvrir sur grand écran ce film culte qui a marqué toute une génération.
D'autres extraits de l'émission « Bouillon de culture » :
Pour aller plus loin
JT midi Côte d'Azur : conférence de presse pour "La Haine" au Festival de Cannes. (27 mai 1995)
Quelques extraits de l'émission « Envoyé spécial » du 21 décembre 1995 :
Mathieu Kassovitz à propos du point de départ de son film.
Mathieu Kassovitz à propos de ce qu'il a voulu montrer.
Mathieu Kassovitz et Saïd Taghmaoui à propos du film.
Saïd Taghmaoui raconte une anecdote à l'issue d'une projection du film à laquelle il a assistée en tant que spectateur.
Mathieu Kassovitz et Saïd Taghmaoui à propos de l'accueil du film aux Etats-Unis.
Le rappeur Fabe interprète Lentement mais sûrement accompagné d'un DJ.