Joann Sfar débute la bande dessinée au début des années 1990. Ses premières planches sont éditées en 1994 par l'Association, un repère d'auteurs militant pour une BD nouvelle qui s'éloignerait du carcan classique franco-belge. Au début de sa carrière, le dessinateur s'associe à d'autres auteurs montants tels Frédéric Boilet, Marjane Satrapi, ou Christophe Blain, d'abord à l'atelier Nawak puis dans l'atelier des Vosges où résidaient en permanence 9 créateurs. C'est dans ce repère que nous allons retrouver le jeune artiste alors âgé de 26 ans.
L'archive en tête d'article nous propulse le 2 février 1998. Le JT de FR3 Paris est allé le "débusquer" dans l'atelier communautaire où il travaille en compagnie de 8 autres dessinateurs, "la bande des Vosges". Leur moyenne d'âge frôle les 30 ans. L'ambiance au numéro 15 de la Place des Vosges est bon enfant mais studieuse. Parmi les présents ce jour-là : Jean-Pierre Dufour, Emile Bravo et lui. "Lui, c'est Joann Sfar, il revient du festival de la BD d'Angoulême tout auréolé de deux prix, le coup de cœur du festival et le meilleur scénario pour "La fille de professeur" publié chez Dupuis avec un autre locataire du 15, Emmanuel Guibert", précise le commentaire. Accoudé à sa table de travail, le dessinateur au visage rond et jovial déclare que cette collaboration est avant tout née d'une envie "de travailler avec Emmanuel Guibert", son camarade d'atelier, et ajoute : "Je voulais écrire une histoire pour ce garçon et lui, il aime les choses un peu surannées, romantiques et moi j'aime bien les monstres. Donc une histoire d'amour entre une jeune fille anglaise et une momie s'est un peu imposée", plaisante-t-il, avant de poursuivre badin : "C'est un peu le mélange entre Boris Karloff et Marie Poppins".
Le leitmotiv de l'atelier : apprendre
Travailler en atelier, entre copains, permet de ne pas prendre la grosse tête. Avec ironie, il confesse : "Nous, on a pour préoccupation de s'amuser. On ne se met pas le thermomètre pour savoir tous les matins si on est petit ou grand. On apprend. On est toujours en train d'apprendre, à susciter des collaboration entre nous et à passer notre temps à examiner respectivement le travail des uns et des autres. On apprend beaucoup de choses". Une saine émulation qui portera ses fruits rapidement. A partir des années 2000, Joann Sfar, bourreau de travail, développe en parallèle des séries adultes et jeunesse ("Petit Vampire", "Sardine de l'espace"), dans des formats classiques (Le "Chat du rabbin", "Donjon") ou plus novateurs ("Klezmer" ou ses "Carnets autobiographiques").
Un artiste polyvalent
Le succès grandissant va lui permettre de lancer de nombreux projets dans de nombreux domaines et d'explorer de nouveaux talents, notamment au cinéma, avec en 2010, la réalisation du film "Gainsbourg, vie héroïque" pour lequel il obtiendra le César du meilleur premier film. L'année suivante, en 2011, il adaptera en dessin animé son "Chat du Rabbin", couronné du César du meilleur film d'animation. Depuis 2013, il écrit également des romans, il a aussi touché à la chanson...
Dans toute son œuvre, quelle qu'elle soit, Joann Sfar interroge sur le rapport des religions entre elles et n'hésite pas à traiter de questions existentielles, identitaires et philosophiques. Des sujets constamment au cœur de son oeuvre, en miroir aux débats sociétaux. Créer, c'est s'exprimer et en 2005, dans l'émission "Le cercle de minuit", il déclarait d'ailleurs que "les bandes dessinées peuvent rendre service à la philosophie". Dessinateur, cinéaste, écrivain... l'artiste protéiforme, telle une Shéhérazade des temps modernes, est bien décidé à poursuivre sa quête de sens de la vie et à nous livrer ses découvertes et réflexions, à travers ses bulles, aussi longtemps qu'il pourra s'exprimer.
Joann Sfar : "les bandes dessinées, elles peuvent rendre service à la philosophie"
2005 - 01:34 - vidéo
Pour aller plus loin :
Un livre, un jour : Joann Sfar : Le chat du Rabbin volumes 1 et 2. (20 janvier 2003)
Corsica Sera : "J'ai besoin de l'agitation du monde. Je dessine dans les cafés". (30 mars 2007)
19/20 Paris Ile-de-France : Joann Sfar pour son film "Gainsbourg la vie héroïque". (16 janvier 2010)
Des mots de minuit : Joann Sfar, les albums "Je ne les compte pas, les compteurs sont à zéro tous les matins…" (19 janvier 2011)
Grand Soir 3 : Joann Sfar, l'écrivain, pour "Comment tu parles de ton père"... (19 septembre 2016)
Thé ou café : A propos de la mort, du deuil, des attentats de Nice sa ville natale, de la philosophie, du message de la BD, de l'autocensure, de Charlie Hebdo, des religions… (25 septembre 2016)