Au matin du 19 février 1945, 30 000 soldats américains, principalement des Marines, prennent place dans les barges de débarquement qui s’apprêtent à attaquer l’île japonaise d’Iwo Jima. D’une superficie d’à peine 21 km2, l’île est plate, rythmée par le solitaire mont Suribachi qui culmine à 169 mètres. Iwo Jima est un minuscule point perdu dans le Pacifique, à 1000 kilomètres au sud des côtes japonaises.
Se rapprocher du Japon
Pour le commandement américain, c’est un objectif d’une importance vitale, l’aboutissement d’une stratégie globale dans la conduite de la guerre du Pacifique, que Nicolas Bernard résume ainsi : « Après le traumatisme initial de Pearl Habor en décembre 1941, les Américains veulent se rapprocher progressivement du Japon pour soumettre le pays aux bombardements et le mettre à genoux ».
Mais aux premiers mois de l’année 1942, l’empire du Japon est à son apogée, et s’étend sur toute l’Asie du Sud-Est. Les Américains ne possèdent aucune base assez proche de l’archipel nippon pour y effectuer des bombardements. Mis à part le raid exceptionnel sur Tokyo, le 18 avril 1942, mené par des bombardiers B25 depuis le porte-avions USS Hornet, entrepris pour regonfler le moral d’une armée américaine en mauvaise posture, les Alliés devront en effet attendre juin 1944 pour s'attaquer pour la première fois au Japon depuis leurs bases en Chine.
« Cet isolement géographique de l'archipel nippon explique la nécessité pour les Américains de reconquérir le Sud-Est asiatique », explique Nicolas Bernard. Une stratégie que les Alliés déploient à partir de l’été 1942 avec la campagne des îles Salomon, un territoire au large de l’Australie. « Entre 1942 et 1945, les Américains vont remonter toujours plus au nord, vers le Japon, et reprendre des territoires plus à l’ouest, comme l’archipel des Philippines, coupant ainsi aux Japonais leur approvisionnement en pétrole », poursuit Nicolas Bernard.
A l'été 1944, alors que la France est libérée du joug nazi, les Américains prennent pied sur les îles Mariannes, à 2500 km du Japon, et installent leurs premières bases de bombardiers à long rayon d'action, les fameux B29, en dehors de la Chine.
« Iwo Jima, située encore plus au nord de l'archipel des Mariannes, doit permettre d’installer un nouvel aérodrome d’où pourront décoller les missions de bombardement sur le Japon, mais également de servir de point de repli plus rapide à atteindre que les Mariannes pour les avions endommagés, » explique Nicolas Bernard. « Surtout, l’île doit enfin permettre aux B29 d’être accompagnés par des chasseurs Mustang P51, à plus faible rayon d’action ».
Une défense redoutable
L’état major japonais est lui aussi conscient de l’importance stratégique de l’île. Le général Tadamichi Kuribayashi, « l’un des meilleurs cerveaux de l’armée japonaise », se voit confier sa défense, qu’il entreprend de façon systématique. Profitant du terrain, il transforme Iwo Jima en camp retranché, et cache ses 22 000 soldats dans les centaines de galeries souterraines de cette île volcanique, qu’il transforme en autant de bunkers. Malgré l’ampleur de la préparation, les soldats japonais savent qu’ils vont mourir. Ils sont prêts à se sacrifier pour ralentir l'invincible avancée américaine.
A partir de janvier 1945, pour préparer l’assaut amphibie, les Américains tirent 14 000 tonnes d’obus.
Le 19 février, lorsque le tir cesse et que l'attaque est lancée, les Marines imaginent en approchant de l’île que les Japonais ont été pulvérisés par le feu d'artillerie. Mais alors que les barges s’apprêtent à atteindre le rivage, un déluge de mitraille et de mortier s’abat sur eux.
Les résistances nippones infligent de terribles pertes aux Américains, fauchés en débarquant. « L’un des principaux problèmes rencontrés par les Marines sur les plages, raconte Nicolas Bernard, en plus de ce feu nourri, est la piètre qualité d'un sable de basalte qui glisse entre les doigts et empêche les soldats de creuser des trous pour s’y protéger. »
Photo du mont Suribachi prise en 2001. Source Wikipedia.
Au prix de terribles pertes, les Marines parviennent tout de même à prendre pied. A coup de grenades et de lance-flamme, ils délogent des réduits et cavernes les Japonais qui s’y sont retranchés.
Après quatre jours de terribles combats, les Américains atteignent le mont Suribachi, point culminant de l’île, pour lequel, selon le commentaire des archives américaines, « un Marine sera tué pour chaque mètre pour atteindre le sommet ». Ils hissent alors le drapeau étoilé, moment qui sera immortalisé par la photographie de Joe Rosenthal, ainsi que par le film de Bill Genaust, un caméraman tué seulement quelques heures après.
Mais les combats ne sont pas terminés pour autant. Les Japonais se retranchent à l’autre extrémité d’Iwo Jima. Jusqu’au 26 mars, les combats seront acharnés. Le blockhaus du général Tadamichi Kuribayashi ne sera neutralisé que le 25 mars.
L'Enfer du Pacifique
Les Américains vont déplorer 6 821 morts et 19000 blessés. « Sept Américains sur cent qui se sont battus dans le Pacifique sont morts à Iwo Jima. Un blessé sur dix l’a été dans cette bataille », explique Nicolas Bernard. Un épisode emblématique de l’engagement des Marines. « C’est tout simplement la bataille la plus coûteuse de toute l’histoire du corps », conclut l'historien : 5931 Marines y ont perdu la vie.
Autre preuve, s'il en est besoin, de la violence des combats : les Japonais ne retrouveront que 8700 corps sur leurs 22 000 combattants tués.
Il y 25 ans, le Pacifique en flammes
1967 - 12:11 - vidéo
Fait incroyable, les deux derniers soldats japonais ne se rendront que le 6 janvier 1949, après avoir survécu pendant quatre ans à la défaite de leur pays dans des grottes de l’île, subsistant grâce à des rations alimentaires volées à la garnison américaine. Ces hommes font partie d’une longue liste de soldats refusant de se rendre ou de croire en la défaite de leur pays, que les Américains ont nommé les « Stragglers » (les « trainards »). Le dernier d’entre eux, caché sur l’île de Morotai, en Indonésie, ne se rend qu’en janvier 1974.
La violence des combats d’Iwo Jima a inspiré le réalisateur Clint Eastwood, qui consacra à la bataille deux films, Mémoires de nos pères et Lettres d'Iwo Jima.
Plus généralement, pour les Américains, cette lutte pour un minuscule rocher perdu en plein océan Pacifique symbolise jusqu'à aujourd'hui la dureté d'un conflit marqué par l'extraordinaire ténacité et résistance des combattants japonais.
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