PORTRAIT.
L'acteur marseillais Raimu est mort le 20 septembre 1946. S'il débuta sa carrière au music-hall, il fit ses premiers pas au cinéma grâce à l'une des plus grandes vedettes des années 30-40, Sacha Guitry. Mais son statut de vedette, Raimu le doit sans doute à un écrivain et cinéaste, lui aussi marseillais, Marcel Pagnol.
C'est pour Raimu que l'auteur se lance au milieu des années 20 dans l'écriture de sa fameuse trilogie marseillaise : Marius, Fanny et César, puis plus tard La Femme du boulanger, confiant le rôle du mari trompé une fois de plus à son ami Raimu. Cette célébrité permettra sans doute à l'acteur de réaliser l'un de ses rêves, celui d'entrer à la Comédie-Française. Un rêve qui se concrétisera en 1943 comme pensionnaire de la prestigieuse institution théâtrale. Dans ses murs, il excelle dans les classiques, notamment dans Le Bourgeois gentilhomme et Le Malade imaginaire de Molière où il tiendra le rôle-titre. Mais rapidement, Raimu est déçu lorsqu'il s'aperçoit qu'on ne lui propose plus que des rôles secondaires. Finalement la carrière de l'acteur sera précocement stoppée. Il décéda le 20 septembre 1946, suite à un accident de voiture survenu en mars, qui lui laissa des séquelles.
Raimu faisait de très rares apparitions dans les médias, à une époque où la télévision balbutiait encore, mais celui qui en parle le mieux est sans doute le cinéaste qui le mit le plus en valeur, Marcel Pagnol. Dans l'archive en tête d'article, nous sommes en 1961 et Marcel Pagnol dévoile à Pierre Tchernia quelques secrets de son œuvre Marius. Une pièce d'abord écrite pour Raimu, avant de devenir le succès cinématographique qui allait lancer sa carrière. L'auteur commence par décrire la genèse de la pièce montée en 1929 à Marseille : « Je ne pensais même pas qu'on pourrait la jouer à Paris. Je l'avais écrite pour le théâtre de l'Alcazar (à Marseille), dirigé par Franck. Il m'a appelé pour me dire : "tu es un imbécile, il faut la faire jouer à Paris." Je l'ai porté à Simone Volterra [l'épouse de Léon Volterra, directeur entre autres du Casino de Paris et du Théâtre de Paris.] C'est comme ça que l'œuvre est créée au Théâtre de Paris, le 9 mars 1929. »
Le sacré caractère de Raimu !
Si Pagnol avait pensé à Raimu dès l'écriture de la pièce, il n'avait pas écrit le rôle de César [le père de Marius] pour lui. Il souhaitait lui confier le personnage de Panisse [le maître voilier amoureux de Fanny], « parce que c'était le rôle du vieil amoureux et que Raimu était capable de jouer ce rôle de vieil amoureux, d'un certain âge, comme il l'a fait plus tard dans "La femme du boulanger". »
Mais les plans du dramaturge furent contrecarrés par l'acteur en personne : « Raimu n'a pas voulu jouer le rôle de Panisse pour une raison extravagante, confie-t-il, "Il m'a dit : "je veux être le propriétaire du bar. Ce n'est pas monsieur Raimu qui va rendre visite à monsieur Charpin [qui jouera finalement Panisse] mais c'est monsieur Charpin qui doit venir chez monsieur Raimu. » Jeu des égos, lubie ? Quoi qu'il en soit l'acteur entêté obtint gain de cause bien que son argument n'ait pas convaincu l'auteur au départ comme il le relatait encore à Pierre Tchernia : « Cette raison était stupide, et pourtant, je crois qu'il avait raison, car il a été absolument génial dans ce rôle ». Le rôle « d'un comparse, qui n'était pas très important » au départ. Un rôle banal que l'acteur a pourtant magnifié.
La partie de cartes, une scène qui ne devait pas exister...
Marcel Pagnol dévoilait ensuite une anecdote encore plus inattendue à propos de la fameuse partie de cartes, qualifiée de « morceau de bravoure » par Pierre Tchernia.
Marcel Pagnol, Marius, premier volet de sa trilogie marseillaise
1961 - 05:29 - vidéo
Cette scène écrite par Marcel Pagnol n'avait pas été incluse dans la pièce de théâtre originale. Elle tenait pourtant à cœur à Raimu qui en avait pris connaissance. Marcel Pagnol racontait : « La partie de cartes, je voulais la couper, et Volterra ne la connaissait pas. On a répété pendant deux mois sans la partie de cartes, parce que je trouvais que c'était un sketch, et que j'avais à ce moment-là des théories très sévères sur l'art et le théâtre. » Mais c'était sans compter sur la ténacité de Raimu, qui lui, avait bien perçu le caractère comique certes, mais révélateur, de l'art de vivre à la marseillaise. L'auteur poursuivait : « Et puis, Raimu a dit à Volterra un beau jour : "il parait qu'il y a une partie de cartes, un sketch extraordinaire dedans et que j'aimerais beaucoup jouer." Une fois de plus la force conviction de l'acteur allait jouer en sa faveur : « J'ai été obligé de montrer la partie de cartes à Volterra et on l'a introduite à l'avant-dernière répétition. »
Cette fameuse partie de cartes sera également présente le film Marius sorti en 1931. Devenant ainsi, grâce à Raimu, une scène culte, au théâtre, et bien-sûr au cinéma. Un morceau d'anthologie où la mauvaise foi attendrissante des joueurs de cartes marseillais, et de Raimu, magistral, ajoute au réalisme du récit et au piquant de l'intrigue.
Les obsèques de Raimu
1946 - 02:37 - vidéo
Pour aller plus loin :
Les débuts de Raimu à la Comédie-Française dans "Le Bourgeois Gentilhomme" de Molière. (24 mars 1944)
Les obsèques de Raimu. (Actualités Françaises, 26 mars 1946)