L'ACTU.
Dans le procès des « viols de Mazan » (Vaucluse), le verdict a été rendu le 19 décembre 2024. Gisèle Pélicot, violée et droguée à son insu pendant 10 ans par son mari, avait explicitement demandé à ce que le procès de ses agresseurs ne se déroule pas à huis clos. Depuis le 2 septembre 2024, 51 hommes, âgés de 27 à 74 ans, ont été jugés pour des violences sexuelles infligées à sa personne, soumise chimiquement à des hommes inconnus recrutés sur internet par son mari Dominique Pélicot. Ce dernier a été condamné à 20 ans de réclusion.
La tenue publique du procès par la cour criminelle du Vaucluse et les peines importantes requises auraient été impossibles si la loi en matière de viol n'avait changé en décembre 1980.
LE CONTEXTE.
En demandant que les audiences soient rendues publiques et le procès médiatisé, Gisèle Pélicot s'est inscrite dans le combat mené par plusieurs victimes pour dénoncer les violences sexuelles. Certains de ces prises de paroles et procès ont fait avancer la société française sur la question. Ainsi, en 1978, Anne Tonglet et Araceli Castellano, défendues par l'avocate féministe Gisèle Halimi, acceptaient la publicité du procès des trois hommes qui les avaient agressées et violées une nuit d’août 1974. Ce procès fut un tournant dans la perception de la société française sur le viol et permit de changer la loi deux ans plus tard.
Autre exemple de prise de parole courageuse. Le 10 avril 1980, à la veille du débat sur le vote de la loi relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, le journal de 20 heures d'Antenne 2 diffusait le témoignage poignant et cru d'une jeune fille de 18 ans qui avait été violée quelques mois plus tôt. Visage découvert, elle décrivait ce que ressent une victime de viol et pourquoi, très souvent, elle ne porte pas plainte et les conséquences à long terme du traumatisme.
Témoignage d'une jeune fille victime de viol
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Quand on lui demandait pourquoi elle acceptait de témoigner ouvertement, voilà ce qu'elle répondait : « Parce que je plaide la cause de toutes les femmes, de toutes les femmes qui se taisent. Elles ne devraient pas. Elles ne devraient pas se taire afin qu'on puisse faire quelque chose tous ensemble. Si on s'unissait, peut-être qu'on arriverait à quelque chose. C'est sûr. Même si ces hommes font de la prison, c'est sûr que nous, on n'oubliera jamais le mal qu'ils nous ont fait... »
La notion de viol avant la loi de décembre 1980
Avant la loi du 23 décembre 1980, la législation française en matière de viol était moins précise et moins protectrice pour les victimes, notamment en matière de définition du viol. En effet, le Code pénal napoléonien datant de 1810 ne définissait pas explicitement le viol. Il était inclus dans la notion d' « attentats aux mœurs » et considéré comme un crime de « pénétration forcée ». De fait, la jurisprudence établissait que le viol impliquait obligatoirement une pénétration forcée du sexe de la femme par le sexe d’un homme. Il fallait en outre que la victime apporte la preuve de violence physique. Toutes les autres formes de pénétration (anale, buccale, digitale) étaient classées quant à elles comme des attentats à la pudeur et non comme un viol.
Parmi les autres aspects « oubliés » par le Code pénal napoléonien, la notion de viol conjugal n'existait pas. Dans une société où le mariage impliquait un « devoir conjugal », il n'était pas question de viol au sein du couple. Autre point largement minimisé, celui des peines encourues pour viol. Davantage considéré comme un délit que comme un crime, le viol était puni de peines moins sévères et souvent minimisées.
L'esprit de la nouvelle loi
La loi de 1980 allait marquer une rupture en définissant clairement le viol et en reconnaissant des formes de violence sexuelle auparavant ignorées par la loi. Dans son discours, François Massot, le rapporteur socialiste de la commission des lois constitutionnelles soulignait l’importance du nouveau texte de loi pour renforcer la répression du viol et protéger les victimes.
Il mit en avant la nécessité de reconnaître le viol conjugal et de durcir les peines pour les agresseurs. Son intervention fut marquée par un appel à la justice et à la protection des droits des victimes, tout en insistant sur le rôle crucial de la législation dans la lutte contre les violences sexuelles. Il s'agissait dans son esprit de faire un pas de plus vers l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est ce qu'il expliquait dans son discours à la tribune ce jour-là.
François Massot et Monique Pelletier à l'Assemblée nationale
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« Je pense que cette proposition de loi que je vous demande d'adopter au nom de la commission des lois devrait permettre une répression plus réaliste des affaires de violence sexuelle. Elle devrait faciliter l'accès au prétoire des victimes qui seront considérées comme telles et non plus comme des accusées, comme cela a été malheureusement le cas dans de nombreux cas jusqu'à présent. Elle constituera une pierre supplémentaire dans l'évolution juridique et sociale vers une réelle égalité des hommes et des femmes dans notre pays. »
Un débat important dans un hémicycle vide
Si la loi a été officiellement ratifiée le 23 décembre 1980, les débats et le vote à l'Assemblée nationale se sont tenus le 11 avril 1980, après une première passe au Sénat. Les archives de cette journée révèlent une dichotomie étonnante entre l'importance du débat, largement relayé par les médias, et l'absentéisme criant des députés exposé dans les JT dans de multiples plans de l'hémicycle vide. Une absence largement commentée par les journalistes.
L'archive disponible en tête d'article décrit bien la situation. Il s'agit de la dernière édition de la journée sur TF1, présentée par Joseph Poli. « Après la contraception, l'interruption volontaire de grossesse, les députés ont aujourd'hui parlé du viol. C'est un signe des temps. Le législateur réglemente maintenant en détail certains aspects moraux ou sociaux de notre vie quotidienne. Il faut s'en réjouir, car sur tous ces sujets, le code était bien désuet et poussiéreux ». Il poursuit son lancement en décrivant l'importance de cette loi pour les femmes, mais pas seulement, pour toute victime de viol, non sans s'étonner du manque de ferveur des députés : « Il faut s'en réjouir pour les femmes, mais pas seulement pour elles. Car en ce qui concerne le crime de viol, il sera applicable aux actes de violence sexuelle commis ou simplement tenté contre des personnes et non plus simplement contre des femmes.
Même étonnement quelques heures plus tôt, à l'heure du déjeuner dans l'édition du journal d'Antenne 2. Dans son lancement, le journaliste Patrick Lecocq avait également souligné le contraste entre les débats enflammés liés à l'IVG défendue par Simone Veil, alors ministre de la Santé, en novembre 1974 et ce débat pourtant tout aussi important.
Le débat sur le viol débute à l'Assemblée nationale
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Patrick Lecocq s'étonne du désintérêt des députés : « Et pourtant, autant l'IVG., l'interruption volontaire de grossesse, avait suscité une forte animation à l'Assemblée nationale lors du débat qui lui était consacré. Autant le débat sur le viol, qui a commencé hier au Palais Bourbon, ne semble guère intéresser nos élus. La répression du viol a pourtant constitué ces dernières années l'un des combats les plus importants des organisations féminines françaises. »
Malgré ce désintérêt apparent, « c'est à l'unanimité que les députés ont approuvé la proposition de loi déjà votée par les sénateurs. Il y avait peu de monde, mais le débat a été intéressant », concluait pour sa part Joseph Poli dans l'archive en tête d'article. Tout au long de la journée, c'est Marie-Laure Augry qui avait suivi le débat pour TF1, elle expliquait à quel point la loi apportait des changements significatifs en matière de répression du viol en France. Dans un duplex en direct du Palais Bourbon, Marie-Laure Augry résumait les principaux points du texte, en commençant, comme son confrère, par une discrète critique de l'absentéisme des représentants du peuple sur les bancs de l'Assemblée : « ils n'étaient qu'une vingtaine cet après-midi dans l'hémicycle. »
Son papier débutait par des chiffres édifiants : « 30 000 viols par an en France, mais seulement 1600 plaintes, dont 280 ont abouti aux Assises en 1976 (...) Il était urgent de modifier une loi vieille d'un siècle dont certains articles dataient du Second Empire. Débat nécessaire donc, mais qui n'a pas mobilisé les députés (...) Il faut dire que la date était particulièrement mal choisie : un vendredi après-midi en pleines vacances de Pâques. De toute façon, rassurez-vous, le plus important, ce sont les travaux d'avant la discussion et en l'occurrence, les travaux de la commission des lois. »
Un texte plus protecteur pour les victimes
Elle poursuivait en résumant les nouvelles avancées de la loi. En premier lieu, la définition du viol : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, tenté ou commis sur la personne d'autrui - et donc pas seulement sur les femmes - contrainte ou surprise, constitue désormais un viol. »
La journaliste revenait ensuite sur un autre point saillant de la loi : les peines encourues. Désormais le viol serait considéré comme un crime passible de la cour d’assises, avec des peines de réclusion criminelle « pouvant aller de 10 à 20 ans ». Elle évoquait également d'autres aspects, comme une meilleure protection de la vie privée, avec la possibilité de demander le huis-clos ou l'anonymat, mais aussi une meilleure protection des victimes, avec le recours au soutien d'associations, « des associations de femmes peuvent désormais se porter partie civile », précisait-elle. Et de conclure que cette loi était « un pas important qui devrait sans doute faciliter le changement des mentalités ».
En finir avec l'archaïsme
Ce changement de mentalités dans une société patriarcale archaïque était un autre aspect largement abordé dans les journaux télévisés tout au long de la journée. À l'image du 13 heures de TF1 présenté par Dominique Baudis qui lançait un sujet sur le vote de la loi en citant des propos de l'avocate Gisèle Halimi qui en disait long sur la question du viol dans la société française : « Il est anormal qu'on risque moins de prison pour avoir violé une femme que pour avoir percé un coffre-fort. »
Après que Marie-Laure Augry a résumé la teneur du texte, la parole était laissée à une avocate, maître Josyane Moutet, sur l'élargissement de la définition du viol, beaucoup moins restrictive comme nous l'avons vu précédemment. Elle insistait sur une autre mesure en faveur des femmes en matière de notion de consentement qui ne serait plus présumée. « C'est un point très important, car cela gênait énormément les femmes dans les affaires, dans les rares affaires, où on arrivait en justice. C'est cette espèce de consentement présumé en quelque sorte, qui allait et qui va avec des mentalités, il faut bien dire archaïques, qui sont en train de changer. »
Loi viol
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Le viol conjugal aux assises
Un autre aspect capital de la loi de décembre 1980 fut la reconnaissance du viol entre époux ou viol conjugal, sujet tabou s'il en est. Cette notion était une réelle avancée sociétale et mettait un terme à la notion ancestrale de « devoir conjugal ». D'ailleurs une peine de réclusion criminelle de 15 ans pouvait désormais être portée à 20 ans en cas de circonstances aggravantes, telles que le viol entre époux ou concubins.
Ce sujet clivant était évoqué par l'écrivain Marcel Jullian et des téléspectatrices, quelques jours après le vote de la loi, le 18 avril 1980, dans « Aujourd'hui madame ». Une archive à regarder ci-dessous.
L'écrivain Marcel Jullian et le devoir conjugal
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Marcel Jullian souligne le caractère révolutionnaire de cette décision de faire disparaître la notion de « devoir conjugal » : « D’un devoir, on passe maintenant du gré à gré »
La loi sur le viol commentée par des téléspectatrices et l'écrivain Marcel Jullian
Dans ce débat de 10 minutes diffusé dans « Aujourd'hui madame » le 18 avril 1980, des téléspectatrices - pour et contre la loi - commentent les différents points du texte qui vient d'être voté. Certaines réflexions peu féministes de femmes provoquent la stupéfaction des deux présentateurs. Il est notamment question du viol conjugal, de la société phallocrate, de l'éducation des garçons, du consentement, de la nécessité de changer les mentalités et du poids de la société. L'écrivain Marcel Jullian tente de synthétiser les avancées du texte et d'expliquer les causes des viols (société permissive, pornographie, disparition de la prostitution institutionnalisée, féminisme...)