En 2022, on célèbre le 400e anniversaire du baptême de Molière, qui fut vraisemblablement célébré le lendemain ou le surlendemain de sa naissance, à Paris. « Les Précieuses ridicules », « L’École des femmes », « L’Avare », « Tartuffe », « Le Misanthrope », « Le Bourgeois gentilhomme »… Les personnages des comédies de Molière font rire et réfléchir depuis 400 ans. Ces pièces du XVIIe siècle résonnent toujours avec notre époque contemporaine et restent comme un graal du comédien. Ce fut le cas pour Louis Seigner (1903-1991). Ce doyen de la Comédie-Française a voué sa vie à Molière.
Entré à la Comédie-Française en 1939, Louis Seigner la quitte en 1974. Le 5 mai de cette année-là, alors qu'il s'apprête à faire ses adieux à l'institution, le comédien est l'invité de l'émission « A propos ». Au micro de Michel Droit, il se penche sur plus de 50 ans de carrière, depuis ses débuts au Théâtre des Célestins de Lyon, « au Grand Guignol» et à l'Odéon, jusqu'aux ors de la Comédie-Française. Mais c'est au Grand Guignol qu'il développe le goût du théâtre populaire comme il le raconte au début de l'entretien : « Vous savez que le spectacle du Grand Guignol était un mélange de fantaisies comiques, de grands drames affreux et aussi de jolies comédies. On y a créé énormément de petits chefs d'œuvres. »
A la maison
Quelle plus belle réussite pour cet acteur amoureux du théâtre que de jouer dans la "maison" de son maître : Molière. Michel Droit l'interroge sur son entrée à la Comédie-Française comme pensionnaire, avant la guerre, le 15 février 1939, sous la direction de monsieur Édouard Bourdet. C'est là que s'épanouit véritablement sa passion pour Molière : « Cette rencontre s'est passée très normalement. Je jouais déjà Molière à l'Odéon, depuis 16 années, vous savez, alors pour moi, ça n'a pas été une rencontre particulière, sinon que je l'interprétais pour la première fois dans "SA maison". Ce qui est assez émouvant pour un comédien. »
Son premier grand rôle allait pourtant marquer sa carrière : « Le premier grand rôle que j'ai joué à la Comédie, c'est "Tartuffe", que j'avais joué à l'Odéon, et qui m'a servi de test pour mon sociétariat. On me l'a fait interpréter dans une mise en scène de l'époque. Je l'ai jouée quatre fois, parce qu'il fallait que les membres du comité me jugent dans cet emploi, dans ce rôle. »
Une pièce oubliée, un rôle fétiche
Plus tard Louis Seigner a marqué deux pièces en particulier de son empreinte indélébile : « Le Bourgeois gentilhomme » et « Le malade imaginaire ». Mais c'est le personnage de Monsieur Jourdain qu'il a le plus interprété : « Je l'ai joué 505 fois sur la scène de la Comédie-Française et peut être autant de fois dans le monde entier en tournée officielle, ou non officielle. » Un rôle qu'il a contribué à remettre au goût du jour après plusieurs années d'oubli. Le comédien reconnait l'étrangeté de cette situation car la pièce n'avait pas été joué depuis les années 1940 par Raimu, un comédien qu'il admirait : « Oui, c'est très curieux. Au cours des trois siècles qui ont précédé cette reprise de 1951, "Le Bourgeois gentilhomme" n'avait été joué que 639 fois en tout, et en 23 ans, nous l'avons joué 505 fois ! »
L'acteur revient sur sa première interprétation de ce rôle : « C'est un concours de hasards heureux. Le Festival de Strasbourg voulait rendre hommage à Lully et jouer une de ses œuvres, et les directeurs du festival ont demandé à la Comédie-Française de monter "Le Bourgeois gentilhomme", ce qui permettait de faire interpréter la partition de Lully. (...) Cela n'avait pas été joué depuis 1942 ou 43. C'était en 1951. C'est curieux, c'est étrange, cette histoire du "Bourgeois gentilhomme", une pièce qui, comme on dit dans le métier, ne marchait pas. »
Huit ans après son modèle, Louis Seigner se glissait enfin dans le costume de Monsieur Jourdain : une révélation : « Il s'est passé un miracle, quelque chose d'extraordinaire. À Strasbourg, cela a été absolument fantastique. (...) Puis nous sommes revenus à Paris, où il y a eu un immense gala offert par l'ONU. Et puis la pièce est partie. Ça a été absolument extraordinaire : la presse, le public. » La distribution de cette première reprise avait selon lui participé au succès : Jacques Charon (le maître à danser), Robert Hirsch (le maître de musique), Dinèse, (le maître de philosophie). Sans oublier « un décor admirable et des costumes admirables de madame Lalique ».
Le Malade imaginaire, une évidence
Louis Seigner raconte ensuite en quelle circonstance il a joué « Le malade imaginaire », un autre de ses grands rôles : "Là encore, j'ai eu le redoutable honneur de succéder à Raimu qui l'avait joué. Quand il a quitté la Comédie-Française, c'est moi qui ai repris le rôle, et à ce moment-là, j'ai dû le jouer à l'occasion d'une tournée en Angleterre (...) »
Cette rencontre avec ces deux rôles-titres était une évidence pour lui : « J'étais dans la maison, j'étais le type même de l'emploi pour jouer ces personnages, il faut une certaine rondeur (...) Vous savez, je n'ai jamais calculé, jamais pensé. Je n'ai jamais su pourquoi ceci? Pourquoi cela? Les choses sont venues ainsi. Je ne sais pas pourquoi j'ai fait du théâtre. Je devais l'avoir dans le sang. Je l'aimais passionnément, sans aucun doute. »
Michel Droit insiste sur le fait qu'il devait quand même être amoureux de Molière pour lui consacrer une grande partie de sa carrière : « Ah oui ! Au point de vue théâtre, j'étais un passionné de Molière (...) Je n'ai pas hésité et je suis entré à la Comédie-Française parce que je savais que je pourrais continuer à jouer Molière. »
Durant sa carrière, Louis Seigner a tourné dans plus de 150 films et a incarné plus de 200 rôles au théâtre. Il a notamment joué plus de 1500 fois « Le Bourgeois gentilhomme. »
Pour aller plus loin :
« En votre âme et conscience » : Trou de mémoire de Louis Seigner. Pendant le direct de cette dramatique, l'acteur Louis Seigner jouant le rôle d'un témoin à la barre est victime d'un trou de mémoire. (14 janvier 1958)
« Au-delà de l'écran » : Louis Seigner, doyen de la Comédie-Française reçoit la télévision chez lui. (6 octobre 1963)
« Aujourd'hui Madame ». Louis Seigner répond aux questions de téléspectatrices venues le rencontrer. Sur la pièce« Le Bourgeois Gentilhomme » et son rôle. « Lorsque je rentre dans le décor du Bourgeois gentilhomme, j'ai l'impression d'être chez moi. » (24 mai 1974)
« Aujourd'hui Madame ». Louis Seigner répond aux questions de téléspectatrices venues le rencontrer. Le trac. Anecdote d'une générale du « Bourgeois Gentilhomme » où il était arrivé 1/4 d'heure avant le début. (24 mai 1974)
« Aujourd'hui Madame ». Rencontre avec Louis Seigner et son épouse depuis 47 ans, chez eux. (24 mai 1974)
« Le club de dix heures » : Louis Seigner à propos du propos du film « Section spéciale » et du rôle qu'il joue, celui du Garde des Sceaux. (8 mai 1975).
« A bout portant » : Francis Perrin, élève de Louis Seigner au Conservatoire. Interview croisée de Francis Perrin et Louis Seigner sur leur relation professeur-élève au Conservatoire National d'Art Dramatique. (15 juin 1979)