La France possède-t-elle assez d’avions bombardiers d’eau ? C’est la question, reprise par les médias, posée par plusieurs acteurs de la sécurité civile, alors que les deux grands incendies dans le département de la Gironde ont déjà brûlé près de 20 000 hectares de la forêt des Landes. En déplacement sur les lieux des sinistres, et notamment à la Teste-de-Buch, mercredi 20 juillet, le président de la République a estimé que les vingt-deux avions dont est dotée la protection civile étaient « suffisants ces dernières années », mais qu’il faudrait en « avoir davantage », grâce à l’échelon européen.
Le 16 juillet, Christophe Govillot, pilote de Canadair, membre Syndicat du personnel navigant de l'aéronautique civile, alertait sur BFMTV quant aux problèmes de maintenance des appareils, qui diminuent encore plus les moyens effectifs. « Il y a 8 Canadair disponibles sur les 12, ce qui n'est pas du tout normal en cette période de feu. On a que 5 Dash sur les 6 et on a que 2 Beechcraft sur les 3. On a un vrai souci de maintenance, un vrai problème de moyens aériens disponibles pour pouvoir lutter efficacement contre les feux. »
Premier de ces avions cités par Christophe Govillot, le Canadair est le fer de lance de la flotte française de bombardiers d’eau. Connu de tous, utilisé systématiquement lors des grands incendies de forêt, notamment dans le Sud méditerranéen, le Canadair a fini par symboliser pour les Français tous les appareils bombardiers d’eau. Le Canadair est un avion amphibie bimoteur conçu par la société canadienne Canadair. Le premier modèle (au monde) spécialement conçu pour les incendies, le Canadair L-215, fut lancé en 1967. Et en 1970, les premiers Canadair équipaient la sécurité civile française, qui dès lors devenait l’un des pays spécialistes de ce type d’engins, une compétence que partagent également aujourd’hui les autres pays d’Europe méditerranéenne – Espagne, Italie et Grèce – qui possèdent également de nombreux modèles.
Prendre l'air en 15 minutes
Le 6 août 1978, TF1 consacrait un reportage sur les conditions de pilotage du Canadair. Huit ans après leur arrivée en France, ces appareils faisaient la fierté de l’escadrille de pompiers du ciel, constituée au début des années 1960. « 16 des 24 équipages se retrouvent ainsi en alerte à Marignane, du lever au coucher du soleil, à proximité de leurs bombardiers à eau » explique le journaliste Eric Gilbert dans le reportage placé en tête d’article. « Lorsqu’on les appelle, ils doivent pouvoir prendre l’air en 15 minutes ».
En 1978, les Canadair sont déjà au nombre de 12. « Au début [en 1970, NDLR], poursuit le commentaire d’Eric Gilbert, on a émis quelques doutes sur leurs forces de frappe, maintenant ils sont sollicités à tout moment et interviennent sur tout le territoire. En 1976, même les Allemands les ont appelés à la rescousse. »
Le reportage détaille ensuite les prouesses techniques du Canadair : « Leur efficacité tient bien sûr aux capacités de l’appareil, grâce à ses entonnoirs le Canadair peut aspirer par écopage 5500 litres d’eau en 26 secondes, et noyer ensuite une surface grande comme un terrain de football. » Et puis sur, il « aussi l’habileté des pilotes, qui souvent se posent en mer avec des creux de 1 mètre 50 pour aller larguer ensuite à 30 mètres au-dessus des flammes. Cela, parfois pendant 8 heures. »
Dans sa cabine de pilote, le doyen des pilotes, Lucien Rambaud, 57 ans, témoigne au micro d’Eric Gilbert : « Je pense que l’aspect le plus difficile pour le pilote est la tension nerveuse aussi bien pendant l’écopage que pendant le largage. Lorsqu’il y a des feux, il y a presque toujours un vent relativement fort, ce qui rend l’écopage assez difficile à cause de la houle ou du clapot. Et le largage, à la suite des turbulences rencontrées sur les lieux [des incendies]». Les pilotes de Canadair sont, en 1978, tous des anciens de l’Aéronavale, avec une moyenne d’âge de 45 ans, et une grande expérience de vol en milieu marin.
Vétérans
Ce sont donc des vétérans, avec 4000 ou 5000 heures de vol. « Ces pompiers du ciel vivent en équipe, poursuit le reportage, l’ambiance sur la base est particulière avec un petit parfum d’aventure un peu rétro. Cette notion d’escadrille se révèle efficace. Dans les périodes noires, en plein été, lorsque les incendies se multiplient, les 12 avions peuvent prendre l’air en même temps pour effectuer leur pilonnage. Les mécaniciens au sol travaillent alors jour et nuit pour maintenir les appareils en état de vol. »
Les pilotes, pour qui la notion de danger est taboue, en tout cas face aux questions des journalistes, aiment ce sentiment d’utilité immédiate que procure la lutte contre les incendies. « On a l’impression de participer à quelque chose de réel, explique Lucien Rambaud. Dans l’aéronavale, il m’est arrivé d’effectuer des missions, sans en connaître directement le résultat, alors que là chaque largage est vu, et à la fin de la mission si le feu est éteint, chacun est content. »
Le reportage se conclut sur la question de la sécurité : « Les pilotes admettent simplement qu’ils font un travail délicat, mais les risques, disent-ils sont calculés au plus juste », explique Eric Gilbert. En huit ans, deux équipages ont trouvé la mort, mais dans le même temps, 50 000 largages ont été effectué par les Canadair.