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Les p'tits bals du samedi soir n'ont jamais été tranquilles

Les p'tits bals du samedi soir n'ont jamais été tranquilles

La mort d'un adolescent de 16 ans tué dans un bal dans la Drôme enflamme le débat. «Ensauvagement», «guerre civile», «ratonnade»... Des mots lourds ont été utilisés dans les médias et dans le débat politique. Meurtre prémédité ou bagarre qui a mal tourné ? L'enquête semble aller vers cette deuxième piste. Nos archives regorgent de faits divers sur les rixes des bals, mais ce qui étonne, c'est l'évolution du regard de la société. Au fil des décennies, de banales, les «castagnes» sont devenues intolérables.

Par Florence Dartois - Publié le 29.11.2023 - Mis à jour le 05.12.2023
Bagarre dans un bal à Alfortville - 1974 - 02:54 - vidéo
 

L'ACTU.

La mort de Thomas, un jeune lycéen de 16 ans poignardé samedi 18 novembre à la fin d’un bal organisé dans le petit village de Crépol (Drôme), secoue l’opinion publique. Alors que l’enquête suit son cours, l’affaire a déclenché un tombereau de messages haineux, d’appels à la violence et de vengeance sur les réseaux sociaux. Ce climat explosif s’est soldé, le weekend du 25 novembre, par un rassemblement assimilé à une «ratonnade», un phénomène courant dans les années 70-80. Des militants d’ultra-droite sont en effet venus en découdre avec les jeunes du quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, dont sont issus certains suspects de l’affaire.

L’enquête, qui doit encore déterminer le contexte précis de la rixe mortelle, semble abandonner l’hypothèse d’une descente punitive organisée et s'orienter plutôt vers une bagarre de fin de bal qui aurait dégénéré.

LES ARCHIVES.

Si l'on se fie à nos archives, ces rixes de fin de bal ont toujours été fréquentes. Dans les années 70, avec l'émergence des actualités télévisées, elles étaient abondamment relayées par les JT. À l'époque, le phénomène présenté comme inéluctable n'inquiétait pas. On le déplorait, on en prenait acte et certains tentaient de l'analyser. C'est ce que montre l'archive ci-dessous dans laquelle un jeune homme à l’identité inconnue décrypte sociologiquement les violences des bals. Une interviewe diffusée en mai 1973 dans le « Magazine de la vie régionale ».

Les bagarres dans les bals
1973 - 04:04 - vidéo

Dans ce reportage illustré d’images de bals et de bagarres, on dansait sur du Michel Sardou mais on se « castagnait » sans états d’âme. Le quidam interrogé se voulait rassurant. Les bagarres, il y en avait toujours eu. L'alcool aidant, elles débutaient souvent pour un motif fallacieux, comme l'appartenance à un village différent ou la rivalité autour des filles : « Tous les prétextes sont bons (…) Ça commence toujours par deux ou trois claques. Et puis quand ils commencent à perdre pied, s’il y a une résistance réelle, à ce moment-là, ils s'en prennent au matériel. C'est une petite parade, c'est un genre de bouclier. Alors c'est une chaise, c’est une table, c'est une canette de bière. Je crois surtout qu'ils ont besoin de beaucoup de bruit dans une bagarre. Il faut qu'il y ait des verres cassés. Il faut qu'il y ait quelque chose qui soit représentatif quoi. »

Un rejet de la société

En somme, du bruit et du verre cassé ! Rien de bien grave... Mais ce qui surprend en visionnant les archives de cette époque, c'est que dans ces années 70 post mai 68, on pardonnait beaucoup aux jeunes, attribuant leur goût des bagarres à un besoin d'exprimer leur « mal-être ». C'est le cas dans l’archive ci-dessous extraite du magazine « Les p'tits bals du samedi soir », diffusée le 20 octobre 1974. Interviewé sur cette question, le député PS de l'Eure Claude Michel expliquait que les bagarres à la fin d’un bal était une vieille manie. Il regrettait simplement que la nature de la violence ait changé, car dans sa jeunesse dans les années 50, la « violence était plus pittoresque ». Il racontait avec une pointe de nostalgie : « Quand j’allais au bal, on se battait pour une fille ou autre chose, il y avait un motif. Aujourd’hui, on a l’impression que la violence est un moyen d’expression. C’est un moyen pour les jeunes de se battre contre la société, une société qu’ils n’ont pas voulue. »

Les bagarres dans les bals
1974 - 01:09 - vidéo

Un défoulement banalisé

Une thèse que l’on retrouve en filigrane dans l’archive présentée en tête d’article. Elle a été diffusée le 30 mai 1974 dans le magazine « La vie est là » sous le titre « Samedi soir en banlieue ».

Dans ce reportage pris sur le vif, une équipe de reporters s’était rendue à la sortie d’un bal à Alfortville, près de Paris. Une patrouille de police venait d’intervenir pour stopper une rixe. Personne sur place ne semblait étonné de la tournure des événements, ni l’organisateur du bal, ni le commissaire de police. Pour ce dernier, la situation était connue et sans surprise, son analyse semblait d’une extrême limpidité : « Il y a une clientèle qui vient pour danser et une autre clientèle qui, elle, vient avec des intentions moins pures, et qui espèrent trouver un défoulement à la fin du bal en échangeant quelques coups de poing. Et tous les prétextes sont bons (…) c’est fréquent et c’est malheureusement dans tous les bals en ce moment. »

Les bals représentaient un défouloir de la jeunesse, c’est en tout cas ce que semblait aussi penser un participant de la soirée, abondamment chevelu et barbu, qui exprimait une analyse plutôt intéressante : « Les mecs n’ont pas l’occasion de s’exprimer, que ce soit au niveau de leur boulot, au niveau de leur famille, alors ils s’amènent dans les bals du samedi soir. Et qu’est-ce qu’ils font ? Généralement, ils ont un peu trop bu, ils boivent, ils se libèrent sur n’importe quoi, ils se frappent un peu... »

Il replaçait la violence des bals dans un contexte plus général de carcan sociétal. Selon lui, comme pour le député entendu précédemment, ce besoin particulier de violence reposait sur un mal-être, une impossibilité de se défouler, de s’amuser et un décalage avec une société trop limitative : « Tout le système d’éducation qu’on a ne correspond pas à leurs besoins (…) On a le droit de faire du ping-pong, des collections (…) par contre, tu n’as pas le droit de faire des boums, parce que ça fait du bruit… »

Vers moins de tolérance

Les bagarres du samedi soir n'ont jamais cessé comme le montre une sélection d'archives présentées ci-dessous. Ce qui a changé, c'est la perception de cette violence par la société et les institutions. Dans les années 90-2000, ces heurts sont régulièrement évoqués dans les JT, mais ce qui surprend, c'est que chaque sujet semble redécouvrir ce phénomène pourtant récurrent. Les interviews relativement compréhensives entendues dans les années 70 se font plus rares. Au contraire, les commentaires se veulent alarmants, plus sécuritaires. Désormais, il est surtout question de sécurité et de répression. Les maires et les comités des fêtes tentent de juguler la violence des bals en instaurant toujours plus de règles et de contrôles.

Par exemple, en 1991, « pour faire échec aux vandales », les maires du canton de Mont-de-Marsan se regroupaient pour acheter une caméra vidéo chargée de filmer les fauteurs de troubles dans les bals populaires. Les avis étaient néanmoins partagés, notamment chez ceux qui avaient été jeunes dans les années 70. Dans leurs voix, on sentait poindre une certaine nostalgie de ces bagarres qui faisaient partie « de la tradition, du folklore des villages ». Elles allaient de pair avec la fête : « Les jeunes d'à côté venaient, il y avait quelques coups qui s'échangeaient, on buvait un coup ensemble et c'était fini ! »

En 2006, le DJ avait remplacé l'orchestre musette et les rendez-vous étaient toujours le théâtre de rixes qui continuaient de faire la une des JT. Assistait-on à une augmentation de la violence ou à un simple effet de loupe médiatique ?

Dans l'archive ci-dessous, les comités des fêtes de villages de Midi-Pyrénées alertaient. En juillet, un jeune de 18 ans avait même trouvé la mort près de Bagnères-de-Bigorre. Dans les Hautes-Pyrénées, 26 comités des fêtes instauraient une sorte de couvre-feu pour ne pas dépasser 3 heures du matin (au lieu de 6) et établissaient un guide des bonnes pratiques.

Plus près de nous, en mai 2015, les communes faisaient désormais appel à la justice pour régler le problème des bagarres, à l'image du reportage ci-dessous. Lors d'une fête à Mirepeix (Pyrénées-Atlantiques), des échauffourées qualifiées « d'extrême violence » avaient eu lieu lors d'un bal. Elles faisaient suite à une autre rixe qui s'était déroulée une semaine plus tôt. Deux jeunes avaient été placés en garde à vue. Le maire de la commune concernée demandait qu'il y ait une réponse judiciaire à cette violence, « qu'il y ait des gens qui soient condamnés quand même, pour montrer qu'on ne peut pas faire ce que l'on veut, qu'on ne peut pas débarquer dans une fête et tout casser ». Le procureur de la République de Pau annonçait que les contrôles d’alcoolémie et des fouilles de véhicules seraient renforcés au cas par cas.

La société était-elle plus permissive autrefois ? Est-elle devenue hyper-sensible à la violence ? Les jeunes sont-ils plus violents aujourd'hui ? Y a-t-il plus de bagarres qu'autrefois ? Les archives ne répondent pas à ces questions, mais montrent que les rixes, le grabuge, les embrouilles... ont toujours existé et que les bals étaient, et restent, un lieu de cristallisation de tensions sous-jacentes. Elles montrent aussi l'émergence du besoin de sécurité et de répression.

Laissons le mot de la fin à un sociologue. Le 23 novembre 2023, sur France Culture, Marwan Mohammed, chargé de recherche au CNRS, a tenté de décrypter les mécanismes de la violence des bandes de jeunes. Dans son propos, il a notamment expliqué la portée symbolique des « embrouilles », sorte de rite de passage permettant aux jeunes d'accéder à une reconnaissance et de s'exprimer.

Il a également décrit le développement croissant du marché de la sécurité, un phénomène que l'on voit bien émerger dans nos archives (les caméras de surveillance), avec, pour l'affaire de Crépol, la présence de vigiles à l'entrée : « Le développement du marché de la sécurité privée s'est développé massivement en parallèle de l'explosion médiatique des enjeux de sécurité. Cela date de plusieurs décennies. Bien qu'avant, dans les fêtes de village, la sécurité n'était pas assurée par des entreprises de société privée, une forme de sécurité était toujours assurée, car il est habituel que des lieux de fête soient des lieux de bagarre. »

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