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Avec «Thalassa», sur des îles du Pacifique menacées par la montée des océans

Avec «Thalassa», sur des îles du Pacifique menacées par la montée des océans

En déplacement en Polynésie à l'occasion du Forum des îles du Pacifique (FIP), le secrétaire de l'ONU, António Guterres a lancé un «SOS mondial» sur la gravité de la montée des océans pour les îles du Pacifique. Faiblement peuplées et peu émettrices de CO2, ce sont pourtant les premières victimes du dérèglement climatique. Au début des années 2000, «Thalassa» fut l'un des premiers magazines télé à se rendre sur place pour alerter sur la catastrophe déjà en marche.

Par Florence Dartois - Publié le 28.08.2024
 

L'ACTU.

« Je suis aux Tonga pour émettre un SOS mondial: Save our Seas (Sauvez nos mers, ndlr), sur l'élévation du niveau des mers. Une catastrophe mondiale met en péril ce paradis du Pacifique ». Mardi 27 août, au sommet du Forum des îles du Pacifique (FIP), le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a lancé un « SOS mondial » sur la montée inéluctable des eaux dans le Pacifique.

Et d'ajouter sur le réseau X : « Quelques jours aux Tonga m'ont permis d'être aux premières loges pour voir comment les gens d'ici doivent endurer régulièrement les conséquences de la crise climatique : des pluies torrentielles et des inondations soudaines à l'élévation du niveau de la mer qui oblige les familles à se déplacer »

Pour appuyer son constat le secrétaire général de l'ONU a présenté les derniers travaux scientifiques en la matière : le bilan de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) du climat dans le Pacifique Sud-Ouest pour 2023, ainsi qu'un rapport technique sur la montée du niveau de la mer. Ils montrent que dans une grande partie du Pacifique Sud-Ouest, l'océan s'est réchauffé deux à trois fois plus que la moyenne. Mais surtout, les conclusions attestent que depuis 1993 le niveau de la mer s'est élevé dans le Pacifique à un rythme plus rapide que celui de la moyenne mondiale : de 10 à 15 cm dans une grande partie du Pacifique tropical occidental et de 5 à 10 cm dans le Pacifique tropical central.

Une catastrophe pour des îles où l'on vit à un ou deux mètres à peine au-dessus de l'océan. Pour les îliens, le verdict est sans appel. Il leur faudra à court terme quitter leurs îles. Mais bien avant cette issue, leurs conditions de vie se seront déjà gravement altérées sur un sol salinisé, s’amenuisant irrémédiablement.

LE CONTEXTE.

À la télévision, le magazine de la mer « Thalassa », diffusé sur France 3 de 1975 à 2019 diffusa plusieurs sujets sur cette question. En avril 2001, il consacrait un long reportage à la montée des océans dans le Pacifique, plus particulièrement à Tuvalu, un archipel de Polynésie, au nord-ouest de Wallis-et-Futuna, constitué de neuf atolls qui sont tous habités.

Tuvalu fait entendre sa voix depuis longtemps. En effet, depuis le 5 septembre 2000, 22 ans après son indépendance, l'archipel est devenu membre de l'ONU. Le pays, l'un des plus pauvres de la planète, tente de faire comprendre à la communauté internationale les répercussions du changement climatique qu'il mesurait alors depuis trois décennies. En effet, le corail de ses îles a servi à la construction de pistes d'atterrissage pour l'armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale, détruisant les récifs protecteurs. Au moment de son adhésion, Tuvalu espérait que les pays occidentaux réduisent de 10 % leurs émissions de gaz à effet de serre, dans l'espoir de faire reculer la disparition de leur archipel.

La question de la montée des océans était au centre des préoccupations des habitants confrontés aux premières conséquences déjà visibles du changement climatique. Le reportage dans lequel nous avons sélectionné quelques extraits est particulièrement poignant et éclairant à ce sujet.

LES ARCHIVES.

La première archive disponible en tête d'article donne la parole au secrétaire d’État à l'environnement de Tuvalu dont le rôle était (déjà) d'alerter les autorités internationales dans les différents forums mondiaux. Lui savait que le destin de son île était hypothéqué. Nous le suivons sur son scooter alors qu'il montre à l'équipe les premiers signes de la montée de l'eau salée à Tuvalu. « On ne peut pas repousser la mer, le phénomène se poursuivra », explique-t-il, conscient que les digues ne suffiront pas à protéger les rives. Il ajoute que le réchauffement climatique aura chez lui d'autres conséquences délétères comme l'augmentation des cyclones, des raz-de-marées, des infiltrations d'eau salées... « Tout cela aura lieu », prophétise-t-il gravement, avant d'ajouter : « Nous sommes là depuis des milliers d'années, mais si le pire doit arriver, c'est un fait, nous devrons partir ! Il faudra bien aller quelque part ».

Des tractations avaient d'ailleurs commencé avec les Fidji et la Nouvelle-Zélande pour l'accueil de futurs réfugiés climatiques. Le gouvernement avait même penser à racheter une île plus haut dans un pays voisin pour y installer sa population. Mais le projet resta sans suite.

Tuvalu face aux flots

Au moment du tournage, il est clair que l'eau a déjà commencé à s'infiltrer dans les terres. Plusieurs plans montrent des maisons au ras de l'eau, des enfants jouant à demi-immergés et des enclos où des planches empêchent les cochons de couler. Une femme occupée à faire sa lessive constate que l'eau, désormais, entre ponctuellement dans sa maison.

L'archive ci-dessous montre, elle aussi, l'accélération de la montée des eaux à Tuvalu.

Un homme les pieds dans l'eau : « Ça a l'air dangereux comme ça. Ça monte de plus en plus, l'année dernière ce n'était pas monté aussi haut. Je veux dire au moment des grandes marées. »

Le reportage date de 2001, mais d'après le commentaire, Tuvalu a commencé à s'enfoncer dans l'océan il y a une trentaine d'années. Chacun est conscient du péril qui les guette, à l'image de ces jeunes qui jouent au ballon les pieds dans l'eau.

Infiltration de l'eau à Tuvalu
2001 - 00:56 - vidéo

Un adolescent : « Peut-être qu'un jour Tuvalu disparaîtra sous les eaux (...) à cause du niveau de la mer. L'île est trop basse. »

Les premiers réfugiés climatiques

« Ni attache ni racine, c'est un port où on échoue en bout de course ». Sept ans après le reportage de Tuvalu, « Thalassa » se rendait en Papouasie, plus précisément sur les îles Carteret, six minuscules points situés à une journée de navigation au nord de la Papouasie, également menacées de submersion. Là-bas, les premiers habitants commençaient à s'exiler. Soixante-dix personnes devenaient, de fait, les premiers réfugiés climatiques de la planète.

Triste sort que celui des déracinés, abandonnés dans des bidonvilles de l'île de Bougainville, où se situe la capitale. Ni le gouvernement ni les organisations humanitaires ne se souciaient alors de leur sort. Une vie de misère pour ces « naufragés de la vie » racontée en images par une archive extraite du reportage Papouasie, un archipel en perdition, diffusé en février 2008.

Une vieille institutrice des îles Carteret : « Elles n'ont pas le choix. On n'a pas d'autre endroit pour vivre », « je suis triste d'être ici, je suis partie à cause du changement climatique, mais je voudrais retourner sur les îles. Je m'y sens mieux qu'à Bougainville. C'est trop dur pour moi ici ».

Retourner sur ces îles « peau de chagrin » était impossible, car sur place, chaque jour, l'eau de l'océan Pacifique rongeait les terres.

Le règne de l'eau salée

Dans cette autre archive extraite du reportage de « Thalassa » sur les îles Carteret en Papouasie, nous découvrons l'ampleur du drame qui se jouait déjà. En 15 ans, le littoral (à l'apparence encore paradisiaque) avait perdu 50 mètres.

Philippe, agriculteur : « Avant la plage venait jusqu'ici, à mes pieds, maintenant, vous pouvez voir jusqu'où la mer a envahi notre terre. Jusqu'où elle est montée. Il y a 50 mètres entre les deux points. Tout est parti, ça s'est passé en 12 ou 15 ans à peine. »

« À première vue, tout va bien dans les îles Carteret, mais quand on s'approche de la plage, le monde chavire et marche sur la tête ». Philippe, agriculteur, guide nos pas pour une visite de l'île, en commençant par l'ancienne cocoteraie plantée par son grand-père. Mais les cocotiers ont quasiment disparu, avalés par l'océan. Leurs silhouettes sombres jonchent désormais le fond du lagon, ceux qui subsistent continuent de tomber dans la mer. Racines à nu, ils meurent les uns après les autres. Le paysan blâme les pays n'ayant pas signé les accords de Kyoto, car l'existence de son île est menacée. « C'est sans doute la fin de nos îles (...) nous sommes peut-être villageois, mais nous savons que tout cela est dû à trop d'industrie et de pollution », se lamente-t-il.

Même si le combat contre la montée de l'océan est perdu d'avance, les villageois tentent de construire des barrages dérisoires avec les bénitiers, ces gros coquillages qui sont la proie des pêcheurs japonais.

Plus inquiétant encore, l'eau salée de la mer s'infiltre dans le sous-sol jusqu'aux puits du village, « depuis deux ans, la seule eau potable est celle qui vient du ciel », ajoute le commentaire. En s’immisçant par le sol dans les terres cultivables, cette eau salée met en péril l'agriculture locale et entraîne la pullulation des moustiques et l'apparition du paludisme.

D'autres atolls en péril

À plus ou moins brève échéance, l'ensemble des archipels du Pacifique sont menacés et nos archives regorgent de sujets sur ces îles en perdition, à l'image des îles Kiribati, un petit État de l'océan Pacifique constitué de 33 atolls.

Dans cette liste, se trouvent aussi les îles Marshall (un État de Micronésie, en Océanie), qui se situent au nord de l'Australie et risquent purement et simplement de disparaître, submergées par les eaux, si le niveau des océans continue de monter. Il s'agit d'un archipel de 30 atolls, et on constate déjà concrètement les effets du réchauffement climatique, avec notamment des cyclones à répétition et la montée inquiétante du niveau de la mer.

En 2016, un reportage faisait état de la disparition de cinq îles de l'archipel des Salomons dans le Pacifique. Six autres îles étaient alors menacées. En 2018, un autre reportage annonçait que Ouvéa (Nouvelle-Calédonie), l'un des plus beaux atolls du Pacifique avec ses 35 km de long, 22 km de sable blanc, fermé par les îlots des Pléiades au nord et au sud de l'île, était aussi menacé. Et la liste est loin d'être exhaustive.

Le soutien s'organise

Revenons à Tuvalu, l'archipel décrit par « Thalassa » en 2001. Aujourd’hui, les réfugiés climatiques sont devenus une réalité. C'est officiel, l'Australie va accueillir ses premiers réfugiés en provenance de Tuvalu. Cette décision, prévue dans un accord scellé en 2023, est entrée en vigueur, comme l'a annoncé le Premier ministre australien Anthony Albanese lors de sa visite aux Tonga dans le cadre du Forum des îles du Pacifique annuel aux Tonga, le mercredi 28 août 2024.

Conformément à l'accord, 280 Tuvaluans (l'archipel compte 11 000 habitants) seront autorisés chaque année à résider, travailler ou étudier en Australie grâce à un visa spécial. Le chef de Tuvalu, Feleti Teo, a qualifié cet accord de « pionnier » et a salué ce premier exemple de pays garantissant officiellement son soutien à Tuvalu.

Les États-Unis ont conclu des accords similaires avec d'autres îles du Pacifique, comme Palau (archipel de plus de 500 îles situé en Micronésie, dans l'ouest de l'océan Pacifique) et les îles Marshall, qui comprennent une aide financière en échange d'un accès militaire à des emplacements maritimes stratégiques.

L'Union européenne a proposé pour sa part un programme de réinstallation potentiel pour fournir un refuge sûr aux réfugiés du changement climatique dans les États membres de l'UE.

Les experts prévoient que des îles comme Tuvalu seront majoritairement immergées dans les prochaines décennies. On estime que l'archipel pourrait complètement disparaître dans l'océan d'ici à un siècle.

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