L'ACTU.
Il y a 80 ans, le 8 juillet 1943, Jean Moulin mourait des suites de ses blessures lors de son transfert vers l’Allemagne. Le 21 juin 1943, le président du Conseil national de la Résistance Jean Moulin avait été arrêté par Klaus Barbie et ses hommes à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon. Après avoir été reconnu, il avait été interrogé et torturé par l'officier de police SS, surnommé « le Boucher de Lyon ».
Arrêté en même temps que Jean Moulin, le résistant Raymond Aubrac racontait dans l'archive de 1963 disponible en tête d'article leur rencontre et le récit de leur arrestation.
LE VERBATIM DE L'ARCHIVE.
« Vous n'avez sûrement pas oublié. Il y a 20 ans : Lyon. À proximité de Vichy d'une part, de la frontière Suisse d'autre part. Avec ses vieux quartiers, ses ruelles en labyrinthe, Lyon était la véritable capitale de la Résistance. À Lyon, Jean Moulin représentant en France du général De Gaulle avait su regrouper les mouvements épars et créer le Conseil national de la Résistance, le CNR. Et, ce mois de juillet 1943, entre le 6 et le 8, Jean Moulin, arrêté par la Gestapo à la fin du mois de juin, disparaissait, il devait mourir des suites de tortures dans un train qui le transportait de Paris vers l'Allemagne. Chacun de nous s'en souvient, mais mieux que nous, Monsieur Aubrac, l'un de ses camarades les plus proches, celui qui devait le voir pour la dernière fois.
Monsieur Aubrac, vous avez connu Jean Moulin.
Raymond Aubrac : Je l'ai bien connu, enfin, pour l'avoir vu à une dizaine de reprises. Et notamment pour avoir été par hasard le premier à l'accueillir à Lyon quand il est venu à sa première mission. Je crois que c'était dans l'hiver 1941-1942.
Quelle impression vous a-t-il fait ?
Il était naturellement précédé de beaucoup de prestige. On attendait beaucoup de lui et Jean Moulin ne décevait pas. Pourquoi est-ce qu'il ne décevait pas ? Je crois que c'est parce que c'est parce qu'il était évident qu'il avait une très très grande intelligence. Une très grande compréhension, une très grande bienveillance pour tous nos efforts et même pour toutes nos insuffisances.
Pouvez-vous nous raconter quel a été votre premier contact avec Jean Moulin ?
Jean Moulin venait dans cet hiver 1941-1942, pour prendre contact avec les mouvements de résistance Zone sud et j'étais chargé d’organiser les rendez-vous pour Emmanuel D'Astier qui était le responsable de Libération-Sud, avec lequel je travaillais à ce moment-là. Nous avions rendez-vous quelque part dans le péristyle du théâtre de Lyon. Et, naturellement, je ne l'avais jamais vu, il ne m’avait jamais vu, il y avait des mots de passe et des signes de reconnaissance dont je ne me souviens pas du tout.
Il est venu à l'heure, probablement, et je l'ai amené dans un petit local de la Croix-Rousse.
Il s'est passé un petit incident assez curieux, il a voulu me montrer qu'il avait vraiment les accréditifs nécessaires pour sa mission et il m'a sorti du fond d'une boite d’allumettes la photocopie d'un ordre de mission signé du général De Gaulle. Je lui ai expliqué que cet ordre de mission ne prouvait rien du tout et que tout le monde pouvait avoir une photocopie au fond d'une boite d’allumettes. Je l'ai invité d'ailleurs à détruire cet ordre de mission, je pense qu'il l'a fait.
Nous avons organisé les rendez-vous qu'il devait avoir avec nos camarades et nous-même et ça a été la première mission de Jean Moulin.
Par la suite, vous avez rencontré plusieurs fois Jean Moulin.
J'ai rencontré plusieurs fois Jean Moulin dans les années 1942 et 1943. Toujours dans des réunions.
Vous étiez au courant de sa mission ?
J'étais au courant de sa mission. Et je l'ai vu faire les efforts pour remplir sa mission. Ce n'était pas facile. Il a eu des difficultés. La mission de Jean Moulin, qui a abouti à la constitution du Conseil national de la Résistance, c'était une mission d'unité de la Résistance. Il souhaitait rassembler les mouvements de Résistance de la Zone sud, les mouvements de Résistance de la Zone nord.
Il souhaitait aussi rassembler autour du futur Conseil de la Résistance d'anciens partis politiques, d'anciens hommes politiques, et même des syndicats qui de toute évidence avaient des racines profondes dans la vie française et dont beaucoup des militants combattaient aux côtés de la Résistance.
Nous arrivons au 21 juin, à Lyon. Pourquoi la réunion de Caluire ?
La réunion de Caluire, il faut remonter d'une semaine en arrière pour voir l'objet de cette réunion. Une semaine plus tôt, le général Delestraint était arrêté par la police allemande à une sortie de métro. Le général Delestraint était, à ce moment-là, le commandant de l'armée secrète. L'armée secrète était donc décapitée, il fallait en assurer une continuité.
Deux ou trois jours avant la réunion de Caluire, probablement vers le 17 ou 18 juin, Jean Moulin m’avait demandé de le rencontrer au parc de la Tête d'Or. Et, puisque j'avais organisé la partie de l'armée secrète qui avait été créée par mon mouvement de résistance, Libération-Sud, et que j'avais travaillé auprès du général Delestraint depuis le début de la création de l'armée secrète et puisqu’il fallait aussi trouver quelqu'un qui assurera la continuité, Jean Moulin m'avait demandé d'assurer l'intérim jusqu'au moment où le comité du général De Gaulle aurait nommé un nouveau commandant de l'armée secrète. J'avais donné mon accord, notamment, avec le conseil et sur l'assistance de mon camarade Pascal Copeau.
Nous devions tenir une première réunion à Lyon, avec les principaux responsables des organisations groupées au sein de l'armée secrète et les hommes qui composaient une partie de l'état-major du général Delestraint, de manière à organiser à Lyon, un échelon de commandement ayant une responsabilité sur l'ensemble de la Zone sud. Avant de partir avec Jean Moulin à Paris, pour faire le même travail avec l'état-major de la Zone nord.
Le 21 juin 1943, j'avais rendez-vous avec Jean Moulin au début de l'après-midi dans un petit square qui est devant la gare Perrache. Et, je ne savais pas où était le lieu de rendez-vous et je ne le savais pas non plus. Nous savions tout de même que nous avions rendez-vous avec l'un de nos camarades au sommet à la station terminale du funiculaire de la Croix-Rousse. Nous avons traversé Lyon, nous avons pris le funiculaire, nous avons monté et sommes descendus à cette gare terminale.
Et là, un camarade dont le nom m'échappe, nous a pris en charge et nous a fait monter dans un tramway qui nous a amené dans Caluire, nous sommes descendus, nous avons parcouru une petite rue, de quelques dizaines de mètres et nous sommes arrivés sur une place à la maison du docteur Dugoujon. Nous avons sonné, la bonne du médecin nous a ouvert et nous sommes entrés Jean Moulin et moi dans la salle d'attente des malades. En réalité, la bonne ne savait pas très bien si nous étions des malades ou des participants de la réunion. Quelques-uns de nos collègues étaient déjà arrivés et étaient montés, eux, au premier étage, dans l'appartement privé du médecin.
Et tout à coup, la porte fenêtre s'est ouverte et nous avons trouvé des policiers allemands, des gendarmes allemands, mitraillettes au point, qui nous on fait lever les bras et tourner contre le mur. Nous nous sommes rendus compte immédiatement que la maison était entièrement cernée. Par une opération très brutale et très rapide, nous avons été entièrement pris de surprise.
Au bout de quelques instants, on a pris tous les hommes, on leur a mis les menottes derrière le dos et quelques moments après on nous a tous fait sortir de la maison qui était cernée par un gros déploiement de police et on nous a fait monter dans les voitures de la Gestapo.
Nous avons été tous emmenés dans les locaux de la police allemande, qui était installé à l'école de santé militaire et on nous a mis dans la cave. Nous sommes restés un moment dans la cave en attendant les interrogatoires et je crois que j'ai pu rendre le dernier service à Jean Moulin, en prenant assez acrobatiquement les papiers qu'il avait dans ses poches. Nous avions l'un et l'autre les menottes, il m'a rendu le même service et nous nous sommes détruit réciproquement les papiers que nous portions. »
Est-ce la dernière fois que vous avez vu Jean Moulin ?
Non, ce n'est pas la dernière fois que j'ai vu Jean Moulin. Quelques jours après dans la prison de Montluc, où ma cellule était face à l'escalier et où la porte était percée d'un trou comme il arrive souvent aux portes de prisons, j'ai vu Jean Moulin descendre l'escalier, il était tuméfié, il avait le visage défait, les vêtements déchirés, mal rasés et deux policiers allemands le soutenaient sous les bras.
C'est la dernière fois que j'ai vu Jean Moulin. »
Qui a dénoncé Jean Moulin
1983 - 01:43 - vidéo
L'arrestation de Jean Moulin a longtemps fait l'objet d'interrogation et en fait toujours. Ce sujet revenait sur la question, quarante ans après la disparition de Jean Moulin, en 1983.