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1997 : Daniel Cohen explique pourquoi la modification profonde du capitalisme provoque des inégalités sociales

1997 : Daniel Cohen explique pourquoi la modification profonde du capitalisme provoque des inégalités sociales

L’économiste Daniel Cohen, spécialiste de la dette souveraine est décédé dimanche 20 août, à Paris, à l'âge de 70 ans. Professeur à l’École normale supérieure et membre fondateur de l’École d'économie de Paris, il était un spécialiste de la dette souveraine des pays.

Pa Florence Dartois - Publié le 21.08.2023 - Mis à jour le 22.08.2023
Daniel Cohen : le système économique - 1997 - 06:56 - vidéo
 

L’économiste avait entamé sa carrière dans les années 1990, il enseignait à l’École normale supérieure et était l'un des fondateurs de l’École d'économie de Paris. Conseiller de la banque Lazard, chroniqueur à L’Obs, il fut membre du Conseil d’analyse économique entre 1997 et 2012. Plusieurs de ses ouvrages devinrent des références, parmi ses nombreux livres d’économie, Richesses du monde, pauvretés des nations (Flammarion, 1997) reçut le Prix du livre. Son dernier ouvrage, Homo numericus. La « civilisation » qui vient était paru chez Albin Michel en 2022.

En avril 1997, à l'occasion de la parution de Richesses du monde, pauvreté des nations, il était l'invité de Laure Adler dans l'émission « Le cercle de minuit » pour évoquer sa vision de l'économie et son diagnostic personnel de l'accroissement des inégalités.

LES ARCHIVES.

Dans l'archive en tête d'article, Daniel Cohen revenait sur la notion de « civilisation du tri », un terme employé par Laure Adler pour décrire l'essence de l'ouvrage qui dénonçait une civilisation axée sur la destruction, la dévalorisation dans laquelle l'homme vivait de l'entrée à l'école à l'entreprise. En préliminaire de son propos, l'économiste expliquait pourquoi la nature de l'économie, « cette horreur économique qui, tout d'un coup, nous revient comme un élastique au visage », échappait aux politiques de l'époque.

Selon lui, le diagnostic était mal posé et il ne s'agissait pas, comme c'était souvent le cas, d'accuser le libéralisme, voire le marché mondial. La nature du capitalisme avait profondément changé depuis les années 50-60, une époque où chacun recevait au prorata de sa participation au processus de fabrication. La nouvelle économie ne profitait plus qu'à une minorité, soulignait-il : « Vous parliez de tri, je n'emploie pas le terme dans le livre, je parle d'appariement sélectif, mais c'est la même idée. C'est un de nous qui va gagner le franc et les autres ne vont rien gagner du tout. »

Éclatement du capitalisme

Il décrivait la cause de la métamorphose du capitalisme et comment la façon de « produire des marchandises », de « fabriquer du capitalisme » avait complètement changé de nature, passant d'un modèle intégratif à un modèle réducteur. Il prenait l'exemple des usines Renault, ​​​​​​un modèle où, « dans les lieux de production eux-mêmes, on avait toute la société en miniature », avec des gens très qualifiés qui réfléchissaient au processus de fabrication, qui intégrait des cadres, mais aussi une main-d’œuvre moins qualifiée, souvent issue de la campagne ou de l'immigration. Ce capitalisme du XIXe siècle, avait été, déclarait-il, « une machine de prospérité égalitaire ».

Ce modèle de grandes entreprises capitalistiques était, insistait-il, en train d'être « cassé, éclaté, débité en tranches », laissant place à des entreprises plus petites. Et le phénomène de « downsizing », la politique de réduction des effectifs, ou « dégraissage » était le symptôme du processus de concentration de la production. Désormais, ces petites entreprises correspondaient entre elles par l’intermédiaire du marché, alors qu'autrefois, elles étaient intégrées dans « des processus décisionnels organisés ». L'économiste pointait notamment du doigt la technologie qui permettait de délocaliser à l'étranger. « L'horreur économique » c'était cela, cette séparation des « analphabètes », mis en concurrence face aux « riches et bien-pensants ».

L'un des autres éléments responsables de la modification de la production était lié au rejet du travail à la chaine, considéré comme « abêtissant », qui avait obligé, à partir du milieu des années 60, à repenser la production d'une façon différente et qui avait « brisé ce mode d'association » en vigueur au XXe siècle.

Il concluait : « On ne comprend pas ce qu'est le capitalisme aujourd'hui, si on dit, "C'est la mondialisation qui crée la chose. C'est le marché qui, par une force autonome, provoquerait cette dissociation". C'est bien au cœur même que les choses ont volé en éclats, laissant, de fait, plus de place au marché, mais comme effet et non pas comme cause du processus. »

« L'altruisme s'est brisé »

Dans la seconde archive présentée ci-dessous, extraite de la même émission, Daniel Cohen évoquait la question de la solidarité et de la redistribution dans cette nouvelle société frappée d'inégalités, avec la nécessité pour les politiques de se ressaisir de la question de la reconstruction du politique et de l'État providence. Il analysait la source des inégalités et la redistribution ou non redistribution de l'argent dans la société.

La société était-elle prête à la solidarité ? Quelles seraient les conditions de faisabilité de la solidarité ? Il citait deux anecdotes tirées de son livre qui mettaient en évidence la baisse de l'altruisme : « La prospérité devient le résultat d'une course que l'on a ou pas » Avant d'expliquer pourquoi « l'appariement social » ne se faisait plus ni dans les usines ni dans la société.

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