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Effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille : retour sur les premiers jours après le drame

Effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille : retour sur les premiers jours après le drame

Le 5 novembre 2018, huit personnes décédaient dans l'effondrement de deux immeubles vétustes, rue d'Aubagne à Marseille. Après six ans d'instruction, le procès se déroule du 7 novembre au 18 décembre 2024. Les archives tournées à l'époque témoignent de l'ampleur du drame et des premiers questionnements sur les responsabilités.

Par Florence Dartois - Publié le 04.11.2024
 

L'ACTU.

Six ans jour pour jour après l'effondrement de deux immeubles situés aux 63 et 65 de la rue d’Aubagne à Marseille s'ouvre, devant le tribunal correctionnel de Marseille, le procès. Il se déroule du 7 novembre jusqu'au 18 décembre.

L'enjeu de ce procès est important, car il doit déterminer les différentes responsabilités impliquées dans le drame qui a coûté la vie à huit personnes le 5 novembre 2018. Parmi les seize prévenus à comparaitre, on compte douze personnes physiques et quatre personnes morales (SCI, SARL). Parmi eux, Julien Ruas, l’adjoint de l'ancien maire Jean-Claude Gaudin. Il était à l'époque en charge de la police des immeubles en péril. Également sur le banc des accusés : Richard Carta, architecte-expert désigné par le tribunal administratif dans une procédure de péril grave et imminent, mais aussi Marseille Habitat, propriétaire de l'immeuble inoccupé du 63 rue d'Aubagne, et le cabinet de syndic Liautard, gestionnaire du 65. Ce procès compte 87 parties civiles dont la ville de Marseille.

Les charges retenues sont l'homicide involontaire aggravé, la mise en danger, et la soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. La peine maximale encourue est de cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende.

LES FAITS.

L'effondrement des deux immeubles vétustes s'est produit à 9 heures du matin le 5 novembre 2018. Les numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne se situaient dans le quartier central de Noailles. Le n° 63, était inoccupé, il appartenait depuis 2016 à la société d'économie mixte Marseille Habitat ; le n° 65 était une copropriété habitée.

La catastrophe témoigne de la vétusté de l'habitat marseillais à l'époque. Un délabrement qui avait été dénoncé à plusieurs reprises par les habitants et par des associations. En 2015, un rapport de l'inspecteur général honoraire de l’administration du développement durable, intitulé Parc immobilier privé à Marseille et qui avait été commandé puis rendu public par la ministre du Logement Sylvia Pinel, avait pointé du doigt la municipalité. Il concluait : « 100 000 personnes vivent dans des logements insalubres à Marseille. »

En septembre 2018, une note confidentielle de l'Agence régionale de santé, dévoilée par Le Monde le 9 novembre de la même année, incriminait les services de la mairie sur plusieurs points. D'abord, le manque de qualification de certains agents du service communal d’hygiène et de santé (SCHS) de la ville, les rendant inaptes « à apprécier les aspects techniques et juridiques nécessaires à la mise en œuvre des procédures complexes en matière d’insalubrité ». Et de détailler : ces agents « soutiennent souvent que les dégradations constatées sont dues essentiellement aux modes d’occupation », « ont tendance à sous-évaluer la gravité des dysfonctionnements qu’ils relèvent », et lorsque des travaux sont exigés « il suffit que le bailleur écrive que le locataire refuse les travaux et le dossier est classé » sans vérification préalable. À cela s'ajoutait des dysfonctionnements communaux également mis en lumière par le magazine Capital en janvier 2019.

Quelques semaines avant l'accident, le tribunal administratif de Marseille avait rappelé à la municipalité ses obligations de procéder à l’exécution d’office de travaux dans le cas d'un arrêté de péril imminent datant de 2011.

LES ARCHIVES.

Les archives témoignent de la confusion qui régnait alors. Le journal du « 19-20 Provence Alpes » de France 3, du 6 novembre 2018, regorge de témoignages. Dans l'archive ci-dessous, plusieurs habitants font part du délabrement général des immeubles du quartier de Noailles. En particulier le n° 63 qui était frappé d'un arrêté de péril suite aux plaintes de riverains. Il avait été muré et sécurisé pour en empêcher l'accès. Des images photographiées par Google l'été précédent montraient clairement la vétusté des deux immeubles effondrés. « On voit bien sous les fenêtres les colmatages obliques des fissures. Une habitante du quartier avait signalé en septembre ces mêmes lézardes sur un bâtiment voisin, ainsi que des chutes de gravats », précisait le commentaire.

Une habitante du quartier, Ghislaine Idoux, racontait avoir signalé les risques d'effondrement à la mairie, car de nombreuses écoles et crèches se situaient à proximité. « Mon frère est géologue et m'avait dit de regarder quand les fenêtres sont lézardées en biais. Ça peut menacer d’effondrement, c'est pour ça que je l'avais signalé. Il y avait des pierres qui tombaient... »

Au numéro 65, neuf des douze appartements étaient encore occupés et les habitants avaient bien remarqué ces derniers jours des dysfonctionnements, comme cet habitant du 65 qui s'inquiétait : « Ce week-end, c'est la porte d'entrée de l'immeuble qui s'est un petit peu affaissée. La porte s'est baissée de quelques millimètres donc on n'arrivait plus à la fermer. On a compris que ça venait de l'encadrement qui avait bougé ».

« Au 65, malgré l'état de l'immeuble, l'arrêté de péril avait été levé par l'expert judiciaire après des travaux de confortement réalisés mi-octobre », précisait le commentaire sur des images de pompiers en train d'intervenir sur les monticules de débris. Et d'ajouter : « Les locataires occupaient donc toujours leurs logements et selon les voisins, huit personnes squattaient l'autre immeuble. »

« Les façades, ils sont dans un état. Elles sont lézardées. Des gens postent des photos sur les réseaux sociaux pour dire "on est à Bagdad ou à Marseille" » ? (un habitant du quartier)

Témoignage d'une rescapée du 65 de la rue d'Aubagne

Disponible en tête d'article, voici le témoignage d'une miraculée, une jeune étudiante qui habitait également au 65 rue d'Aubagne, au 5ème étage. Dans cette interview diffusée le 6 novembre 2018 dans le « 19-20 Provence Alpes » de France 3, elle décrit l'état de délabrement de son studio et des parties communes qui l'incitèrent à quitter en urgence les lieux, la veille de la catastrophe. Dans la soirée, constatant que le chambranle de sa porte avait bougé et rendait l'entrée dans son appartement difficile, elle avait décidé d'aller dormir chez ses parents.

Ce qu'elle raconte est édifiant. « Je vois que je n'arrive pas à l'ouvrir et à la fermer. Et que ça s'est vraiment dégradé en un laps de temps très court. À ce moment-là, je me suis dit "mais qu'est-ce que je fais" ? Je ne me suis pas dit que ça allait s'effondrer, mais je me suis dit : "Ça sent très mauvais. Et surtout si je passe la nuit ici, demain, je vais être complètement enfermée". Du coup, j'ai eu la chance d'avoir mes parents sur Marseille. Je suis allée chez mes parents et à 9 heures, l'immeuble s'est effondré, avec mes voisins dedans ».

Le vendredi précédent, elle avait déjà eu une grosse frayeur dans la cage d'escalier où elle discutait avec une voisine. Elle raconte : « On a vu les carreaux de verre, qui surplombent la porte, s'exploser tous seuls. À ce moment-là, je m'en rappelle très bien, c'était vendredi, il était environ 16 h 10, parce qu'on a appelé juste avant que le syndic ferme ». Une alerte restée sans réponse et qui n'était pas la première. Le 18 octobre, les pompiers avaient dû faire des travaux dans l'immeuble en urgence. L'étudiante décrit l'évolution d'une situation plus qu'alarmante : « D'abord, ça a été le mur qui a commencé à se fissurer, à s'incurver dans ma cage d'escalier. Le mur de droite, je les ai harcelés pendant deux jours pour qu'ils interviennent. Les pompiers sont intervenus le 18 octobre. Ils ont fait une intervention qui a duré environ quatre heures. On a été évacués, après la police et les pompiers nous ont dit "Regagnez vos logements. Tout va bien" ! ».

La jeune femme découvre alors un arrêté de péril affiché sur la porte de l'immeuble. Elle s'en inquiète auprès de son syndic qui lui laisse un message sur son répondeur. Ce message est à écouter dans l'archive en tête d'article. Il est très rassurant, ont lui demande de rester dans l'appartement. La jeune femme réclame justice, « ils ont tué mes voisins, en fait (...), c'est juste horrible », confie-t-elle.

L'étudiante en philosophie, sous le choc, ne cesse de penser à ses voisins, pris au piège dans l'effondrement. Elle a porté plainte auprès de la police judiciaire saisie de l'enquête.

La recherche de survivants

Le 6 novembre, le lendemain de l'effondrement des deux immeubles de la rue d'Aubagne, c'est une course contre-la-montre qui se poursuit pour retrouver des survivants. Toute la journée, et souvent à mains nues, 80 marins-pompiers et 120 policiers se relayent pour fouiller les décombres en quête de corps enfouis sous les gravats. L'amoncellement d'une hauteur de quatre à cinq mètres s'étend sur une étendue de seize mètres. Et une crainte domine : l'effondrement des bâtiments proches.

Dans le « 19-20 » de France 3, la journaliste fait état de trois morts retrouvés dans la journée. Elle précise que dans la rue, l'ambiance alterne entre le désespoir et la colère. Dans une grande détresse, les proches des disparus guettent le moindre signe de vie. Ci-dessous, Imane Saïd Hassani, fils d'une habitante disparue au n°65 n'a plus de nouvelles de sa mère depuis la veille. Il s'accroche encore à l'espoir.

Dans la soirée, Xavier Tarabeu, le procureur de la République de Marseille fait le point. Désormais cinq victimes sont sorties des décombres. Leur identification est en cours. Le Capitaine de Corvette Samuel, commandant des opérations de secours, décrit le caractère périlleux de l'entreprise, avec des risques d'effondrements latéraux des immeubles contigus qui rendent difficiles l'accès à d'éventuelles poches de survie au n°65. Dans l'après-midi, les habitants des immeubles voisins ont pu récupérer très vite quelques affaires chez eux.

Recherches des victimes
2018 - 03:29 - vidéo

La colère des habitants du quartier Noailles

Dans la soirée, les riverains se regroupent pour se recueillir. Beaucoup d'entre eux sont en colère et se sentent abandonnés. Certains craignent que leur propre immeuble vétuste ne s'effondre aussi. Ahmed Hamri, un riverain montre au journaliste l'état de son appartement où le plafond s'est effondré quelques semaines plus tôt, « désormais, le plafond de son voisin est au-dessus de sa tête et ce n'est pas très rassurant ». Dans l'après-midi, un autre immeuble a été évacué, un habitant s'avoue peu convaincu par la décision de la mairie. Au total, ce sont 106 familles de la zone qui ont dû être évacuées et relogées dans des hôtels.

Le début d'une enquête longue et complexe

Trois jours après les faits, Xavier Tarabeu, le procureur de la République de Marseille, donne une conférence de presse dans laquelle il prévient que l'enquête sera longue pour déterminer lequel des deux immeubles du 18ème siècle a entraîné l'autre. Il fait état d'une locataire du 65 qui avait appelé les pompiers la nuit précédente pour signaler l'aggravation d'une fissure, avant de se raviser.

Le conseil municipal se déchire

Très discret depuis le drame, le 8 novembre, le maire de Marseille s'exprime dans une conférence de presse. Face à la grogne qui monte, Jean-Claude Gaudin tente de se dédouaner. Après avoir rendu hommage aux victimes, l'édile précise que l'heure n'est pas à la polémique et que la lutte contre la vétusté est longue et coûteuse. Il revient sur l'ampleur de l'habitat indigne à Marseille et sur le travail réalisé par la municipalité depuis 20 ans.

 « Des moyens colossaux ont été mobilisés. Depuis 2005, la ville de Marseille a engagé plus de 200 millions d'euros, dont 110 au seul titre de l'ANRU (agence nationale de renovation urbaine), 35 de l'éradication de l'habitat indigne et 28 du logement locataire social (...). Il est temps que le législateur, sous l’autorité du gouvernement, modifie ces procédures qui sont trop longues, trop coûteuses et quelquefois qui sont manipulées de telle manière que des gens gagnent encore de l'argent sur les gens les plus pauvres ».

Des propos mal accueillis par l'opposition de gauche de la ville, à l'image de Samia Ghali qui réclame le décret d'un état d'urgence.

« Je considère aujourd'hui que le maire de Marseille n'a pas apporté les réponses, je regrette qu'il n'ait pas déclaré la situation d'urgence (...) je demande au maire de Marseille de créer un conseil municipal extraordinaire spécifique sur la situation pour qu'on réfléchisse sur ce que l'on peut apporter, ce que l'on peut modifier dans la gestion de la mairie, pour voir comment on peut apporter des solutions pour ne plus se trouver dans cette situation-là un autre jour ».

Hommage aux victimes dans un contexte tendu

Le 10 novembre, alors que le maire est très critiqué pour sa gestion de l'insalubrité, une marche blanche est organisée pour rendre hommage aux huit victimes retrouvées sous les décombres et en soutien aux habitants déplacés.

Huit morts et deux démissions

22 décembre 2018. À Marseille, l'effondrement des deux immeubles de la rue d'Aubagne, dans lequel huit personnes ont trouvé la mort au début du mois, a provoqué un électrochoc. 163 immeubles à risque ont été évacués depuis. Mais le drame a aussi entraîné la démission de deux élus locaux qui exploitaient des logements douteux. Un peu plus d'un mois après le drame, « L'œil du 20 heures » de France 2 mène l'enquête, avec les interviews de l'ancienne locataire d'un logement insalubre, et de Léo Purgette, rédacteur en chef de La Marseillaise.

Deux élus ont démissionné de leur fonction : Xavier Cachard, qui possédait un appartement dans un des immeubles et Bernard Jacquier. Ce dernier est un avocat spécialisé en droit immobilier et propriétaire d'un studio dans un immeuble insalubre. Après 19 ans dans ce logement, son ancienne locataire témoigne anonymement de sa condition de vie déplorable. Le journal La Marseillaise a mis la main sur un compte-rendu d'assemblée générale de la copropriété en 2016, ce qui a provoqué sa démission.

Le procès qui se tient du 7 novembre au 18 décembre, vu son ampleur, se déroule dans une salle spéciale prévue pour accueillir 400 personnes. Autre particularité, les audiences seront traduites en trois langues, l'italien, l'arabe et l'espagnol.

Le drame de la rue d'Aubagne à Marseille
2024 - 04:39 - vidéo

Le montage ci-dessus revient sur l'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne en 2018.

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