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Denis Peschanski : "On va conserver la mémoire du 13 novembre 2015"

Denis Peschanski : "On va conserver la mémoire du 13 novembre 2015"

L'historien et directeur de recherche au CNRS raconte la genèse du Programme 13-Novembre et comment se déroulent les tournages de la phase 3 qui ont débuté le 13 septembre à l'INA.  

Propos recueillis par Julien Boudisseau - Publié le 07.09.2021 - Mis à jour le 13.11.2021

Denis Peschanski lors d'un entretien mené dans le cadre de la phase 2 du Programme 13-Novembre.

INA / JUSTINE BABUT

Comment vous est venue l’idée d'interroger 1000 personnes en 10 ans sur la mémoire des attentats du 13 novembre 2015 ?

L’idée a émergé dans ma cuisine vers le 15 ou le 16 novembre 2015. Nous nous sommes parlés avec Francis Eustache, un collègue chercheur à l'Université de Caen. On avait deux envies : moi je voulais retrouver les mêmes personnes sur 10 ans, lui, il voyait une étude biomédicale. On avait déjà des contacts, notamment avec l’INA, et tout de suite, on nous a dit “on fonce”. Le pitch était : "ce qui se passe est fondamental, et on leur doit ça aux victimes". Il y a une dimension citoyenne que l’on ne doit pas oublier, et qui explique la motivation de tout ceux qui participent depuis 2015. Ils sentent qu’ils font partie de quelque chose qui dépasse ce qu’ils font d’habitude. C'est un projet hors norme qui relève aussi d’une exigence citoyenne. Et qui doit renvoyer quelque chose à la société de cette histoire-là.

Le rôle de l'INA est-il apparu rapidement ?

Oui, tout de suite. Car l’INA était déjà notre partenaire central sur Matrice, la plateforme technologique visant à mieux comprendre l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective. Avec 13-Novembre, on s’inscrit dans la continuité. Le PDG Laurent Vallet a donné avec enthousiasme son feu vert. Et l’ECPAD, issu du ministère de la Défense, a donné un gage d'assurance et une garantie supplémentaire, notamment pour faire témoigner les policiers ou les gendarmes. Mais aussi pour les unités mobiles qui permettent des entretiens à Caen, Montpellier et Metz. L’INA est central dans le dispositif puisqu’il conserve les entretiens. On va conserver la mémoire du 13 novembre 2015, et il n'y a pas d'équivalent ! De conserver ces images est primordiale. Et grâce à ce partenariat, on va au-delà des travaux habituels dans l’étude de témoignages. Là, c'est un défi intellectuel et humain sur le long terme.

Comment les victimes, les volontaires et les équipes ont répondu au projet ?

Le programme est scientifique : il y a 1000 personnes à trouver pour 10 ans. On voulait faire 1000 entretiens, et on voulait commencer la première phase avant le 1er anniversaire des attentats car après, ça allait être déformé, surtout pour les personnes exposées. On devait arriver à se lancer en moins d'un an. C'est en avril 2016 que les budgets ont été débloqués. Tout le monde a été partant. De François Hollande, chef de l'Etat à Alain Fuchs, président du CNRS à l'époque. La mémoire intéresse les gens, c'est une thématique qui séduit. On a donc très vite pris contact avec les associations créées après les attentats, 13onze15 et Life for Paris. Elles nous ont aidés. On leur a dit : “c’est une démarche scientifique, on va travailler sur la mémoire, on ne va pas vous interroger pendant 1 heure pour garder 1 minute, vous aurez le temps de parler, vous êtres libre de dire ce que vous voulez, et on va vous suivre pendant 10 ans.” Et ça, ça nous a ouvert les portes. La presse a joué aussi un relais.

Comment débutent les entretiens et comment se déroulent-ils ?

Les entretiens de phase 1 et de phase 2 ainsi que de phase 3 commencent tous par la même question : "Pourriez-vous me raconter le 13 novembre 2015 ?". Ensuite, c'est le même questionnaire avec des questions ouvertes et des relances thématiques. Nous tournons 6 jours sur 7 dans 3 studios à l'INA. Des dizaines de personnes sont mobilisées.

Quels sont les mots employés par les volontaires ?

Il n'y a pas d’euphémisme. En fonction de leur analyse, les mots vont changer, mais la plupart parlent de terrorisme, de terroristes, d'attentat. Il n'y a pas d’ambiguïté, y compris des personnes qui sont très engagées.

La tenue du procès des attentats en même temps que les tournages de la phase 3 est-elle une préoccupation ?

Ce n'est pas le procès qui préoccupe, c'est le virus. Il influe l'organisation. Nous devions tourner en avril 2021, on a décalé pour permettre à un maximum de volontaires d'être vaccinés, qu'ils soient tranquilles par rapport à ça et être rassurés. Donc on tombe pendant le procès. L’interaction avec la mémoire collective va jouer, car ce qu’ils vont entendre va devenir leur mémoire, on le sait.

Vous souvenez-vous où est-ce que vous étiez le soir du 13 novembre 2015 ?

Avec mon épouse Carine Klein-Peschanski, qui coordonne le Programme, nous étions dans notre salon, notre fille aînée hésitait à sortir, et elle n’est pas sortie du coup. L'attentat contre Charlie hebdo nous avait rendus malades, mais sans réel déclic. Là, le déclic a été immédiat, l'idée de travailler est tout de suite venue. C’est comme ça que ça a commencé, par une réaction humaine.

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