L'ACTU.
Le 12 octobre, Emmanuel Macron, interrogé sur la menace nucléaire russe dans le cadre de la guerre en Ukraine, a tenu à rappeler son objectif d’« éviter toute escalade du conflit », tout en évoquant la « doctrine » nucléaire française.
« On a une doctrine. Elle est claire. Je l’ai exprimée pour ce qui est de la France. La dissuasion fonctionne, mais, moins on en parle et moins on agite la menace, plus on est crédible », a-t-il expliqué. Avant de préciser qu’une attaque nucléaire russe en Ukraine ne mettrait pas du tout en cause les « intérêts fondamentaux de la Nation » et qu’il était « évident » que cela n'appellerait pas une riposte nucléaire de la France.
L'enjeu est, selon lui, ailleurs : « ce serait une responsabilité historique de la part de la Russie, en tant que puissance dotée. (...) Et Vladimir Poutine le sait. (...) Et donc, c’est pour ça que j’ai toujours considéré que nous devions être dans une posture qui consiste à aider l’Ukraine à résister, à bâtir la paix, mais à éviter toute escalade du conflit. »
LES ARCHIVES.
La France est une puissance nucléaire depuis 1960 et son premier test réussi dans le Sahara. Après l'indépendance de l'Algérie, le gouvernement français décide de mener ses expérimentations en Polynésie française, sur les sites inhabités de Mururoa et Fangataufa. Le premier essai nucléaire aérien a lieu le 2 juillet 1966. Quelques semaines plus tard, Charles de Gaulle, en visite à Tahiti, résumait l'ambition française en matière de nucléaire militaire. « Nous sommes en train de réaliser une puissance moderne, non pas une puissance destinée à attaquer ou à dominer personne, au contraire, une puissance qui dans le monde très dangereux où nous nous trouvons, doit nous donner la capacité de dissuader les autres de nous attaquer (...), c'est-à-dire de nous donner la plus grande chance de paix qu’il soit possible », évoque-t-il dans l'archive en tête d'article. C'est la base de la doctrine nucléaire française : empêcher la guerre.
Elle suit actuellement trois grands concepts : la permanence, c'est-à-dire qu’elle s’exerce de manière continue, la suffisance, c'est-à-dire que les moyens dont le pays dispose correspondent au strict nécessaire, et enfin la souplesse, c'est-à-dire que cette politique s’adapte au contexte géopolitique ainsi qu’au contexte technologique et militaire. Pour le premier président de la Ve République, qui fit sortir la France de l'Otan, l'arme nucléaire est également une manière d'assurer l'indépendance de la France sur la scène internationale. Cependant, il faut attendre les septennats de François Mitterrand pour cristalliser la « doctrine » nucléaire française.
Intérêts vitaux, dernier avertissement et dommages inacceptables
Avec lui, trois notions clés émergèrent. En premier, la notion d'intérêts vitaux de la France, mentionnés par Emmanuel Macron, que la dissuasion nucléaire protège. Ce sont principalement le territoire, la population et la souveraineté du pays, mais ceux-ci ne sont jamais mentionnés avec grande précision. Dans l'archive de 1983 ci-dessous, le journaliste Albert du Roy proposait une visite du poste de commandement Jupiter sous l'Élysée, où le président de la République et ses équipes gèrent les situations de crise, les menaces de grande ampleur sur les intérêts vitaux du pays. « Tout le principe de la dissuasion repose sur la crédibilité de cette escalade terrifiante (...). Pour que le drame soit évité, chacun doit avoir la certitude que la France est prête à l’affronter si elle doit se défendre, c'est-à-dire si ses intérêts vitaux sont menacés », expliquait le journaliste.
Force nucléaire tactique
1983 - 06:09 - vidéo
Deuxième principe : en cas de rapprochement de ces intérêts vitaux, la France se réserve la possibilité de délivrer un ultime avertissement. « Si un jour la France en venait à être acculée à la défaite par la supériorité conventionnelle d’un éventuel agresseur, il ne lui resterait que deux choix : la capitulation ou la menace nucléaire. Devant ce choix du tout ou rien, le pays s’est doté d’une arme intermédiaire, efficace et dissuasive : le nucléaire tactique », détaillait Albert du Roy sur Antenne 2. Une frappe tactique correspond justement à ce « dernier et solennel avertissement du chef de l’État, annonçant à l’agresseur le déclenchement inéluctable de l’armement stratégique si celui ci persistait dans son entreprise ».
Enfin, pour dissuader, cette force doit pouvoir exercer des dommages inacceptables sur le territoire adverse, supérieurs à ce que serait l'enjeu du conflit. L'archive ci-dessus concluait : « les forces nucléaires tactiques, ultime recours, dernier avertissement avant l’apocalypse des armes nucléaires stratégiques. C'est pour ne jamais avoir à employer un jour ces forces stratégiques, Mirage IV, sous-marins nucléaires ou missiles du plateau d’Albion, qu’existe aussi le nucléaire tactique. »
Avec Jacques Chirac, préciser la force de dissuasion française
Après Mitterrand, les présidents successifs adaptèrent la force de dissuasion nucléaire française. Jacques Chirac supprima le site de lancement des missiles nucléaires sol-sol balistiques du plateau d'Albion ainsi que la distinction entre armes « tactiques » et « stratégiques ». Il inclut également, comme on peut l'entendre dans le discours de 2006 ci-dessous, les pays européens dans les intérêts vitaux de la France : « La bombe atomique française pourrait être utilisée si l’un pays européen était agressé ».
Changement de la doctrine de dissuasion nucléaire française
2006 - 02:19 - vidéo
Dans ce discours depuis la base de sous-marins nucléaires de l'Île Longue, Jacques Chirac rappelait également les principes de la dissuasion nucléaire française : « Ceux qui envisageraient d’utiliser d’une manière ou d’une autre des armes de destruction massive, doivent comprendre qu’ils s’exposent à une réponse ferme et adaptée de notre part. Et cette réponse peut être conventionnelle, elle peut aussi être d’une autre nature. » Et deux ans plus tard, dans le discours ci-dessous, Nicolas Sarkozy de rappeler ses usages. « Elle est strictement défensive : l'emploi de la bombe nucléaire ne serait à l’évidence concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense. » Des principes généraux qui ne semblent pour l'instant pas s'appliquer à la situation géopolitique actuelle, où la France est le seul pays européen doté de l'arme atomique.
Nicolas Sarkozy lance "Le Terrible"
2008 - 01:43 - vidéo