L'ACTU.
Après avoir salué le « destin exceptionnel, mû par l'amour de notre pays, de sa langue et de sa culture » porté par Hélène Carrère d'Encausse, Emmanuel Macron a annoncé qu'un hommage national aurait lieu avant la fin de l'été aux Invalides en l'honneur de l'académicienne Hélène Carrère d'Encausse, décédée le samedi 5 août à Paris à l'âge de 94 ans.
Née à Paris le 6 juillet 1929, Hélène Carrère d'Encausse était une historienne spécialiste de la Russie. Elle avait signé plusieurs biographies de personnages politiques russes dont celles de Lénine, Staline ou Catherine II. Membre depuis 1990 de l'Académie française, elle avait été la première femme à diriger la prestigieuse institution. Également engagée en politique, elle avait notamment été élue au Parlement européen en juin 1994.
L'ARCHIVE.
L'archive que nous vous proposons en tête d'article est une longue interview de l'historienne réalisée le 7 décembre 1985 dans l'émission « Le journal d'un siècle ». Ce jour-là, en compagnie du journaliste Jean-Claude Simoen, elle évoquait la prise de pouvoir progressive de Joseph Staline, avec l'éviction de Trotsky et la mise en place d'un plan quinquennal d'industrialisation de la Russie.
Elle décrivait la relation de haine qui existait entre Staline et le « trop populaire » Trotsky. Qui chassé du parti en 1927 sera banni à vie en janvier 1928 et fuira vers l’Asie centrale. Il s’installera à Constantinople où il bâtira la Troisième Internationale.
Ni droite ni gauche
Hélène Carrère d'Encausse racontait comment ensuite Staline avait « fait le ménage à droite et à gauche du parti » pour établir sa domination, et comment il s'était débarrassé de ses opposants au sein même du parti : Nikolaï Ivanovitch Boukharine, un intellectuel du parti et Mikhaïl Tomski, le chef des syndicats, qui l’avaient pourtant aidé à se débarrasser de Trotsky. « En 1929, justement, au moment de la 16ᵉ conférence qui lance le plan quinquennal, il obtient du parti qu'on enlève toutes leurs fonctions à ces gens de droite puisque leur programme est brisé. Et Boukharine va être chassé de la présidence de l'Internationale de la direction de la Pravda, Mikhaïl Tomski va perdre les syndicats. Donc si vous voulez, il se débarrasse de la droite et de la gauche. », expliquait-elle.
L’historienne insistait sur l’importance de cette date pour le leader soviétique qui correspondait à son anniversaire personnel : « 1929, c'est l'année où Staline a 50 ans, c'est très important les anniversaires en Union soviétique, dans la tradition russe. Il va fêter ses 50 ans le 21 décembre, dans un cadre, dans une liesse extraordinaire, il organise les festivités et il n'a plus d'adversaire. Il est le maître de l'Union soviétique et ça, c'est pour lui très important. »
Spoliation et guerre civile
Hélène Carrère d’Encausse expliquait ensuite en quoi consistait la « collectivisation » lancée par Staline, une manière de trouver l’argent nécessaire à l’industrialisation du pays : « C'est la base économique [de la relance] puisqu'il faut bien comprendre, il n'y a pas d'argent pour faire l'industrialisation et il faut le trouver quelque part. Et la théorie de la gauche, la théorie de Staline, c'est qu'il faut prendre l'argent aux paysans et les paysans payeront, par la collectivisation, l'industrialisation. »
Elle évoquait notamment l’importance d’un article publié le 7 novembre 1929 pour l’anniversaire de la Révolution, dans lequel Staline annonçait « une révolution totale ». Elle soulignait que pour lui, la Révolution de 1917, c’était la révolution de Lénine. Mais dans l'histoire, lui resterait comme l'homme de la révolution de la société.
Elle décrivait enfin en quoi aller consister cette révolution aux yeux du dictateur : « La révolution totale, ça signifie qu'on va prendre tout ce qu'il possède aux koulaks [terme qui désignait de manière péjorative les fermiers]. Les koulaks, ce sont les paysans riches, ajoutait-elle, en réalité, il n'y en avait que 4 %, ce qui ne suffisait pas à payer l'industrialisation, donc Staline allait intégrer d’autres franges de la population aux koulaks déjà privés de vote. Elle poursuivait : « la collectivisation devait être, dès ce moment-là, il le disait, à 100 % : c'est la guerre déclarée à la paysannerie. C'est une vraie guerre civile qui va s'engager et les paysans sont à la fois les victimes, les payeurs et les adversaires du système ».
À regarder sur notre chaine Youtube INA Arditube
Hélène Carrère d'Encausse « La Russie d'hier et du futur » chez Thierry Ardisson le 12 juin 2000, nouveau secrétaire perpétuel de l'Académie française. Elle expliquait pourquoi elle voulait garder ce titre au masculin.