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L'arrivée des «mémoires électroniques» aux impôts dans les années 70

L'arrivée des «mémoires électroniques» aux impôts dans les années 70

Gabriel Attal a annoncé le déploiement d'Albert, une intelligence artificielle souveraine à destination des agents des services publics. Albert soulagera notamment les agents des impôts qui reçoivent 16 millions de demandes de contribuables par an. Les services des impôts ont toujours été à la pointe de l'innovation comme le montre bien les archives.

Par Florence Dartois - Publié le 23.04.2024
 

L'ACTU.

Les services publics et les impôts passent à l'intelligence artificielle (IA). En déplacement à Sceaux mardi 23 avril 2024, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé le déploiement d'Albert, une IA souveraine dans les services publics français. Ce déploiement devrait permettre d'atteindre quatre objectifs : la simplification des procédures, des délais plus rapides, la sécurisation des réponses et d'apporter plus d'efficacité aux politiques publiques.

Il s'agit d'une intelligence artificielle souveraine, développée en France, « la France est le premier pays européen à inaugurer une IA 100% souveraine et à la mettre au service de ses services publics », a assuré Gabriel Attal qui a également promis une révolution de l'administration. Concernant les impôts, Albert aura pour mission d'analyser les millions de questions et de fournir la meilleure réponse dans les plus courts délais. Charge aux agents publics de vérifier les réponses, avant de les envoyer aux usagers. Gain de temps, gain d'efficacité, et meilleur accueil, une autre promesse faite par le Premier ministre en ces temps de disparition des services publics en région. « C'est parce que l'IA permettra de dégager davantage de temps à nos agents sur des procédures administratives qu'ils n'auront plus à réaliser dans la même ampleur qu'ils auront davantage de temps à consacrer aux relations humaines avec les agents », a encore déclaré le Premier ministre qui a rassuré : « l'IA ne remplacera pas les fonctionnaires ».

LES ARCHIVES.

Toutes les promesses faites par le Premier ministre le 23 avril 2024 résonnent avec d'autres, plus anciennes, faites lors de l'arrivée dans la société française de ce que l'on appelait alors les « mémoires informatiques ». Il est intéressant de constater que chaque nouvelle révolution technologique a (presque) toujours donné naissance à des outils de collecte de l'impôt ou de traque des fraudeurs, utilisés pour faciliter la gestion des administrations. Les archives en témoignent, à l’image de celle disponible en tête de cet article qui date de 1972 alors que l'on inaugurait le centre informatique des Impôts de Poitiers.

Derrière les fenêtres d’un grand cube blanc, « 200 jolies femmes et un ordinateur » étaient chargés du traitement des feuilles d'impôts annonçait le commentaire un tantinet sexiste du journaliste, qui ajoutait : « au moins, que vous soit donné cette consolation : le charme est allié à l'efficacité pour la vérification et la rédaction des redoutées feuilles d'impôts ».

Le centre, présenté comme ultra-moderne, était doté d'un « calculateur électronique à hautes performances ». En plus du Poitou-Charentes, 14 autres départements seraient bientôt gérés par cet outil technologique. Pour l'heure, il fallait encore de nombreux employés pour créer les fiches informatives qui seraient ensuite digérées par l'ordinateur. L'un des responsables s'enorgueillissait de passer du stylo et du papier à « une technologie de l'avenir », avec des matériels parmi les plus puissants de l'époque. Nous ne sommes pas loin de notre « IA souveraine » de 2024. En effet, il est remarquable de constater à quel point cette séquence vieille de plus de 40 ans fait écho avec la présentation de l’IA Albert de 2024, notamment dans les propos tenus par les officiels d’alors, similaires à ceux du discours prononcé par Gabriel Attal le 23 avril.

Les avantages du progrès

À l'époque, l'informatique en était à ses balbutiements, il s'agissait bien d'une révolution de l'administration. Le responsable interrogé promettait une amélioration qualitative des services rendus, assurant que l'utilisation de ces moyens innovants conduirait « dans les 10 ou 15 prochaines années à modifier considérablement et les conditions de travail et les qualités des services » rendus aux usagers. Avec en premier lieu, la simplification des démarches... qu'on promettait donc déjà !

Puis le reportage entraînait le téléspectateur du JT de FR3 Poitou-Charentes dans la salle informatique high-tech entièrement occupée par le seul et unique ordinateur du centre. « L'ordinateur le voici : il trie, vérifie, fait tout ce qu'on lui demande ! Ses aliments : la bande. Ses serviteurs : des hommes en blouse blanche. »

En effet, derrière des armoires vitrées, d'énormes bandes analogiques remplies de données tournaient à plein régime sous l'œil attentif des informaticiens, et sous celui, admiratif, cette fois, des officiels en costume trois pièces. « Ici plus de dossiers poussiéreux ni de manches en lustrine », assurait le commentaire suranné.

Et l’homme dans tout ça ?

Suivait l'interview du responsable informatique sur les prouesses et les missions de l'ordinateur. Le discours de 1972 tenu par cet homme est, lui aussi, proche de celui de 2024, concernant la question des répercussions de l'arrivée de l'informatique sur le personnel : « En principe, aucun personnel n'est remplacé. L'ordinateur est un complément pour traiter de plus gros volumes de manière beaucoup plus rapide. »

Loin de ces considérations « humaines, trop humaines », les bobines de l'ordinateur, elles, continuaient à tourner (sans pause-café) narguant les caméras. À la fin du processus, les imprimantes sortiraient de longs rubans de feuilles perforées qu'il faudrait encore faire décoder (par des humains) pour aboutir à l'impression des feuilles d'impôts. Informatisées ou non, les « douloureuses » arriveraient « dans les plus brefs délais » dans les boîtes aux lettres des contribuables. De l’efficacité rondement menée !

Hier comme aujourd'hui, la question du remplacement de l'homme par la machine informatique émergeait en filigrane dans ce reportage qui s'achevait d'ailleurs par l'évocation du « cortège de craintes qu'amenait la mécanisation de la société ». Le commentaire devenait plus philosophique : « L'impôt déjà jugé bien inhumain, ne le deviendra-t-il pas d'avantage ? » Un autre responsable interrogé sur cette question se voulait rassurant. Il déclarait que les contacts humains persisteraient : « Le redevable ira voir, comme maintenant, son inspecteur ou bien son percepteur, pour discuter, s'entendre avec lui. Et par conséquent, les rapports humains ne seront pas du tout changés par l'avènement de l'informatique... »

Plus de 40 ans après cette réponse optimiste et ce reportage promettant un avenir meilleur, force est de constater que la dématérialisation a accéléré les suppressions de postes, la fermeture des petites perceptions, la disparition des percepteurs ruraux, et des services publics en général. C'est le revers des progrès amenés par le développement de « la mécanisation de la société » évoquée plus tôt. Dans son discours, Gabriel Attal a lui aussi promis que les agents déchargés de tâches fastidieuses pourraient consacrer plus de temps aux usagers...

« L'informatique évite au service des tâches fastidieuses ». Incursion à la direction générale des impôts dans le centre régional d'informatique en 1976, avec de superbes images en couleurs et une musique d'ascenseur  de circonstance. Avec une mention spéciale pour le service de « dactylo-codage » où des machines « multi-claviers » ont remplacé les anciennes machines à perforer. C'est ici que les informations passent du papier au support numérique. Et les visages épanouis des informaticiens (en bras de chemise), visiblement heureux de ce job hyper cool... 

1983 : un ordinateur trop zélé

Cette archive nous permet de retrouver notre ordinateur ultra-moderne dix ans plus tard, en 1983. On reconnait les mêmes armoires, les mêmes bandes remplies de données, imprimantes et autres feuilles d'impôts automatisées, avec beaucoup moins d'agents. Nous sommes loin « des 200 jolies femmes » évoquées dans l'archive précédente... Mais scandale ! Cette année-là, « l'ordinateur » qui ne prend jamais de congés, avait envoyé les feuilles d'impôts en avance, avec une augmentation en prime ! Au grand dam des contribuables, qui eux étaient en vacances, en ce mois d'août.

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