L'ANNIVERSAIRE.
Henri Cartier-Bresson, né le 22 août 1908, nous a quittés le 3 août 2004. Certains le considèrent comme l'un des plus grands photographes du XXe siècle. Photojournaliste et dessinateur, il aimait d'ailleurs décrire sa manière de photographier comme une autre manière de dessiner. Photographe des rues, ses photos précises, jamais recadrées, prises sur le vif, parvenaient à capturer le naturel et le pittoresque de la vie quotidienne.
Au début de sa carrière, entre 1924 et 1935, Henri Cartier-Bresson, peintre de formation, s'illustre par des clichés fortement inspirés du courant surréaliste. Il achète son premier appareil Leica à Marseille en 1932, puis décide de se consacrer à la photographie. Il quitte la France et voyage en Italie, en Espagne, au Mexique ou au Maroc. Ses photos montrent une très grande maîtrise de la composition. Cartier-Bresson aime aussi photographier les spectateurs d’une scène hors champ pour capter la part de magie de l'instant, ou fixer le merveilleux urbain.
Entre 1936 et 1946, le photographe oriente son travail vers l'engagement politique, le communiste (bien qu'il n'adhère pas lui-même au parti) et à la lutte antifasciste. Ses photos se font plus réalistes, il décrira la guerre comme personne. Mobilisé, fait prisonnier, il s'échappe. En 1944, il immortalise les combats de la Libération de Paris ou les ruines du village martyr d'Oradour-sur-Glane.
À partir de 1947, il fonde l'agence coopérative Magnum Photos, avec Robert Capa, David Seymour, William Vandivert et George Rodger. Les années suivantes, le photographe abandonne définitivement le surréalisme pour se consacrer au photojournalisme. Parmi ses reportages, l’Inde, le Pakistan, le Cachemire et la Birmanie. Ses portraits de Gandhi feront le tour du monde. Envoyé en Chine, il photographie les dernières heures du Kuomintang, le « Parti nationaliste chinois ». En 1954, il est présent en URSS après la mort de Staline, une fois de plus ses clichés se vendent à prix d'or. On le retrouve lors de la crise des missiles à Cuba en 1962.
Dans les années 1970, il réalise une série de portraits de peintres et de personnalités restées célèbres : Matisse, Picasso, Braque, Giacometti, ou encore, Sartre, Irène et Frédéric Joliot-Curie. Puis, jusqu'à sa mort, il va revenir à ses premières amours, le dessin.
En 2003, à 95 ans, un an avant sa mort, le photographe inaugure sa propre fondation à Paris pour assurer la conservation et la présentation de son œuvre ainsi que pour soutenir et exposer les photographes dont il se sentait proche. À cette occasion, il acceptera enfin de se montrer. « J'ai passé ma vie à passer inaperçu pour pouvoir observer », confiera-t-il dans le 19-20 de France 3.
L'ARCHIVE.
« Vous ne verrez pas son visage, car il n'aime pas qu'on lui fasse ce qu'il fait aux autres. Il a fallu ruser avec lui pour surprendre son image et sa pensée... » L'archive disponible en tête d'article ne fait pas exception, seule la silhouette d'Henri Cartier-Bresson apparaîtra face caméra. Elle reste néanmoins passionnante, car le photographe accepte, sans dévoiler son visage, d'évoquer son métier de photographe et sa manière de le pratiquer. De manière libre et indépendante, dans l'esprit de l'agence Magnum, qu'il avait cofondé en 1947.
Dans ce reportage réalisé en 1962, pour l'émission « L'Aventure moderne », le photographe nous entraîne dans un marché animé de Paris. La caméra suit ses pas et capture ses gestes discrets, laissant la place d'honneur à son appareil photo et à son regard posé sur les inconnus croisés dans la rue.
Sa relation à la photographie participe de l'intime, il est tout de suite question de sa passion première : « Pour moi, la photographie est un moyen de dessiner, de tenir mon journal », explique-t-il.
Du jeu, de l'intuition et de la géométrie
Dans le fait de photographier, il y a forcément, à ses yeux, une notion de communication, une nécessité de témoigner de son temps, dans un lieu et à un moment précis. Mais prendre un cliché, c'est surtout, selon lui, un instant ludique fait d'instantanéité : « Je m'amuserais tout autant si je n'avais pas de film dans l'appareil. Pour moi, la grande jouissance, c'est d'être devant un sujet qui s'impose à moi et d'avoir appuyé au bon moment ».
Ces visages inconnus, mais expressifs, il parvient si bien à les immortaliser, au meilleur moment. Cet instant figé sur la pellicule demeure pour lui un mélange d'intuition et de composition qu'il qualifie ici de « rigoureuse ». Il évoque aussi une « géométrie qui vous surprend, avant d'ajouter : « Et ça, c'est une fraction de seconde et c'est le seul moment de création ».
Se libérer des clichés
Henri Cartier-Bresson le voyageur, décrit ici sa vision du photoreportage qu'il a pratiqué durant les années Magnum. Il se définit comme un témoin capable de s'oublier pour s'imprégner d'une culture et d'en restituer l'essence par le prisme de son objectif. « Ce qui est intéressant, insiste-t-il, ce n'est pas forcément ce qu'on photographie mais « le pourquoi » on le photographie. Il poursuit avec force, « ce qui est intéressant, c'est de saisir les choses à la charnière. Il faut se débarbouiller de toutes les idées préconçues, de tous les clichés ». Il explique encore que c'est toujours la réalité qui aura le dernier mot, « c'est-à-dire qu'il faut s'oublier soi-même, il faut laisser le sujet vous imprégner ».
« Il faut viser juste et tirer vite »
Dans cette interview de 1966, le photographe décrit certaines de ses photos les plus célèbres. Il se livre en déclarant qu'observer est « un acte d'amour », et compare l'acte d'appuyer sur le déclencheur comme « une espèce d'éjaculation ». Il revendique une nouvelle fois le côté anonyme du photographe et assimile son métier à un mode de vie et « un cocon de soie que l'on dévide ».