L'ACTU.
Dimanche 7 janvier 2024, le président de l’Équateur, Daniel Noboa, a décrété l’état d’urgence pour l’ensemble du territoire pour 60 jours. Il a ordonné « la mobilisation et l'intervention des forces armées et de la police nationale (...) pour garantir la souveraineté et l'intégrité nationale contre le crime organisé ». Une décision qui fait suite à l’évasion de « Fito », un baron de la drogue de la prison de Guayaquil, dans le sud-ouest du pays. De son vrai nom José Adolfo Macias, l’ennemi numéro 1 du pays, était en prison depuis 2011 où il purgeait une peine de 34 ans pour crime organisé, trafic de drogue et meurtre. Il est parvenu à s’enfuir sans que personne s'en aperçoive. Plus de 3000 hommes en uniforme l’ont cherché, en vain.
Prise en otage de journalistes filmée en direct, enlèvements massifs, mutineries dans les prisons, assassinats de policiers... Cette évasion a provoqué le chaos dans le pays. Pour cause, le trafiquant de drogue est à la tête du plus important gang criminel du pays : les Choneros. Il a sous ses ordres pas moins de 8000 hommes, considérés comme une extension du redoutable cartel mexicain de Sinaloa.
LE CONTEXTE.
Enclavé entre la Colombie (au nord) et le Pérou (au sud), l’Équateur est devenu une plaque tournante de la drogue à la fin des années 1980, alors que la Colombie entamait sa guerre contre les narcotrafiquants et que les cartels colombiens étendaient leur emprise de l'autre côté de la frontière. En octobre 1989, le 20h de TF1 consacrait un reportage à la situation périlleuse du pays face à l’extension du trafic de drogue. Il décrivait les techniques ingénieuses utilisées par les trafiquants pour faire passer leur marchandise au nez de la police.
Depuis le lancement de la guerre contre les caïds colombiens, les aéroports de Quito et Guayaquil étaient devenus des centres d’exportation privilégiés de la cocaïne vers les États-Unis et l’Europe. Certains pays tentaient d'aider l’Équateur dans sa lutte contre les narcotrafiquants. Ainsi « la RFA et l’Angleterre » avaient offert des chiens renifleurs à la police équatorienne qui fouillait systématiquement les avions en partance pour les USA et l’Europe. Mais ces aides minimes et les moyens de l’État n’étaient « pas à la hauteur de ceux des cartels » comme le déplorait le procureur local aux journalistes. Une archive à découvrir ci-dessous.
Equateur : plaque tournante du trafic de drogue
1989 - 02:30 - vidéo
Mitterrand s'implique dans la lutte
C'est dans ce contexte tendu que le président François Mitterrand réalisa un voyage officiel en Amérique latine. Le 12 octobre 1989, de passage en Équateur, le chef d’État français s'affichait avec le président Rodrigo Borja Cevallos (1988-1992) lors d'une conférence de presse dans laquelle il avait largement été question du trafic de drogue et de la décision de la France (à la tête de l'Europe des 12) d’apporter son aide au pays dans cette lutte.
Le lieu de cette rencontre était la ville de Quito, la capitale, nichée dans une zone dangereuse, « le boulevard de volcans ». C'était une menace permanente, mais moindre que celle que faisait désormais peser la drogue. Dans l'archive disponible en tête d'article, diffusée dans le journal de La Cinq, on apprenait que 15% de la population consommait de la cocaïne et que le pays était devenu un point de passage obligé.
Le journaliste Denis Poncet insistait sur le rôle trouble des banques locales « qui ne posaient pas beaucoup de questions » et prenaient part au blanchiment de la drogue. Une question évoquée par François Mitterrand dans sa conférence de presse. Un combat sur lequel il engageait l'Europe : « Il y a des pays que je sais être tout à fait disposés à se soumettre à une discipline internationale. Certains de ces pays qui ont de fortes positions bancaires montrent par là du courage ».
Au terme de la visite officielle de 2 jours, François Mitterrand avait annoncé sa décision d'accorder à l’Équateur un crédit préférentiel de 310 millions de francs, plus une aide non remboursable de 20 millions d'assistance technique pour la lutte contre le trafic de drogue. Mais c'est une autre décision qui allait provoquer l'émoi de la communauté internationale.
Visite surprise en Colombie
Dans une volonté de soutenir les dirigeants locaux, François Mitterrand décidait de terminer son voyage en Colombie. Il souhaitait rendre hommage au courage du président Virgilio Barco dans sa lutte contre les trafiquants de drogue et lui assurer le soutien de la France et de la communauté européenne. Cette décision, il l'avait prise sans en informer les services de renseignements qui craignaient une réaction de la mafia.
Dans le Soir 3 du 12 octobre 1989, la journaliste Memona Hintermann évoquait les risques pris par le président français et la fébrilité des services de sécurité : « En effet son geste de défi lancé à la mafia pourrait provoquer aussi des représailles ». Le président devait rencontrer son homologue à Medellin. Il s'agissait là d'un important geste politique et symbolique.
Equateur : Visite de François Mitterrand à Quito
1989 - 01:45 - vidéo
« En Colombie, la première cause de mortalité pour un homme dans la force de l’âge, c’est l’assassinat... ». L'archive suivante, extraite du journal du 20h de La Cinq montrait pourquoi Medellin était l'une des villes les plus dangereuses au monde. Le reporter, Jean-François Coulomb, décrivait, images à l'appui, cette cité tenue par les cartels. Avec une pointe d'ironie, il expliquait sa dangerosité : « En 1988, 11 700 personnes étaient tombées sous les balles des tueurs (…) 10 personnes par jour. À côté, Beyrouth fait figure de tranquille jardin ! »
Mitterrand montrait-il du courage ou de l'insouciance ? Avec cette visite symbolique, le président français allait fouler le sol d'un pays en guerre, où assassinats et attentats ne se comptaient plus. C'était l’époque où Pablo Escobar et « ses camarades » gagnaient des milliards de dollars par an, « bien plus que le budget annuel de la Colombie », ajoutait le journaliste en avertissant sur l'ampleur du drame qui se jouait déjà, « face à eux, un état corrompu par l’argent de la drogue (…) un pays qui risque fort de s’ancrer dans la violence ».
Colombie : Medellin, carrefour de la drogue
1989 - 01:00 - vidéo
Cette situation critique n'allait pas stopper François Mitterrand. Le 12 octobre, le 13h de TF1 consacrait un sujet à son déplacement à Medellin. Dominique Bromberger, sur place, expliquait que la décision du chef de l’État français de passer par Bogota avant la fin de son voyage en Amérique latine impliquait un certain nombre de risques pour le président et son entourage. Il a jugé « que cela valait la peine d’être couru pour saluer le courage dont fait preuve le président Barco dans la lutte contre le cartel de la drogue ».
François Mitterrand avait réaffirmé, comme en Équateur, que la France ne montrerait aucune pitié pour ceux qui aidaient les trafiquants, comme les banques qui blanchissaient l’argent, et appelait à une lutte mondiale, annonçant que l’Europe, sous la présidence française, participerait au sommet réunissant les pays producteurs et consommateurs de cocaïne. Il ajoutait que chacun des douze allait désigner un responsable de l’ensemble des problèmes de drogue, mais aussi, un représentant commun pour l’Europe. C'est « à une montée en puissance de la lutte contre la drogue » que l’on pouvait assister à l’échelle mondiale, commentait le journaliste.
Visite surprise de Mitterrand à Bogota
1989 - 01:28 - vidéo
Depuis ce voyage présidentiel, force est de constater que les narcotrafiquants ont étendu leur emprise sur l’Équateur. Pour preuve, l'état d'urgence décrété par le président Noboa. Il avait été élu en novembre 2023 sur la promesse de rétablir la sécurité, mais le chaos semble avoir pris le dessus, malgré les propos rassurants de l'amiral Jaime Vela, chef du commandement conjoint des forces armées, prononcés à l'issue d'un conseil de sécurité à Quito, lundi 7 janvier. Il reconnaissait que les gangs avaient « commis des actes sanglants et sans précédent dans l'histoire du pays », mais affirmait que cette tentative échouerait. L'avenir le dira.