L'ANNIVERSAIRE.
5 mars 1993. Cyril Collard, 35 ans, meurt des suites du sida. Artiste aux multiples talents, à la fois écrivain, acteur et réalisateur, il vient de connaître un énorme succès avec son premier long métrage, Les nuits fauves, adapté de son propre roman éponyme. Un film qui remporterait quatre César, quelques jours à peine après sa disparition. L'annonce de sa mort n'était une surprise pour personne, car l'artiste n'avait jamais caché sa maladie, la mettant en scène dans les pages de son roman et sur grand écran. Car avant d'être un film, Les nuits fauves, ce fut d'abord un roman, le second de Cyril Collard.
Paru en 1989, sa trame sulfureuse était en grande partie autobiographique. Le texte intrigua dès sa sortie, car son contenu souvent cru avait le mérite d'évoquer une maladie souvent passée sous silence à l'époque : le sida. En septembre 1989, Cyril Collard était reçu sur le plateau de l'émission « Océaniques », sur France 3, et répondait avec beaucoup de sincérité à une longue interview de Michel Le Bayon concernant ce roman. Nous vous proposons de découvrir plusieurs passages forts de cette émission intense et émouvante dévoilant un jeune homme épris de vie, se sachant déjà condamné.
Un roman sulfureux et lumineux
L'intrigue des Nuits fauves se déroule en 1986. Jean, 30 ans, bisexuel et brillant chef-opérateur de cinéma mène sa vie de façon hédoniste. Curieux de tout, il croque la vie à pleine dent. Séropositif, il sait que la mort le rattrapera un jour. En attendant, il traque la vie à travers sa caméra. Au cours d'un casting pour une publicité, il rencontre Laura, une jeune lycéenne de 17 ans. Entre eux va naître une passion dévastatrice. Mais Jean n'ose pas avouer sa séropositivité à Laura et fera l'amour avec elle sans préservatif au risque de la contaminer. Laura va peu à peu découvrir les facettes sombres de Jean : sa bisexualité, ses infidélités et le fait qu'il soit infecté par le virus du sida et que ses jours, à elle aussi, soient peut-être comptés.
L'archive en tête d'article date de septembre 1989, Cyril Collard donne une longue interview, un instant de partage durant lequel il va se livrer pour la première fois, avec beaucoup de sincérité et de profondeur. Au moment de cet entretien, le jeune auteur se savait séropositif, mais au début de l'entretien, il n'allait pas le dévoiler, préférant parler du sida de manière plus générationnelle : « Je parle du sida, ce n'est pas pour parler de l'évolution d'une maladie ou d'un combat contre elle […] c'est l'idée qu'elle fait partie des meubles cette maladie. Elle est là comme un des aspects de cette modernité et de quelque manière qu'on la prenne […] elle renforce la liaison entre l'érotisme et la mort. Comme un pont entre les deux ».
Prise de conscience
Dans l'extrait ci-dessous, Cyril Collard décrivait longuement ce qui se passait dans la tête d'un séropositif, se sachant malade, mais prenant tout de même le risque de contaminer quelqu'un. Le thème central de son livre : « Je crois que c'est absolument terrible pour eux. C'est un poids énorme. Pour quelqu'un qui est un salopard et qui a fait des saloperies toute sa vie, c'est peut-être un poids de plus. Pour quelqu'un qui estime avoir un comportement humain honnête et correct, c'est évidemment quelque chose d'épouvantable à porter. En même temps, je crois que c'est se remettre dans une espèce d'acte masochiste qui fait qu'on se remet dans les conditions de l'acte originel », Cyril Collard comparait alors cette sorte de transe initiatique à une recherche de « la rédemption » et à une impasse, une « impossibilité d'échapper au schéma judéo-chrétien ».
Cyril Collard sur la séropositivité
1989 - 00:54 - vidéo
Dire la vérité
Très vite, Cyril Collard allait reconnaître la part d'autobiographie dans son texte, celle concernant sa séropositivité. Il abordait notamment le dilemme de refuser de dévoiler sa maladie à son ou sa partenaire, décortiquant le processus du mensonge, motivé en grande partie par la peur du rejet et de l’abandon : « Au départ, on ne peut pas le dire, précisément si c'est quelqu'un à qui l'on tient […] Maintenant je le dis, c'est comme ça, c'est à prendre ou à laisser […] Bizarrement, ça ne fait pas forcément l'effet qu'on croit. Ce n'est pas le désert autour de soi, les gens ne partent pas en courant. »
Cyril Collard sur l'annonce de la maladie à ses partenaires
1989 - 01:07 - vidéo
« On est éduqué pour ne pas dire les choses, on ne sait pas dire non. On a peur du conflit, moi en tout cas, et puis, il y a comme une manière de communiquer qui revient peu à peu. Je sais que maintenant, je le dis. C'est un marché clair ».
Une mort inéluctable
Cyril Collard se livrait également sur la notion de mort certaine, qui à l'époque de l'interview était encore une issue inéluctable, faute de traitement. Cette idée d'une mort imminente, il semblait l'avoir apprivoisée.
Cyril Collard sur la mort
1989 - 00:26 - vidéo
« On ne peut pas l'oublier. Pour lutter contre, il faut savoir qu'elle est là. La lutte contre la maladie, c'est reconnaître la mort […] On ne peut pas en faire abstraction. Elle est là tout le temps ou alors ce n'est pas une lutte. »
Une œuvre de reconstruction
L'auteur expliquait ensuite pourquoi il avait ressenti le besoin d'écrire ce livre, de s'y livrer aussi intimement, « par nécessité artistique », pour trouver une chose enfouie à l'intérieur de lui, pour offrir au lecteur un récit authentique : « c'est le devoir de l'artiste d'aller chercher cette nécessité et de la donner aux gens. Pour moi, c'était la séropositivité et ce rapport passionnel, le rapport des deux ». L'écriture avait été pour lui une manière de se reconstruire face à un « morcellement intérieur ».
Cyril Collard sur la génération mystique
1989 - 04:20 - vidéo
« Il va y avoir un mouvement comme ça, où les gens vont chercher à se réunifier et on va avoir le droit à la génération mystique, ça c'est absolument certain »
Un film culte
Le 18 octobre 1992, à l'occasion de la sortie de son film Les nuits fauves, Cyril Collard présentait son film dans le journal de 20H00 de France 2, avant d'être reçu chez Bernard Pivot. Dans ce journal, le réalisateur était accompagné de la jeune actrice qui jouait Laura, Romane Bohringer. À ses côtés, il décrivait la dualité du film, entre ténèbres et lumière : « C'est un film violent, triste. J'ai voulu raconter une histoire d'amour entre Jean et Laura (Romane Bohringer). Ce n'est pas un film sur le sida. La séropositivité transforme le personnage, il s'ouvre et il arrive à dire je t'aime. Ce film aborde la bisexualité, j'ai voulu aborder la morbidité sans tomber dedans. »
Romane Bohringer confiait avoir accepté ce rôle difficile après avoir été séduite par la personnalité de Cyril et ensuite par le scénario où « il y avait de la passion, de la violence, de la férocité ».
Plateau Cyril Collard et Romane Bohringer
1992 - 03:58 - vidéo
Une célébrité posthume
Le film devait remporter un énorme succès auprès du public et de la critique. En mars 1993, le long métrage était nommé aux César dans plusieurs catégories. Le soir de la cérémonie, il raflait quatre statuettes dorées : meilleur film et meilleure première œuvre, meilleur montage et meilleur espoir féminin pour Romane Bohringer. C'est d'ailleurs la jeune actrice très émue qui recevra les prix en l'absence de Cyril Collard disparu trois jours plus tôt du sida. Ses mots poignants allaient toucher l'assemblée : « Cyril, Les nuits fauves, je les porte en moi pour toujours, ça m'a donné la force, ça m'a donné la vie et j'espère ne jamais te décevoir. J'espère que tu seras toujours fier de moi et je suis sûre que, là-haut, tu as déjà trouvé de la pellicule et une caméra ».
Lors de ses obsèques, des milliers de personnes vinrent lui rendre un dernier hommage. Le texte qui conclut son roman devenant alors une poignante épitaphe : « Je suis vivant, le monde n'est pas seulement une chose posée là extérieure à moi-même, j'y participe et ce n'est plus ma vie. Je suis dans la vie. »
César du meilleur espoir féminin pour Romane Bohringer
1993 - 03:03 - vidéo
La chanson du film
Cyril Collard était aussi musicien, il a composé la chanson de la BO du film. En octobre 1992, il l'interprétait sur le plateau du « Cercle de minuit ».
Pour aller plus loin :
Cyril Collard à propos de son livre Condamné amour (son 1er roman) dans « Apostrophes » en mars 1987, et un portrait par Michel Vial sur FR3 d'avril 1987, toujours à l'occasion de la sortie de ce roman.
Interview vérité de Cyril Collard par Thierry Ardisson. Ils reviennent sur son parcours, ses choix, sa sexualité, en octobre 1989.
L'affaire Collard. Un an après sa mort, une polémique éclate lorsque Françoise Giroud évoque dans son livre, Journal d'une Parisienne que le réalisateur a transmis le sida à Erica, la petite fille de Suzanne Prou.