Jeudi 31 mars, Gérard Depardieu a critiqué la guerre en Ukraine, estimant que « le peuple russe n'est pas responsable des folles dérives inacceptables de (ses) dirigeants comme Vladimir Poutine ». Citoyen russe depuis 2013 et perçu comme étant traditionnellement accommodant avec le maître du Kremlin, Gérard Depardieu n'a pas tardé à recevoir une réponse de Moscou, mi-courroucée, mi-persifleuse, par la voie du porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, comme le rapporte Le Figaro : « Je pense que Depardieu ne comprend sans doute pas tout ce qui se passe, car il n'est pas totalement plongé dans l'actualité politique [...] Il ne comprend pas (...) ce que sont [les régions séparatistes prorusses en Ukraine de] Donetsk et Lougansk, il n'est pas au courant des bombardements de civils », dont Moscou accuse Kiev, a-t-il ajouté. « Si cela est nécessaire, nous sommes prêts à le lui raconter et à lui expliquer afin qu'il comprenne mieux. S'il le souhaite », a conclu Dmitri Peskov.
« Absolument merveilleux »
L'archive placée en tête d'article est un sujet du journal télévisé de France 2 du 6 janvier 2013. A l'époque, l'acteur français, très populaire en Russie, notamment depuis qu'il a joué en 2011 le rôle de Raspoutine pour la série éponyme, coproduction franco-russe réalisée par Josée Dayan, est en froid avec le gouvernement français au sujet de ses impôts. En décembre 2012, Gérard Depardieu s'était installé à Néchin, un village belge proche de la frontière française connu pour abriter de riches expatriés. Il avait aussi adressé une lettre de trois pages au Premier ministre Jean-Marc Ayraut, qui avait qualifié son exil fiscal de « minable », lettre dans laquelle il rappelait s'être acquitté de « 145 millions d'impôts en 45 ans » : « Je ne suis ni à plaindre ni à vanter, mais je refuse le mot "minable" » écrivait-il, avant de conclure : « Des personnages plus illustres que moi ont été expatriés ou ont quitté notre pays. Je n'ai malheureusement plus rien à faire ici, mais je continuerai à aimer les Français et ce public avec lequel j'ai partagé tant d'émotions ! »
C'est dans ce contexte que Gérard Depardieu devient citoyen russe, par un décret signé par le président Vladimir Poutine, début janvier 2013. Le reportage du 6 janvier 2013 illustre la cérémonie de remise de son passeport à Saransk, capitale de la Mordovie, une ville « jusqu'alors connue pour ses camps de prisonniers », indique France 2 dans son commentaire. L'acteur, tout sourire, se voit décerner un costume traditionnel, et souhaite un « joyeux Noël » en russe aux spectateurs dans la salle [le Noël orthodoxe est fêté début janvier, NDLR]. Interviewé, l'acteur exprime son bonheur de se trouver là : « C’est absolument merveilleux, il y a beaucoup de cœur, on sent un esprit dans cette terre. » Les médias français ont, eux, été tenus à l'écart.
Dans un message qui est relayé sur les chaînes de télévision russe, Gérard Depardieu tient des propos élogieux vis-à-vis du maître du Kremlin : « Ceux qui disent du mal du président Poutine ne sont jamais sortis de chez eux et sont restés en arrière depuis très longtemps ». Quelques jours plus tôt, l'acteur avait téléphoné à Vladimir Poutine pour le remercier et lui avait indiqué que « que la Russie était une grande démocratie et que ce n'était pas un pays où le Premier ministre traitait un citoyen de minable ».
Coup politique
Pour Vladimir Poutine, cette citoyenneté russe offerte a Gérard Depardieu est bien évidemment une manoeuvre habile, comme le rappelle le reportage de France 2 : « En recevant Gérard Depardieu hier soir dans sa villa de Sotchi, Vladimir Poutine avait le sourire. Il sait qu’il a réussi un coup politique très fort, faire apparaître la Russie comme une terre de liberté, alors que plus d’une centaine de personnes sont en prison pour des raisons politiques. »
Un coup politique qui n'avait à l'époque pas échappé aux Russes de l'opposition. Dans un article publié le 4 janvier 2013, Le Monde rapportait les sarcasmes et commentaires critiques qui avaient accueilli l'annonce de la citoyenneté russe donnée à Gérard Depardieu. Parmi les nombreuses moqueries sur les réseaux sociaux, on pouvait par exemple lire ces lignes de l'écrivain Edouard Limonov, alors opposant actif à Vladimir Poutine [mort en 2020, l'écrivain avait pris depuis l'annexion de la Crimée en 2014 ses distances avec l'opposition, NDLR] : « Gérard, viens le 31 janvier sur la place Trioumfalnia (à Moscou), avec ton nouveau passeport russe en poche. Tous les 31, à 18 heures, sur cette place, des citoyens russes exigent le droit de se réunir paisiblement, comme prévu par l'article 31 de la Constitution. On t'attend Gérard ! »