C’est l’une des affaires criminelles les plus tristement célèbres de l’histoire américaine. Au petit matin du 9 août 1969, la police découvre une abominable scène de crime dans une villa du quartier de Beverly Hills, à Los Angeles : l’actrice Sharon Tate, enceinte de huit mois et épouse du cinéaste Roman Polanski, et trois de leurs amis, gisent, sauvagement assassinés. Un quatrième corps est découvert dans la propriété. Polanski, retenu en tournage à Londres, ne fait pas partie des victimes.
La nuit suivante, à moins de vingt kilomètres de distance, les LaBianca, un couple fortuné, est à son tour assassiné dans sa villa du quartier de Los Feliz.
Inscriptions en sang sur les murs
La police ne fait pas tout de suite le rapprochement entre les deux événements, mais leur ressemblance est frappante : sur les deux scènes de crime sont retrouvées des inscriptions aux murs, écrites avec le sang des victimes : « Pigs » (porcs), la première nuit, avec le sang de Sharon Tate. La deuxième nuit, avec le sang de Leno LaBianca, « Death to the Pigs » (Mort aux porcs) et « Rise » (Lève-toi). On retrouve aussi l’inscription « Healter Skelter » (pouvant signifier « désordonné »), titre d’une chanson des Beatles, sur le frigidaire.
L’enquête de la police piétine, mais elle trouve un nouveau souffle, inespéré, en octobre 1969. Une jeune détenue d’à peine 21 ans, Susan Atkins, suspectée d’un meurtre commis le 25 juillet sur la personne de Gary Hinman, un professeur de musique, se vante à sa voisine de cellule d’être responsable de l’assassinat qui obsède alors l’Amérique, celui de la célèbre Sharon Tate.
Dès lors, tout s’enchaîne, la police parvient à retisser les fils de cet été tragique : les meurtres de Gary Hinman, le 25 juillet, de Sharon Tate et de ses amis, le 8 août, ainsi que du couple LaBianca, le 9 août, portent tous la marque d’une même personne : Charles Manson.
Petit homme
Le monde découvre alors l’existence de ce petit homme d’1,57 mètres, âgé de 34 ans, au regard hypnotique et au sourire maléfique, et de ses quatre jeunes complices, tous membres d’un groupe qui se fait appeler « la Famille ». Leur procès, qui s’ouvre à l’été 1970, permettra d’établir les responsabilités.
A Charles Manson, le leader du groupe, la responsabilité morale des assassinats. Absent des scènes de crime, il est celui qui a poussé Charles « Tex » Watson, Patricia Krenwinkel, Susan Atkins et Leslie Van Houten à les commettre.
Durant le procès, les accusés ne présentent aucun remords. Les jeunes femmes arrivent tout sourire, en chantant. Pour l'audience et les membres du jury, les détails, livrés sans aucun ménagement, sont insoutenables.
Susan Atkins raconte ainsi avoir répondu à Sharon Tate, qui la suppliait de l'épargner pour laisser la vie à son bébé : « Femme, je n'ai aucune pitié pour toi », avant de lacérer le corps de l'actrice de seize coups de couteau. Son cadavre sera retrouvé avec une corde de nylon autour du cou, la reliant au corps de l'un de ses amis, Jay Sebring.
Les cinq prévenus seront condamnés à mort, une sentence commuée en emprisonnement à vie en 1972, suite à la décision de la Cour suprême de Californie qui déclare la peine capitale inconstitutionnelle.
Emprise
Dès l’automne 1969 et l’arrestation de Charles Manson et de ses complices, le monde s’interroge. Qui est-il, qui sont ces trois jeunes femmes qu’il a transformées en tueuses macabres et sans pitié ? Pourquoi un tel déchaînement de violence, pourquoi ces inscriptions barbares sur les murs ?
Alors, des journalistes du monde entier sont envoyés sur les lieux, dans cette ville de Los Angeles, capitale mondiale du cinéma, pour tenter de percer le mystère de « La Famille ». Un groupe, ou plutôt une secte, qui adopte le style de vie à la marge des hippies, alors très nombreux dans la Cité des Anges.
En décembre 1969, un reporter du magazine Panorama rencontre deux jeunes hippies qui ont connu Manson. Ils décrivent un homme « intelligent, démoniaque, manipulateur », qui se sert de la fascination qu’il exerce sur les gens, et notamment ceux à la recherche « d’une figure paternelle », pour parvenir à la notoriété et à son « fantasme » de devenir « une sorte de roi du monde ». Sa « Famille » est principalement constituée de jeunes femmes, qu’il considère comme ses « esclaves ». Leur usage fréquent de drogues, mais aussi leur pauvreté et leur rupture avec la société, les place sous son emprise psychologique.
Contre-culture
Charles Manson est en réalité tout sauf un hippie. Au contraire, son apparence a longtemps ressemblé à celle d’un « Cow boy », sans moustache et les cheveux courts. Plus le look d’un « homme de l’Ouest » que celle d’un « baba cool » aux cheveux longs.
Cette jeune hippie qui a côtoyé Charles Manson l’a remarqué, ce dernier peut « devenir n’importe qui : Cow boy, hippie, cinéaste, démon, Satan ». C’est un « caméléon », fils abandonné d’une prostituée, qui remarque, en sortant de prison en 1967, après avoir déjà passé le tiers de sa vie sous les barreaux pour de menus larcins et proxénétisme, que la société a changé : Les hippies forment désormais la contre-culture d’une Amérique au consumérisme triomphant, le rock est à son apogée. Il s’essaye à la musique, mais échoue.
Son rêve de grandeur, il le mûrit au sein de la « Famille » qu’il réunit autour de lui, et à qui il fait part de ses folles visions. De l’Album blanc des Beatles, sorti en novembre 1968 et dont il est un grand fan, il fait par exemple une interprétation toute particulière. Et notamment, la chanson Helter Skelter. Pour son auteur, Paul Mc Cartney, elle fait référence à un toboggan en hélice conique présent dans les fêtes foraines britanniques. Mais Manson y voit tout autre chose qu’un vulgaire manège...
Le parcours de Charles Manson
2016 - 03:54 - audio
Fabrice Drouelle, dans un épisode d’Affaires sensibles diffusé sur France Inter en 2016, explique que Manson y décèle « une prophétie, celle d’une révolte à venir des noirs contre les blancs, les noirs prenant le pouvoir dans la violence ».
Une « vision » dans l’air du temps, en raccord avec l'actualité d'une société américaine toujours empreinte de racisme, et où les luttes pour la reconnaissance des droits civiques des noirs ont à peine abouti à un reflux de la ségrégation raciale.
Ces années d'espoir vers plus d'égalité entre les communautés sont aussi celles où de fortes tensions ont émaillé le quotidien de nombreuses villes du pays. En 1965, le quartier noir de Watts, à Los Angeles, était saccagé par ses habitants après des altercations avec la police. Durant l'été 1967, de nombreuses révoltes mettaient le feu à des quartiers entiers de grandes villes, comme à Détroit. Un épisode qui reste dans les annales américaines comme le « Long, hot summer of 1967 » (Long et chaud été de 1967).
Nouvelle société
Charles Manson imagine ainsi qu’après le renversement de « l’élite blanche » par les noirs, ces derniers, « incapables d’assumer le pouvoir », « feront appel à lui pour les guider ».
Dès lors, profitant de l’emprise totale qu’il exerce sur son groupe, il manigance les assassinats de l'été 1969, imaginant qu’un tel déchaînement de violence sur des personnes blanches, fortunées et sans défense, ne pourra que mener les enquêteurs sur la piste d’assassins noirs. Ces derniers, injustement accusés d'être responsables de crimes qu'ils n'ont pas commis, se révolteront une bonne fois pour toutes, provoquant le chaos qu'il appelle de ses voeux, et la destruction d'une société qu'il considère responsable de ses malheurs.
Prison de Corcoran
Il ne s’agit pas d’une idéologie, mais bien d’une pensée issue d’un esprit malade, une folie, que, vingt ans après les faits, Muriel Hees a voulu tenter de mieux cerner. Au parloir de la prison de haute sécurité de Corcoran en Californie, elle est la première journaliste française à s’entretenir avec le « gourou du mal », pour le magazine Reporters, en 1989.
Un document exceptionnel, qui, en plus de donner la parole à Manson, interroge certains de ses codétenus. Vingt ans après les meurtres de l'été 1969, Charles Manson, rappelant son enfance chaotique et malheureuse, dit ne rien regretter.
Interview de Charles Manson
1989 - 08:44 - vidéo