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Le camp de concentration de Ravensbrück, des rescapées témoignent

Le camp de concentration de Ravensbrück, des rescapées témoignent

Le 30 avril 1945, le camp de concentration de Ravensbrück spécialement réservé aux femmes était libéré. Jusqu'en 1945, 132 000 femmes et enfants y seront déportés. 90 000 y périront. Des survivantes témoignent.

 

Par Florence Dartois - Publié le 10.05.2019 - Mis à jour le 30.04.2020
 

La libération s'était échelonnée du 23 au 30 avril 1945, la Croix Rouge fut la première à obtenir l'autorisation d'intervenir dans le camp. Le 27 avril suivant, le camp est évacué pour être totalement libéré le 30 avril 1945. Il avait été ouvert le 15 mai 1939 par le régime nazi. Il se situe en Allemagne à 80 km au nord de Berlin, sur les bords du lac Schwedtsee, en face de la ville de Fürstenberg/Havel. Durant la guerre, le camp est le plus gros fournisseur de main-d'œuvre féminine pour les industries d'armement allemandes et les mines de sel. Parmi les détenues qui provenaient de l'ensemble de l'Europe, le plus grand groupe national était composé de Polonaises.

Geneviève de Gaulle-Anthonioz, « J'ai vu sur les visages la pire détresse »

Parmi les femmes célèbres déportées dans ce camp, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, la nièce du général, se fit un devoir de témoigner malgré la douleur du souvenir. Dans Bouillon de culture en 1998, Bernard Pivot la reçoit à propos de son ouvrage La traversée de la nuit dans lequel, pour la première fois, plus de cinquante ans après sa libération, elle raconte son expérience de déportée à Ravensbrück. Elle évoque en premier lieu la difficulté à témoigner, si commune aux déportées : « Au début, je n'aurais pas pu en parler, c'était trop difficile d'en parler. Comme tant d'autres. Et puis, quand nous commencions à parler, personne ne voulait nous écouter. On n'avait pas envie de nous entendre. C'était un langage qui n'était pas perceptible, nous l'avons tout de suite compris. »

Avec ce livre, elle veut témoigner plus intimement et s'adresser à un homme ou une jeune femme qui se poserait des questions sur l'avenir du monde, sur ses propres espérances. Avec le matricule « 27 372 », Geneviève de Gaulle-Anthonioz a vécu 16 mois de sa vie à Ravensbrück. Ce récit prend place entièrement dans ce que les prisonnières appelaient le « bunker », une prison au cœur du camp.

Bernard Pivot lui demande si elle a perdu la foi pendant cette période. Elle lui répond « on la cherche toujours… mais par contre ce que j'ai retrouvé de Dieu. Je l'ai retrouvé sur le visage de certaines de mes camarades. J'ai vu sur les visages la pire détresse, une détresse inimaginable, quelque chose qui est mort dans l'être humain. J'ai vu aussi ce qui était de plus grand et de plus noble et ce n'était pas forcément des femmes qui étaient croyantes. C'étaient des femmes qui étaient au-dessus de cette destruction humaine. Qui devenaient plus humaines et ça pour moi, c'était la présence de Dieu. »

Au début du livre, elle évoque 75 Polonaises qui furent mutilées dans ce camp où l'on procédait à des expériences "médicales" sur les déportées. « Il y a eu des malheureuses cobayes qui ont été opérées jusqu'à six fois, mutilées d'une manière horrible. On leur a prélevé des os, des muscles sur les jambes. Et inoculé, car il y avait des séries pour le tétanos, pour la gangrène et des séries pour le staphylocoque doré. Ces camarades essayaient de disparaître dans le camp et elles ont été rattrapées et celles qu'on a rattrapées, on les a opérées dans le bunker, là où j'étais. C'est-à-dire, sans anesthésie, sans asepsie et dans ces espèces de cachots horribles. Tout de suite, elles sont venues à moi, car j'étais au milieu du camp. J'entendais le matin la sirène et je savais qu'on allait se relever dans ce cauchemar. »

Contre toute attente, le bonheur est parfois au rendez-vous dans cet enfer. Elle se souvient des manifestations de tendresse entre déportées, notamment à l'occasion des anniversaires : « Les femmes disent solidarité, comme les hommes, mais elles disent également un mot que les hommes ne disent pas peut-être par pudeur, elles parlent de tendresse. Nous avions entre nous une grande tendresse… on gardait la mie de ce pain, infect d'ailleurs, qu'on malaxait avec une espèce de mélasse. On faisait une sorte de gâteau avec des brindilles et des petites fleurs. Et moi, on m'a souhaité comme ça dans le camp mes 24 ans… C'est extraordinaire. Dans ces jours terribles, ces épouvantables expériences, c'est curieux la vie humaine. Il y avait en même temps des moments de bonheur et on les attrape quand ils arrivent. » « Des miettes de bonheur » auxquelles les rescapées repensaient toujours bien des années après.

Germaine Tillion, « Je suis très soucieuse de vérité... »

Parmi les autres femmes emprisonnées à Ravensbrück, il y avait aussi la résistante Germaine Tillion, arrêtée en août 1942 et déportée en octobre 1943 à Ravensbrück, après une dénonciation. Dans le journal de 13h00 du 26 décembre 2000, l'ethnologue témoigne à son tour des horreurs vécues à Ravensbrück, un camp où les chambres à gaz fonctionnèrent jusqu'aux dernières heures avant la Libération. Pendant ses 18 mois de détention, elle va mener l'enquête, retenir les noms de ses bourreaux, accumuler des preuves pour témoigner, plus tard… au péril de sa vie.

Germaine Tillion
2000 - 02:55 - vidéo

« Je ne m'imaginais pas sortir vivante mais je me disais que si je l'explique à toutes mes camarades, celle qui sortira pourra le raconter… »

À sa libération, en 1945, Germaine Tillion va débuter une longue enquête, recueillir des témoignages. Le début d'une vie vouée à témoigner, même plus tard, lorsqu'elle s'intéressera aux crimes commis pendant la guerre d'Algérie. Son combat : la vérité ! « Je suis très soucieuse de vérité et très anxieuse de répandre cette vérité. Malgré le camp, elle restera toujours une farouche adversaire de la peine de mort "et pourtant il y a des criminels auxquels je ne pardonne pas… »

Témoigner à tout prix !

Mais, le devoir de mémoire, elles sont des centaines d'anonymes à l'avoir perpétré. Pour elles, la même douleur, la même peur d'évoquer ce passé et le même courage. À l'image de Michèle Deconinck, dans l'émission Dominantes, en avril 1975. Si elle accepte de remuer le passé, c'est « parce que j'ai le sentiment que je dois le faire parce que toutes ces horreurs se font encore un peu partout. »

En 1976, se déroulait à Reims un congrès international des femmes rescapées de Ravensbrück. À cette occasion, des rescapées rémoises, anciennes résistantes (agents de liaison ou distributrices de tracts) témoignaient et décrivaient une journée au camp.

« Levées à 3h20 le matin. On recevait une espèce de quart d'une mixture noirâtre et on faisait l'appel jusqu'à 5h00 par des températures à des fois – 30°c, avec sur le dos une robe rayée et des sabots. C'est pas étonnant, la mortalité était de 80%. Ensuite, on allait travailler, au déjeuner : une soupe de rutabagas ou de légumes déshydratés. Travail l'après-midi et on refaisait l'appel et on allait se coucher dans des baraques à 3 ou 4 par lit… »

Une autre se souvient des sévices subis : « Et un jour de novembre, mon numéro a été appelé et j'ai dû me présenter pour aller travailler dans un commando. Évidemment, j'ai dû y aller et la veille de ce départ, on nous a fait lever de très bonne heure. Nous sommes restées nues toute la journée sous la neige, sans rien manger et quand la nuit est tombée, au crépuscule complet, on nous a fait passer dans une salle de douche et on a voulu nous "réchauffer" avec un jet d'eau glacé. »

L'une d'elle devait soigner les bébés qui naissaient dans le camp : « Ils ont gardé ces enfants à partir de septembre 1944, car avant, ou bien le médecin-chef la faisait avorter, ou bien, on laissait venir l'enfant à terme et il était tué au pied du lit de la mère… Durant l'hiver 44-45 jusqu'à la libération, il est né 850 bébés. Seuls 3 petits Français et 2 ou 3 petits Polonais ou Russes ont survécu, tous les autres sont morts. »

Une autre raconte que les femmes ont toujours été combattantes avant, pendant l'arrestation et après dans les camps « combattantes sous la robe rayée... même vieilles, même grand-mères, nous sommes encore combattantes et nous serons combattantes jusqu'à notre dernier souffle parce que devant le nazisme qui réapparaît, nous avons juré à nos amies restées là-bas qu'il n'y aurait plus jamais de Ravensbrück. »

Pour aller plus loin :

Cinq colonnes à la Une : Germaine Tillion à propos de sa déportation à Ravensbrück en tant que « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard). Les conséquences de la déportation dans sa vie et de la question de la mort. L'Europe. Le souvenir qu'il faut maintenir. Son sentiment d'indignation qui lui a permis de tenir, son dégoût de l'humiliation. (8 mai 1964)

Seize million de jeunes : une mère raconte (difficilement) à sa fille pourquoi elle a été arrêtée pour Résistance et l'épreuve de sa déportation à Ravensbrück. Une expérience « intransmissible ». (6 juin 1964)

Dominantes : Michèle Deconinck, ancienne déportée à Ravensbruck témoigne sur la pratique de la religion dans le camp, sur son travail de terrassement à Ravensbrück, sur les femmes SS et sur la mort de sa mère, morte d'épuisement sans qu'elle puisse la revoir. (30 avril 1975)

JT de midi, Reims : à l'occasion du 50ème anniversaire de la Libération des camps de concentration, témoignage de Fernande Servagnat, une Marnaise déportée durant la Seconde Guerre mondiale à Ravensbrück (29 avril 1995)

Le cercle de minuit : Lise London. La survie grâce à la solidarité (15 mai 1995)

JT midi Reims : Témoignage de Jeanne-Andrée Pâté, ancienne résistante et déportée. « On était toujours vaillantes… » ; le travail ; la solidarité… (29 avril 2000)

13h00, le Mag : Yvette Lundy résistante, raconte son arrivée au camp, les coups reçus, l'amaigrissement rapide, le meurtre des enfants, les expériences scientifiques, l'importance des témoignages pour dénoncer l'horreur, « On est dans un monde absolument irréel dans l'horreur… » (10 avril 2010)

19-20 JT soir Poitou Charentes : Journée nationale de la déportation, témoignage de Renée Moreau, 92 ans, résistante. « Je ne m'appelle plus Renée Moreau, je m'appelle « 19360 », le travail, l'évasion en 1945, la rencontre avec les libérateurs russes le 1er mai 1945. (28 avril 2012)

Grand Soir 3 : Anise Postel-Vinay. Interview de cette rescapée des camps, amie de Germaine Tillion et de Geneviève de Gaulle-Anthonioz qui allaient être "panthéonisées" le lendemain. Elle rencontre Germaine Tillion dans le train. Elle a 20 ans, Germaine, 35. Elle était toujours très calme et pleine d'humour, elle va la prendre sous son aile. Anise raconte comment elle a sauvé la vie à Geneviève de Gaulle-Anthonioz qui travaillait dans des bataillons très durs. (26 mai 2015)

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