« Il revient à ma mémoire, des souvenirs familiers ». En 1985 lors du concert «Touche pas à mon pote» place de la Concorde à Paris, le groupe porté par Rachid Taha Carte de séjour interprétait Douce France de Charles Trenet, écrite sous l'Occupation. Dans un contexte de montée de l'extrême droite, cette reprise d'un monument du patrimoine musical français devint un hymne antiraciste.
Les membres de Carte de séjour, groupe formé à Lyon, sont principalement d'origine maghrébine, dits de la « seconde génération ». Ils furent parmi les premiers en France à mélanger le rock au raï. Dès le début des années 1980, le groupe soutient les mobilisations antiracistes locales. En décembre 1983, ils jouaient à l'arrivée de la Marche pour l'Égalité à Paris. C'est cependant leur reprise de Douce france, ensuite enregistrée en studio, qui fit leur succès.
« Charles Trenet, on peut le chanter nous ? »
En 1985, sur scène, comme on l'entend en tête d'archive, le chanteur Rachid Taha interpellait le public : « C'est une surprise. On va faire une chanson bien française, une chanson de Charles Trenet qui s’appelle Douce France. (...) Il y en a qui grincent des dents, on touche au patrimoine hein. Mais c'est le nôtre aussi. Oui ou non ? Charles Trenet, on peut le chanter nous ? »
Interviewé en 1987 par TF1, Taha expliquait : « On a chanté ça parce qu'on avait envie de faire une chanson sur la douceur de vivre en France parce que, bon, on est optimistes (...). C'est tout simplement une chanson d'espoir. »
Dans son article «"Douce France” par Carte de Séjour. Le cri du “Beur” ? », Philippe Hanus souligne : « Au fil du temps, Douce France avait perdu l'essentiel de sa dimension de résistance identitaire sous l'Occupation pour ne plus sonner aux oreilles de la jeunesse que comme la représentation d'une France surannée. Le groupe va faire voler en éclat cette image désuète. » Et d'analyser la reprise de Carte de séjour : « Ce rapt symbolique d'un lieu de mémoire français (...) légalise et légitime une présence dans l'espace public : celle des enfants des immigrés postcoloniaux et abolit de la sorte les frontières du dedans et du dehors. »
« Je crois que c'était une chanson qui était en avance »
« Pour eux, je suis l'arabe qui fait de la musique arabe, encore 20 ans après. Je ne suis pas musicien, je suis encore un phénomène social. » 20 ans plus tard, Rachid Taha, qui avait désormais une longue carrière solo derrière lui, revenait dans l'archive ci-dessous sur la reprise de Trenet : « Je crois que c'était une chanson qui était en avance ».
20 ans marche des beurs Rachid Taha
2003 - 03:43 - vidéo
Et de conclure : « Il va falloir beaucoup batailler pour arriver à une véritable France républicaine et égalitaire pour tous ».