Le président de la Conférence des évêques de France est au centre d'une polémique après avoir affirmé le caractère sacré du secret de la confession. Tout a débuté mercredi 6 octobre, au lendemain de la publication du rapport Sauvé sur l’ampleur de la pédocriminalité dans l’Eglise de France depuis 1950. Invité à s'exprimer sur France info, Mgr Eric de Moulins-Beaufort a déclaré que le secret de la confession était "plus fort que les lois de la République".
Des propos rapidement condamnés, notamment par Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité, rappelant que "les membres de l’Eglise ne bénéficient pas d’une exception" au Code pénal.
Le soir-même, le religieux a précisé son propos, déclarant que si le droit au secret était inviolable "le droit canonique qui impose aux prêtres le secret de confession comme absolu et inviolable (canon 993) n'est pas donc contraire au droit pénal français." Il ajoutait qu'il faudrait "renforcer la formation des prêtres à l’écoute de ces cas graves, pour accompagner toujours mieux les victimes à identifier les lieux et personnes ressources en dehors de la confession".
Le même discours
Un discours qui résonne avec celui d'un autre ecclésiastique, daté de 1961. A l'époque, un aumônier, qui avait écrit à un procureur pour innocenter un condamné, était au centre de l'actualité. Tout avait débuté le 13 mai 1960. Francesco Arancio, 25 ans, et Louis Chaix, 23 ans, étaient condamnés aux travaux forcés à perpétuité par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône pour avoir attaqué une bijouterie et mortellement blessé le propriétaire. Rapidement, plusieurs voix s'étaient élevées pour proclamer l'innocence de Francesco Arancio. Parmi elles, celle d'un prêtre, l'abbé Jean Limozin, aumônier de la prison des Baumettes. Il ira jusqu'à rompre la loi du silence imposée aux religieux en écrivant une lettre au garde des sceaux de l'époque pour l'avertir qu'il avait appris en confession qu'Arancio était innocent et qu'il avait obtenu une confession écrite, détenant ainsi la preuve de l'innocence de l'accusé. Malgré ce rebondissement, Arancio avait tout de même était condamné.
Cette affaire faisant grand bruit, obligea l'église à s'exprimer publiquement sur cette question du secret confessionnel. L'archive en tête d'article est extraite de la rubrique "En réponse à votre lettre" du magazine religieux du dimanche du 8 octobre 1961. Ce matin-là, Monseigneur Jean Rodhain, aumônier général de prisons, fait une mise au point à propos du témoignage de l'aumônier et du secret de la confession. Jean Rodhain commence par expliquer que l'abbé Jean Limozin a bien fait état "d'un secret" qu'on lui avait confié mais n'avait jamais dit qu'il l'avait reçu en confession. Ce qui change tout, car la confession est sacrée et ne peut être divulguée. L'ecclésiastique explique ensuite pourquoi l'Eglise ne peut être tenue responsable de l'accusation d'un innocent, alors même qu'elle aurait appris l'identité du coupable en confession : "Si l'innocent est condamné, il l'est en raison de la lâcheté du meurtrier ou du témoin, mais pas du tout en raison de la lâcheté du prêtre ou du secret de la confession." Selon lui, "le vrai responsable, c'est le meurtrier qui a essayé d'avoir le pardon en se confessant". Pour Jean Rodhain, c'est évident : "Ne faisons pas glisser la faute du meurtrier au confident".
Un secret protégé par la loi
Quant à savoir si un prêtre pourrait faire état d'un aveu en justice et si ce témoignage serait valable, sa réponse est tout aussi tranchée. L'aumônier général se basant sur l'article 384 du code civil explique qu'il n'en a pas le droit car cet article stipule "qu'un tribunal n'a nullement à faire état du témoignage d'un aumônier ou d'un prêtre", puis il insiste sur l'interdiction faite par le droit canon de dévoiler le contenu d'une confession, "ils ne peuvent faire ni état ni allusion à ce qu'ils ont appris".
"Au confessionnal, ma charge est d'être un homme secret auquel on se confie et on se fie… Je ne vais pas un beau jour rompre cette confession, ce secret, pour dénoncer, pour innocenter, pour accuser, pour intervenir. Que la police, que la justice s'occupent de ce domaine ! C'est leur rôle, ce n'est pas le mien", conclura-t-il fermement, avant d'ajouter que le prêtre joue avant tout un rôle pédagogique, "d'indiquer à celui qui s'accuse, qu'avant d'être pardonné, il doit réparer".
En conclusion, Jean Rodhain érigera le secret de la confession comme un rempart à l'exhibitionnisme latent : "En cette époque d'exhibition, où le journal, la radio, quelquefois, dévoilent à chaque instant la vie privée des individus, il y a un lieu où chaque personne est certaine de pouvoir se confier… N'allons pas toucher à ce domaine, le seul à l'heure actuelle qui est un domaine secret. Je crois que c'est l'Église qui est extrêmement respectueuse de la liberté de l'individu".
La société a évolué, mais à l'heure des réseaux sociaux, le discours officiel de l'Eglise, lui, n'a pas changé. Jeudi 7 octobre Eric de Moulins-Beaufort a finalement été "invité" au ministère de l’Intérieur "afin de s’expliquer sur ses propos". Il rencontrera le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin mardi à 14 heures.
Interview de l'abbé Limozin à propos de l'affaire Arancio
1972 - 10:14 - vidéo
En 1972, dans l'émission "Les dossiers de l'écran", l'abbé Jean Limozin revenait sur l'affaire Arancio. Il justifiait les révélations qu'il avait faites à la justice en 1960, puis à la presse, alors qu'il était aumônier à la prison des Baumettes à Marseille. Il évoquait le devoir du prêtre de passer outre le "secret professionnel" dans certains cas : "Dans cette affaire comme il n'y avait pas d'autres moyens, il y avait possibilité, même le devoir de passer outre à ce secret confié, non pas au confessionnal, mais amicalement et sachant que j'étais prêtre".
Pour aller plus loin :
Le Père de la Brosse, porte-parole de l'épiscopat français et le secret de la confession. (13 septembre 1997, "Du fer dans les épinards")