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La progression du vote FN en Bretagne à travers les années

La progression du vote FN en Bretagne à travers les années

Les résultats des dernières élections européennes ont surpris en Bretagne. Pour la première fois, tous scrutins confondus, le Rassemblement national est arrivé en tête des votes dans la région, avec plus de sept points d'avance sur la liste socialiste. Pour certains observateurs, ce résultat marque un tournant historique pour cette terre plutôt pro-Europe et orientée à gauche.

Par la rédaction de l'INA - Publié le 14.06.2024
 

L'ACTU.

Le 9 juin 2024, les électeurs bretons se sont largement déplacés pour les élections européennes. En Bretagne, la participation était en hausse de près de trois points (57% contre 54%) par rapport à 2019. Mais si le résultat du scrutin a surpris les observateurs, c'est parce que, pour la première fois, le Rassemblement national porté par Jordan Bardella, est arrivé en tête à Lorient, Fougères, Pontivy ou encore Guingamp. Avec 25,58% des voix, c'est un résultat inédit et un succès historique pour une liste d'extrême droite, toutes élections confondues, en Bretagne.

En effet, les Bretons étaient connus jusqu'alors pour être plutôt portés vers la gauche de l’échiquier politique. Également pro-européens convaincus, ils avaient massivement voté pour le « oui » lors du vote sur l'adoption du traité de Maastricht en 1992. Un positionnement que rejetait le parti de Marine Le Pen jusqu'à récemment, avant de changer de braquet en affirmant qu'il n'était plus question de quitter l'Europe, mais de la changer de l'intérieur.

LES ARCHIVES.

Que disent les archives de la relation des Bretons avec l'extrême droite et le Front national ? Elles laissent apparaître une adhésion progressive, mais limitée, qui était souvent associée, jusqu'en 2012, à un sentiment d'abandon, de misère sociale et de méfiance à l'égard des promesses politiques non tenues.

Avant Marine Le Pen, qui, semble-t-il, est parvenue à séduire une frange de l'électorat breton, il y avait son père. Et Jean-Marie Le Pen, natif de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), n'était toutefois pas toujours le bienvenu sur ses terres natales. Une situation qu'il dénonçait, comme il le confiait à Rennes Soir, sur FR3, en avril 1981, une archive disponible en tête d'article. À l'époque, candidat à l'élection présidentielle, il peinait à recueillir les signatures des maires bretons et se lamentait de ne pas être prophète en son pays. « Je regretterai que ce soit à cause des Bretons que je ne puisse pas me présenter », plaisantait-il.

Deux ans plus tard, au moment de législatives partielles, Jean-Marie Le Pen était quand même parvenu à obtenir de bons résultats au premier tour dans sa commune natale, avec 51 % des voix. Un micro-trottoir réalisé par FR3 à La Trinité-sur-Mer montrait que les habitants n'étaient pas si réfractaires que cela à l'enfant du pays.

« Il n'est ni fasciste ni raciste, je pense que c'est un monsieur qui exprime juste tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas... ou encore, d'une commerçante, Jean-Marie Le Pen défend des vraies valeurs, je pourrais citer l'exemple de la famille... »

Une opposition protéiforme

Ce vote ne devait pas cacher l'opposition qui existait alors, surtout dans les villes plus grandes, à l'image de Brest ou de Rennes, où chaque réunion du leader frontiste était accompagnée de manifestations d'opposants d'extrême gauche ou de gauche, pouvant aller jusqu'à de violents heurts. À l'image de l’archive qui suit de 1984.

Manifestation contre Le Pen à Rennes
1984 - 00:00 - vidéo

14 juin 1984. Cocktails Molotov, barricades, chaussées dépavées contre gaz lacrymogène. Durant deux heures, les forces de l'ordre de Rennes et les manifestants s'étaient violemment opposés.

Les manifestations étaient loin d'être les seuls modes d'expression des Bretons pour dire non au FN. À l'image de cette campagne orchestrée par un député rocardien en 1987, dans le Finistère, où des milliers d'affiches représentant Adolf Hitler avaient été collées avec ce slogan : « Attention, au début aussi, Hitler faisait rire ». Dans l'archive ci-dessous, Bernard Poignant (ancien député PS) s'en expliquait.

« L'extrême droite est présente dans la société française, il faut donc rappeler aux Français quelques souvenirs et leur dire comment l'extrême droite est d'abord perçue, comme quelque chose à laquelle on ne croit pas, et puis, ça finit par arriver... »

D'autres élus empêchaient Jean-Marie Le Pen de s'adresser au public, en lui refusant, par exemple, la location d'une salle. Retour dans la ville natale du chef du FN en mai 1990. Par la voix de son maire, pourtant ami d'enfance de Jean-Marie Le Pen, la municipalité de La Trinité-sur-Mer s'opposait à l'organisation de la réunion des parlementaires des droites européennes, prévue le mois suivant. Une réunion à laquelle Jean-Marie Le Pen avait convié un ancien Waffen SS, Franz Schönhuber. Une présence qui choquait la population, lassée que l'on assimile le petit port au berceau de l'extrême droite en France.

Les années suivantes furent parsemées de manifestations d'opposition, comme lors de la visite de Martine Lehideux, vice-présidente du Front national, à Brest et Guingamp en 1997 ou à l'occasion de la fête de la Saint-Jean, dans la forêt de Brocéliande, haut lieu celte.

Mais cette opposition ne doit pas cacher l'adhésion aux idées frontistes dans certains bastions de Bretagne, à l'image de Crozon dans le Finistère, où, lors des élections présidentielles de 2002, les habitants avaient massivement voté pour Jean-Marie Le Pen. À l'époque, ce résultat flirtant autour de 16%, proche de la moyenne nationale, faisait montre d'exception. Un choix si atypique que FR3 Rennes avait enquêté sur place pour analyser ce vote.

Cette situation s'expliquait, selon le commentaire, par la forte proportion de retraités de la marine marchande, de militaires d'active à l'Île Longue (près de Brest), de commerçants et de propriétaires de résidences secondaires. Parmi les préoccupations des habitants interrogés, il y avait les incivilités croissantes, les dégradations, et sans doute aussi « un tissu économique en perte de vitesse avec le déclin de la pêche et la déflation des effectifs de l'armée ». À cela s'ajoutait le manque d'investissements faits sur le territoire pour le redynamiser.

Ce vote était présenté comme essentiellement contestataire et en sanction vis-à-vis des partis traditionnels. Et il bousculait les certitudes d'une Bretagne traditionnellement à gauche.

Quelques années plus tard, aux Cantonales de 2011, le FN bénéficiait d'un bon score. Interrogé sur le plateau de France 3 Rennes, le politologue Éric Gherardi expliquait que le fort taux d'abstention avait profité au FN. Pour le politologue, il y avait une part de vote sanction dans le vote FN, mais pas plus qu'en 2004, puisque, il y avait le même nombre de voix. Il ne s'inquiétait pas pour le deuxième tour qui amplifiait en général les résultats du premier tour. « Il y a rarement une évolution significative de la participation sauf situation cruciale. Le report des voix va être important. L'érosion du vote de droite a continué (...) Il n'y a pas davantage de voix pour le Front national, mais on en a plus parlé », concluait-il.

« C'est un effet arithmétique. L'électorat du FN s'est mobilisé comme en 2004 et comme la participation générale a baissé ; mécaniquement, la proportion des électeurs FN dans l'électorat qui s'est exprimé a augmenté. L'ensemble des forces politiques autres que le FN a perdu des voix sur la plupart des cantons à faible participation. Il modérait ce succès en ajoutant, Le Front national est un parti qui n'a jamais réussi à s'implanter en Bretagne, il n'arrive pas à trouver de candidats dans la plupart des circonscriptions. Le vote FN se fait pour le chef du parti et non pour les candidats locaux ».

Si Jean-marie Le Pen a toujours eu du mal à implanter durablement le FN sur ses terres de Bretagne, l'arrivée de Marine à la tête du parti a séduit davantage d'électeurs. Dès sa première participation à l'élection présidentielle en 2012, ses résultats progressèrent en Bretagne. Une progression suffisamment sensible pour que le JT de France 3 Rennes lui consacre un sujet le 23 avril 2012. « L'un des résultats notables du premier tour de l'élection présidentielle, c'est la poussée du Front national en Bretagne. 13,24% pour Marine Le Pen, c'est quasi le double du score réalisé par son père, Jean-Marie Le Pen, en Bretagne à l'issue du 1er tour de 2007 ». À La Noë-Blanche, en Ille-et-Vilaine (deuxième commune de Bretagne, derrière Radenac, à avoir le plus voté pour la candidate du FN), Marine Le Pen arrivait en tête avec 31,5% des voix. Mais le PS et le PC avaient aussi progressé par rapport à 2007.

Sur place, les habitants ne cachent pas la teneur de leur vote, qui parait toujours être davantage une sanction à l'égard de la politique de Nicolas Sarkozy, le président sortant, qu'une réelle adhésion au programme du FN. Une fois de plus, la situation économique fragile de l'industrie et du monde agricole restent des arguments avancés pour justifier ce vote.

« Alors qui sont ces nouveaux électeurs de Marine Le Pen ? s'interrogeait Élise Lucet le lendemain du vote, pour le savoir, nous sommes allés à Radenac, la commune qui a enregistré le plus gros score du FN en Bretagne : 31%... ».

Dans les témoignages, il était question de patriotisme, d'absence de commerces, de ras-le-bol des discours politiques, mais transparaissait aussi un sentiment de culpabilité qui faisait espérer au maire un revirement au second tour.

« On parle très peu des ruraux et il y a des difficultés, ici comme ailleurs dans le pays, je pense que c'est ça, ce n'est pas l’immigration. Ici, il n'y en a pas »

Plus étonnant, cette année-là, le bon score du FN dans le Finistère. À Mahalon, par exemple, il faisait plus de 16% pour ce premier tour de l'élection présidentielle. Des électeurs expliquaient pourquoi ils avaient fait ce choix. Pour le maire, c'était un vote de détresse et d'inquiétude face à l'avenir.

Encouragée par ces premiers résultats positifs à l'ouest, Marine Le Pen amplifiait sa campagne en Bretagne, où ses résultats n'avaient pas dépassé 15%. Ses arguments de campagne collaient parfaitement avec les enjeux locaux. Premier meeting à Erquy, capitale de la coquille Saint-Jacques. Parmi les mesures de la candidate : la nationalisation de la pêche. Autre réunion, à La Trinité-Porhoët, village rural, où en 2012, elle avait réalisé un score de dix points supérieurs à celui de la région. Ce soir-là, après un hommage aux agriculteurs, portée par la ferveur de la foule réunie sous une grange, qui clamait : « On est chez nous », la candidate abordait des thématiques traditionnelles du FN, pourtant peu d'actualité dans cette région rurale : la délinquance, l'immigration massive.

La suite de sa conquête de l'Ouest se déroulait ensuite dans les grandes villes, plus difficiles à convaincre, à l'instar de Bordeaux (à droite) où elle essayait de séduire les déçus du Fillonisme. Un discours qui, « s'il infusait peu à peu », précisait le commentaire, était toujours combattu par des opposants qui se regroupaient à chaque déplacement de Marine Le Pen dans la région.

Marine Le Pen : à la conquête de l'ouest
2017 - 00:00 - vidéo

Aux européennes de 2024, le vote RN a été majoritaire dans les ports bretons. Le discours protectionniste du parti séduit les pêcheurs inquiets. Ainsi, au Guilvinec, troisième port de pêche français, la liste de Jordan Bardella est arrivée en tête avec 29,71% des voix. Interrogé par France 3, le maire Jean-Luc Tanneau résumait bien la situation : « La crise de la pêche a un effet sur les votes au Guilvinec. Parce qu'ici, il n'y a pas d'insécurité, ni d'immigration ».

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