Max Ophüls disparaissait le 25 mars 1957, un mois avant son décès, Danielle Darrieux recevait, chez elle, les caméras de la télévision, pour l'émission Gros plan. Voilà comment elle dressait le portrait de son cinéaste préféré et décrivait l'atmosphère qu'il instillait sur un tournage.
"Il a un très grand charme. Il séduit tout le monde sur le plateau. On est dans une espèce d'ambiance extraordinaire."
Installée sur son canapé, son chien sur les genoux, l'actrice raconte : "Max Ophüls est un personnage étonnant. Moi qui ne suis pas du tout une actrice inspirée et travailleuse, je suis même un petit peu paresseuse. Quand on est sur un plateau avec Max Ophüls, il règne une atmosphère de conte presque. C'est un magicien, je trouve Max Ophüls. Il a un très grand charme. Il séduit tout le monde sur le plateau. On est dans une espèce d'ambiance extraordinaire. On ne sait plus très bien si on travaille."
Les yeux rêveurs et le sourire mutin, Danielle Darrieux raconte ensuite une anecdote à son propos pour illustrer son charme irrésistible:
"C'est très curieux comme atmosphère. Il a tellement de charme qu'il m'est arrivé quelque chose d'incroyable avec lui. Un jour, il m'a téléphoné. J'avais déjà tournée "La ronde" avec lui. Je reçois un coup de fil de lui et il me demande : "Avez-vous déjà lu "La maison Tellier" de Maupassant ?" Il me demande : "Voulez-vous tourner le rôle de l'affreuse naine Rosa la rosse ? Je lui dis : "Oui, naturellement." On ne réfléchit pas, du moment que Max Ophüls m'avait demandé de tourner le rôle de la naine, je trouvais ça parfaitement naturel."
Danielle et Max, une "frivolité sérieuse"
En octobre 1965, dans l'émission Cinéastes de notre temps, consacrée à Max Ophüls, des membres de l'équipe du tournage de Madame de, Alain Douarinou (cameraman) et Annette Wademant (scénariste), évoquent l'admiration que portait le réalisateur à sa muse. Vittorio de Sica, qui interprète le baron Fabrizio Donati, partenaire de l'actrice dans le film, témoigne lui aussi de son admiration pour elle.
Marcel Ophuls, le fils du réalisateur, parle de la véritable alchimie qui existait entre l'actrice et son père pour qui elle incarnait la féminité. Elle était "Fragile frivole et subtile" et "il adorait la frivolité sérieuse".
"Danielle, vous avez tellement le sens du comique que vous devriez toujours jouer du dramatique".
Dans cette même émission, Danielle Darrieux revient avec nostalgie sur leur "entente extraordinaire : "Il vous mettait plutôt dans une ambiance et ne demandait pas de choses précises. Je l'écoutais et je faisais tout ce qu'il me demandait parce que ça me convenait. Lui, il savait sortir tout ce qu'on a."
Elle évoque son grain de folie comme dans cette scène où elle devait chanter, dite "des marguerites", dans le film Le Plaisir, où il avait fait transporter un piano en pleine nature pour qu'elle puisse apprendre la chanson avant de jouer la scène !
Elle se souvient également qu'un jour il lui avait déclaré : "Danielle, vous avez tellement le sens du comique que vous devriez toujours jouer du dramatique".
"La frivolité d'abord..."
A l'époque de la sortie de Madame de, la critique taxa le film de "frivole" et la comédienne explique que c'était justement l'effet recherché par Ophüls, que ce qu'il voulait montrer c'était : "la frivolité d'abord. Elle (La comtesse Louis de) ne sait même pas qu'elle va souffrir. C'est ça qui l'intéressait. C'est le mélange d'une nature comme ça, terriblement superficielle dans le fond et qui devient un personnage très profond, très atteint."
"D'ailleurs, quand il a disparu… j'étais absolument perdue."
Lorsque Danielle Darrieux poursuit, on sent poindre une légère mélancolie dans ses propos : "J'ai l'impression qu'il m'a amené des choses extraordinaires. D'ailleurs, quand il a disparu, au-delà d'avoir perdu un ami très cher, j'étais absolument perdue. Je me suis demandée : "mais comment ! Je ne vais plus tourner avec Ophüls ! Mais comment vais-je faire ? Comment je vais être dirigée ? Quand j'ai tourné d'autres films, avec des gens qui ne me demandaient peut-être pas assez de choses, je pensais à lui. Je me disais : "qu'est-ce qu'il aurait trouvé ? Qu'est-ce qu'il aurait demandé ? Ça m'a quelquefois aidé."
L'actrice décrit ensuite la personnalité du cinéaste : "un homme charmeur, d'une grande élégance et coquetterie, goût du détail et du baroque. Il était très intuitif, n'aimait pas donner d'explications et pouvait se révéler tyrannique sur les plateaux."
Pour aller plus loin
Synopsis de Madame de
Dans le Paris de la Belle Époque, une jeune aristocrate coquette et frivole va découvrir l'amour avec un grand A mais également ses tourments...
"Jouer une scène avec Boyer, c'est merveilleux."
Dans Madame de, l'actrice retrouvait Charles Boyer, qui interprète le général-comte de, son époux. Elle avait tourné 18 ans plus tôt avec lui dans Mayerling. C'était alors une grande star internationale de cinéma, en France et aux USA. Toujours pour l'émission Gros plan de février 1957, elle se souvenait de leurs retrouvailles.
"Je me demandais comment j'allais retrouver Charles. Je le retrouvais pareil mais je l'ai beaucoup plus apprécié. Dans "Mayerling", j'étais simplement bouleversée d'émotion de tourner avec Charles Boyer en tant que grande vedette mais je ne me rendais absolument pas compte de son grand talent, de ce qu'il faisait de merveilleux. C'était uniquement le nom et la personnalité de vedette de Charles Boyer. Tandis que dans "Madame de", j'ai été beaucoup plus émue par son talent et par tout ce qu'il m'apportait. Jouer une scène avec Boyer, c'est merveilleux. Et puis, c'est tout de même un peu émouvant de se retrouver après dix-huit ans."
Florence Dartois (INA)