L'ACTU.
« Mais la petite fille en moi ne peut plus taire ce nom ». Le 6 janvier 2024, Judith Godrèche a choisi Instagram pour dénoncer les agissements du réalisateur Benoit Jacquot avec qui elle a eu une relation alors qu’elle avait à peine 15 ans. « Il s'appelle Benoît Jacquot ». Sur son compte, elle a écrit : « Il manipule encore celles qui pourraient associer leurs noms au mien. Il menace de me traîner en justice pour diffamation ». Elle dénonçait une relation «d'emprise» et surtout le silence des adultes autour d'eux. Un mois plus tard le 6 février 2024, l'actrice a porté plainte pour viols sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité à la Brigade de protection des mineurs pour ces faits datant de la seconde moitié des années 1980, et qui sont possiblement prescrits. Dans la foulée, une enquête a été ouverte confiées à la Brigade de protection des mineurs. Cette même enquête a été élargie au cinéaste Jacques Doillon.
LES ARCHIVES.
L’actrice, également réalisatrice et scénariste, a réalisé en 2023 une série intitulée Icon of the french cinéma dans laquelle elle relate ses débuts d'actrice, notamment avec le réalisateur Benoît Jacquot qui l'avait révélée au grand public dans le film Désenchantée sorti en 1990. Le long métrage décrivait le passage de l’âge d’enfant à l’adolescence. Le film avait été écrit et inspiré par la jeune fille, comme l’expliquaient le cinéaste et son actrice dans le 12-13 de FR3 du 25 octobre 1990. Dans cette double interview à découvrir ci-dessous, Judith Godrèche, 18 ans, confiait « adorer » son personnage, « une enfant adolescente » qui passait au stade « d’adolescente femme » et qui avait du mal à se décider entre trois hommes.
Interview de Judith Godrèche et Benoît Jacquot pour le film «Désenchantée»
1990 - 03:37 - vidéo
« J’ai travaillé à partir d’un personnage, mais un personnage qui est fabriqué, inventé pour Judith. Et si le film a une vérité, c’est la vérité de Judith évidemment ». (Benoit Jacquot)
Une relation connue, mais jamais dénoncée
Judith Godrèche et Benoit Jacquot vécurent ensemble six ans. Une relation qui était régulièrement évoquée dans les médias et à la télé, avec plus ou moins de discrétion. D’ailleurs, la comédienne a partagé sur Instagram une ancienne interview où Benoit Jacquot reconnaissait avoir mené une relation avec la très jeune fille mineure qu’elle était alors. C'était dans un documentaire réalisé par Gérard Miller en 2011 « Les Ruses du désir : l’interdit ». Certains de ses propos ont été publiés par Libération : « Oui, c’était une transgression. Ne serait-ce qu’au regard de la loi telle qu’elle se dit, on n’a pas le droit en principe, je crois. Une fille comme elle, comme cette Judith, qui avait en effet 15 ans et moi 40, je n’avais pas le droit. Mais ça, elle n'en avait rien à foutre, et même elle, ça l’excitait beaucoup, je dirais. »
Si le couple qu'ils formaient à la fin des années 80 pouvait étonner, il ne paraissait choquer personne. Leur différence d’âge suscitait plutôt l'ironie, à l'instar de Thierry Ardisson en février 1992 dans l’émission « Double jeu » à découvrir ci-dessous. Judith Godrèche avait alors 20 ans et vivait toujours avec le réalisateur. L'animateur l’interrogeait sur son amour pour les « hommes mûrs » et sur son émancipation précoce : « Quand tu es partie de chez toi, il parait que c’était pour un vieux de 35 ans… c’est toujours le même, il parait, c’est vrai ? – Oui ». Ce jour-là, le nom de l’homme n’avait pas été explicitement mentionné, mais la jeune actrice reconnaissait toujours vivre avec lui.
Interview oui non Judith Godrèche
1992 - 02:49 - vidéo
Aujourd'hui, Judith Godrèche affirme que sa vie en couple avec le réalisateur était rythmée de violences verbales et physiques, et qu'elle récuse avoir été sous le charme de cet homme d'une trentaine d'années de plus qu'elle.
Toutefois, et on le voit dans les archives, leur histoire suscitait de l'étonnement, à l'image de Sylvain Augier dans « Faut pas rêver » en avril 1995 qui l'interrogeait sur son émancipation précoce pour vivre avec un homme. À l'époque, la jeune fille avait prononcé une phrase qui résonne aujourd'hui avec ses propos partagés sur Instagram : « On peut vivre des choses que vivent les adultes tout en restant un enfant ». Mais il n'était toujours pas question d'emprise. (Le son de cette archive est très médiocre, mais audible, NDLR)
Dix ans plus tard, le 6 mars 2005, dans l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », Marc Olivier Fogiel s'était interrogé sur le comportement de la jeune femme qui évoquait volontiers cet amour hors norme. Il l'avait longuement interrogée sur cette relation, citant le nom de Benoit Jacquot. Dans cette émission, l'animateur s’étonnait de la facilité de la comédienne à se livrer sur sa vie privée. Il lui demandait pourquoi et soulignait l’incongruité de leur histoire. Il citait certains de ses propos piochés dans la presse, comme cette déclaration glaçante : « Quand je suis partie à 15 ans, mon père n’aurait pas dû me laisser faire. Je me croyais adulte, mais je ne l’étais pas du tout ». Elle révèle aujoud'hui le rôle de son père, qui ne réagissait pas à la relation qu'elle avait avec le cinéaste.
Dans la presse, l'actrice commençait à dénoncer le silence de ses proches, mais sur le plateau, ce jour-là, elle restait évasive, expliquant simplement avoir accepté d'en parler pour « se protéger » et ironisant sur le fait qu’il y avait des choses « assez extraordinaires dans son histoire » qui, effectivement, suscitaient la curiosité. Lorsque Marc-Olivier Fogiel l'interrogeait sur la grande différence d’âge qui existait entre elle et le cinéaste, elle répondait : « C’est quelque chose sur lequel j’ai dû me justifier souvent. Voilà ». Dans cette interview, malgré l'insistance de l'animateur, elle ne prononcerait jamais le mot d'emprise ou de manipulation.
« J’étais sous son emprise en quelque sorte »
Il faudra attendre une quinzaine d'années pour que la télévision recueille un témoignage précis de Judith Godrèche sur sa relation avec Benoit Jacquot. La première à l'obtenir fut Catherine Ceylac dans « Thé ou café » le 27 mars 2010. C'est cette archive que nous vous proposons de découvrir en tête d'article.
Ce matin-là, l’animatrice l’interrogeait avec son tact bienveillant coutumier sur sa relation avec le cinéaste. Elle rappelait qu'il lui avait fait tourner son premier grand film, Les mendiants, en 1988. C'est ce film qui avait marqué le début de leur relation et son départ de chez ses parents pour vivre avec lui. Elle l'interrogeait notamment sur la réaction de ses parents à l'époque et pourquoi ils ne s’étaient pas opposés à son départ. Judith Godrèche expliquait que c'était sans doute parce qu'elle avait quelque chose de « tellement déterminé et d’assez rassurant » qu’elle apparaissait comme une jeune fille très structurée, « Et du coup, c’est comme si c’était compliqué d’imaginer que je puisse courir le moindre danger », ajoutait-elle. Elle estimait que ni à cette époque ni au moment de cette interview, elle ne suscitait de désir de protection chez les autres, « j’aime bien faire croire que je n’ai pas besoin d’aide », plaisantait-elle.
À propos de la teneur de leur idylle, Catherine Ceylac lui demandait ce qu’elle avait recherché chez cet homme beaucoup plus âgé qu’elle. La comédienne lui confiait l'admiration qu'elle éprouvait pour le réalisateur charismatique à l'époque. Il lui apparaissait comme quelqu’un « d’extrêmement séduisant », ajoutant : « Moi qui vivais beaucoup dans l’imaginaire, je passais mon temps à lire, j’étais dans le romantique, dans le romanesque, et lui, il représentait tout ça. C’était quelqu’un de très habité, très intelligent, de brillant. C’était quelqu’un qui réinventait la vie, vraiment. »
Dans la suite de l’interview, pour la première fois, Judith Godrèche évoquait l'influence qu’il exerçait sur elle, mais sans animosité : « J’étais sous son emprise en quelque sorte, mais c’était une emprise extrêmement inspirante. - Un Pygmalion ? - Un Pygmalion, oui. »
Dans Le Monde daté du 6 février 2024, l'actrice explique toutefois avoir été « complètement isolée », assurant que le réalisateur l'avait « coupée de toute vie sociale. »
Le roman de la reconstruction
Cette histoire d'amour particulière, Judith Godrèche l'a évoquée. C'était en 1995 dans un livre intitulé Le point de côté. Après six ans de vie commune, le couple s'était séparé et pour la première fois, la jeune femme de 21 ans décrivait la relation étouffante, mais sous la forme d'un roman. Par la voix de son personnage, Juliette, la jeune comédienne mettait enfin des mots sur son histoire qui la laissait « à bout de souffle ». Au fil des pages, elle dévoilait sa volonté de s'émanciper du joug de cet homme mûr pour vivre sa propre vie.
Dans « Ex Libris » en janvier 1995, la jeune auteure dévoilait déjà une influence, mais sans jamais utiliser ce terme. Il n'était pas encore l'heure de dénoncer, mais de se reconstruire. « À un certain moment ce livre était ma vie… le livre, c’est moi qui l’ai écrit, alors il me ressemble ». Parlant de son héroïne : « Cette jeune fille a 21 ans, elle quitte l’homme qu’elle aimait, avec qui elle a vécu pendant longtemps. Et elle se retrouve perdue dans le monde… avec sûrement un vide en elle… »
Le mois suivant, en février 1995, toujours à l'occasion de la sortie du roman, Laure Adler la recevait à son tour dans « Le cercle de minuit ». La journaliste l’interrogeait sur le thème du roman qui décrivait une rupture avec un homme plus âgé que la jeune héroïne quittait bien que toujours amoureuse. En préambule de l'interview, l'animatrice citait une phrase du roman : « Je te quitte, je te quitte même si je t’aime, je te quitte pour savoir quelle est la vraie vie. Pour essayer d’être ».
Dans cette interview, Judith Godrèche évoquait un amour, certes, mais en filigrane, une emprise sous forme d' « absence de liberté ». À travers Juliette, Judith Godrèche décrivait bien sa propre expérience et l'absence d’adolescence, comme son personnage qui avait été « projeté très vite dans un monde où l’amour était devenu sa seule raison d’être ». Avec la rupture, son personnage allait « découvrir le monde extérieur et surtout découvrir la liberté ».
Si le mot emprise n'était toujours jamais prononcé, il transparaissait déjà la description de la vie de son héroïne avec cet homme dans un « univers, très clos, fermé sur eux-mêmes ». Dans la suite de l'entretien la comédienne évoquait l’ambiguïté de la relation intime de Juliette - donc la sienne - avec les hommes, cherchant à la fois leur soutien et tentant de les fuir : « Physiquement, elle n’a pas appris à être une femme. Elle a été une femme très jeune et assez violemment, comme ça. C’est vrai qu’avec les hommes, elle a ce rapport ambigu... »
Il serait aussi question de ce qu'on appelle aujourd'hui le « consentement » et d'incommunicabilité entre les deux sexes, « je voulais montrer le décalage entre ce que les filles disent et ce qu’elles pensent », concluait-elle.
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