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Pourquoi s'identifier comme aidant est-il si difficile ?

Pourquoi s'identifier comme aidant est-il si difficile ?

En France, 1 Français sur 4 aide un proche malade, handicapé ou âgé en perte d'autonomie. Ce sont des aidants, pourtant, ils sont toujours très nombreux à ne pas s'identifier comme tels. Laure Vézin, psychologue spécialisée dans l’accompagnement des aidants, nous expliquent en quoi cette prise de conscience est capitale pour mieux gérer la relation aidant-aidé et préserver sur le long terme sa santé psychologique et son équilibre personnel.

Par Florence Dartois - Publié le 16.10.2024
Portrait d'un aidant familial - 2010 - 01:50 - vidéo
 

Les aidants représentent 25% de la population française, soit entre 8 et 11 millions de personnes. Le dernier baromètre des aidants 2024 publié par le collectif «Je T'Aide» fin septembre 2024 montre que 88 % des Français ont entendu parler du terme « aidant », mais que seulement 61 % des personnes savent précisément ce dont il s'agit. Le terme est encore souvent confondu avec bénévole associatif, aide à domicile ou auxiliaire de vie.

« L’aidant est la personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne d'une personne en perte d'autonomie, du fait de l'âge, de la maladie ou d'un handicap ». (Définition de l'aidant selon le collectif «Je t'aide»)

Une auto-reconnaisssance qui ne va pas de soi

Plus étonnant, le baromètre met en évidence une autre information : parmi les aidants qui connaissent la définition du terme, seuls 68% s'identifient comme tels et moins d'un aidant sur deux déclare utiliser ce terme précisément pour décrire sa propre situation. 12% du panel préférant évoquer un statut familial (frère, fille, mère...), ou utiliser le terme d'« accompagnant », ou de « soutien familial ». Il est aussi question d'isolement puisqu'ils sont 40% à ne jamais évoquer leur situation d'aidants auprès de leur entourage.

Source : Baromètre des aidant.e.s 2024. Je t'Aide, BVA Xsight

Source : Baromètre des aidant.e.s 2024. Je t'Aide, bva Xsight

La prise de conscience d'être devenu un aidant n'est pas immédiate. Dans le baromètre, 58% des personnes interrogées ont pris conscience de leur statut au bout de « 2 ans ou moins » et 49 % au bout « de 3 ans ou plus » ! Un délai d'intériorisation particulièrement long que nous allons tenter de comprendre avec Laure Vézin, spécialisée dans l’accompagnement des aidants. Psychologue, elle travaille dans ce secteur depuis de longues années et coordonne la plateforme d'accompagnement et de répit pour aidants de la Fondation reconnue d'utilité publique Odilon lannelongue.

Il existe environ 300 plateformes de ce genre en France. Elles sont toutes nées avec le plan sur les maladies d'Alzheimer de 2008. Adhérente du Collectif «Je t'Aide», auteur du baromètre évoqué plus haut, la plateforme que dirige Laure Vézin s'est spécialisée autour des aidants aux personnes âgées, avec la mise en place de différents dispositifs comme les Cafés des aidants ou des ateliers « connect-aidants » ouverts à tout le monde.

INA - Pouvez-vous nous expliquer votre rôle auprès des aidants ?

Laure Vézin - Nous accompagnons les aidants sur un plan psychologique, mais aussi sur un plan psychosocial parce que le sujet de l'aidance ne peut pas se réduire au seul accompagnement psychologique. Il faut pouvoir actionner différents leviers sur le territoire, avec la mise en place d'aides personnelles et financières, par exemple, autour de l'aidant et de la personne aidée pour arriver à comprendre et à accompagner l'aidant dans son parcours.

INA - Avant d'évoquer la difficulté à s'identifier comme « aidant », soulevée par le baromètre 2024, pouvez-vous nous dire quand est apparue cette notion d'aidant ?

Laure Vézin - Ce qu'il faut comprendre, c'est que le sujet des aidants, autrefois, c'était le sujet des familles. Il était surtout porté par des associations de patients, par exemple, « France Alzheimer », « France Parkinson », etc. Ces grandes associations de patients et de familles spécialisées par pathologie ont été les premières à penser, ou en tous les cas, à soulever cette question de l'aidant en alertant sur le fait que derrière la personne malade, il y avait un aidant qui était là, souvent en train de s'épuiser.

C'est comme ça que le sujet est apparu dans le débat public. Il n'y a pas de statut juridique de l'aidant proprement dit, mais il y a cette appellation « aidant » qui est apparue progressivement. Dans les premiers textes de loi ou de plans axés sur les pathologies, on parlait « d'aidant naturel ». Ce n'était pas un très joli mot. Parce que ces situations ne sont plus si naturelles que ça. On parlait « d'aidants familiaux ». Mais là encore, c'était insatisfaisant, parce qu'on a aussi parfois des aidants qui ont un lien affectif avec le proche qu'ils aident, mais qui ne sont pas forcément sur un lien familial : un voisin, un ami, un ancien collègue... Aidant signifie encore trop souvent « aidant professionnel ». Le sujet dont on parle ici, ce sont vraiment ces aidants dont ce n’est pas le métier. Qui font ça gracieusement.

L'ARCHIVE.

L'archive proposée en tête d'article illustre bien le propos de Laure Vézin. Il s'agit du portrait d'un couple dont l'épouse est atteinte de la maladie de Parkinson. Elle a été diffusée dans le JT « Midi pile Alsace » à l'occasion de la première Journée nationale des aidants le 6 octobre 2010, qui fut une date-clé, l'une des grandes étapes de la reconnaissance sociétale de la question de l'aidance en France. Christian Louazel entre dans le cadre des aidants familiaux s'occupant d'un proche malade, en l'occurrence ici de Marcelle, atteinte de la maladie de Parkinson depuis plusieurs années. « Il y a 16 ans, le neurologue a lâché le mot qu'il ne fallait pas. Marcelle était atteinte de la maladie de Parkinson. Depuis, elle essaie de vivre au quotidien avec ce compagnon encombrant. Heureusement que son mari est là. Christian est un aidant comme on dit. Il aide son épouse dans toutes les tâches du quotidien, aussi banale soit elle. Une vie qui tourne au ralenti et ce n'est pas toujours facile... » précise le commentaire. Nous reviendrons plus tard sur ce témoignage avec Laure Vézin, car il illustre très bien les difficultés et les tensions auxquelles sont soumis les aidants et les aidés.

INA - De quand date à votre avis l'identification des aidants par la société ?

Laure Vézin - Alors, sur le champ des aidants de personnes âgées, c'est devenu un peu plus visible en 2010, avec la création de la Journée nationale des aidants évoquée dans l'archive. Mais je crois que finalement, la première fois où ça a été « visibilisé », c'est avec la loi de l'adaptation de la société au vieillissement en 2015. Où l'on a eu vraiment des axes dédiés aux aidants. Notamment le droit à la formation et le droit au répit, aussi. (Ndlr : une aide de 500 euros par an, pour placer temporairement l'aidé en structure et souffler un peu.)

Cette avancée est évoquée dans l'archive ci-dessous.

Reportage sur les aidants et le projet de loi pour leur permettre de confier leur proche le temps de reprendre leur souffle. Blandine s'est installée chez sa mère de 94 ans pour s'occuper d'elle et reconnaît qu'elle a besoin de pauses. Éliane, elle, emmène son mari, atteint de la maladie d'Alzheimer, dans un accueil de jour deux fois par semaine, mais l'aide financière prévue reste insuffisante, lorsque le placement temporaire coûte 1 000 euros par mois.

« Il y a des moments où toutes les deux, il faut bien le dire, on a des mots et on a besoin de se séparer pour prendre l'air, pour respirer... » (Blandine) ; « Ce n'est pas miraculeux, il ne faut pas croire qu'ils nous font un gros cadeau (...) moi, j'aimerais mieux qu'ils ouvrent plus de centres et qu'ils y aient plus de gens formés pour s'en occuper » (Eliane)

INA - Selon le baromètre des aidants publié en septembre 2024, 88 % des Français connaissent le terme « aidant », mais 68% des interrogés n'ont pas conscience d'être eux-mêmes aidants. Et cette conscientisation n'arrive qu'après plusieurs années. Comment peut-on l’expliquer ?

Laure Vézin - Il est important de comprendre comment on devient aidant. On devient aidant de deux façons. La première, c'est de façon brutale. Par exemple, mon proche a un accident de voiture et devient handicapé. Donc, je deviens aidant du jour au lendemain. Je ne suis pas préparé à ça, je n'ai pas anticipé cette situation et je fais face à l'urgence et aux choses à mettre en place pour le besoin d'aide.

Exemple de madame Simon en 1980. Après un accident, son fils de 18 ans est devenu tétraplégique. Elle décide d'arrêter de travailler pour s'occuper de lui. Vincent est hospitalisé à domicile, dans un état neurovégétatif sévère. Elle parle du peu d'aide reçue de la part de son entourage et de son quotidien difficile. Elle ne regrette pas la présence de son fils, considérant que c'était de son devoir de s'en occuper : « De temps en temps, je flanche, il faut le dire (...) mais c’est bien qu’il soit là, je ne regrette pas. S'il fallait le refaire, je le referais... »

Laure Vézin - La deuxième possibilité de devenir aidant c'est : mon proche âgé commence à perdre en autonomie pour X ou Y raisons de maladie, fragilité, etc. Je commence à l'aider pour porter ses bouteilles d'eau, et puis pour faire ses courses et après pour faire son ménage. Tout ça se fait de façon très progressive, en fonction des besoins du proche aidé, mais de façon très insidieuse aussi. Et là encore, je fais face au jour le jour. Un problème va devenir deux problèmes, qui finalement, deviendront trois problèmes. Les choses à résoudre vont devenir croissantes. Et là encore, je n'ai aucun moyen de prendre du recul, de me poser, de me demander si je peux faire autrement ?

Une situation bien expliquée dans l'archive ci-dessous de 2007 dans laquelle Béatrice Fabritius, co-organisatrice d'un forum des aidants naturels, décrit ce lent processus. Elle évoque notamment la principale difficulté qui est la solitude et l'absence de formation. Elle explique pourquoi elle ne recevait pas d'aide.

 « Je me suis occupée de maman, elle était autonome. J'étais une accompagnante. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on lui a dit de ne plus conduire, je l'ai accompagnée partout, chez le médecin, le coiffeur, chez ses amis (...) quand on peut les maintenir à domicile, c'est mieux pour elles ». Le forum serait l'occasion de rencontrer d'autres aidants, des professionnels pour recevoir des conseils pour la nutrition, les soins, la manipulation physique des personnes. Et pourquoi pas, s'organiser pour réclamer un vrai statut.

Un recul impossible illustré par une femme qui s'occupe de sa mère sans interruption : « On est coincé un petit peu chez nous, on ne peut plus sortir, on ne peut plus inviter les amis qu’on veut. Il y a des horaires qu’on doit tout le temps respecter… on ne peut plus la laisser seule plus de deux heures à peu près... » 

INA - Le baromètre montre que 68% des aidants le deviennent en raison d'un lien affectif, est-ce la seule raison ?

Laure Vézin - Il faut savoir que les aidants, quels qu'ils soient : un parent dont l'enfant a un handicap, le conjoint d'un proche Alzheimer, l'enfant d'une personne âgée, sont tous d'accord pour avancer qu'ils sont devenus aidants pour un premier motif : l'amour. Ils assurent cette mission de manière évidente, sans se poser de questions, parce qu'il s'agit de leur proche : « J’aime mon proche, je veux l’aider », c'est naturel. Mais le lien affectif n'est pas le seul en jeu. Il y a une deuxième catégorie de motif : le devoir (Ndlr : il représente 48% des motifs dans le baromètre). Ils considèrent qu'ils ont une obligation morale de prendre soin d'autrui. Et ce devoir, il est aussi très empreint de notre culture. Il y a une notion d'obligation : « on est les enfants et on s'occupe de nos parents. »

INA - Ci-dessous, une déclaration politique dans laquelle la notion de devoir est largement évoquée. Il s'agit d'un discours prononcé par Jacques Chirac. Nous sommes le 18 février 1988, l'homme politique, alors Premier ministre, présente à Matignon les grandes lignes du « Plan vieillesse en faveur des personnes âgées ». Il fait clairement référence à la notion du devoir des enfants envers leurs parents. Jugez-plutôt.

« Aujourd'hui 2 français sur 10 ont un parent âgé qui n'est plus autonome. Naturellement, il y a là un devoir de solidarité. Un devoir de solidarité pour la Nation envers les plus âgés de nos concitoyens. Ce sont nos parents et nous devons assumer à leur égard nos responsabilités puisque ce sont eux qui ont fait ce que nous sommes aujourd'hui ».

Laure Vézin - La subtilité, derrière cette notion de devoir, c'est qu'elle induit une situation finalement subie. La notion de devoir prend le pas sur de potentielles limites, des tâches qui pourraient être déléguées à d'autres personnes, comme des professionnels. En l'absence de recul, les aidants s'engouffrent dans la notion d'amour et de devoir. Il y a un autre aspect à prendre en compte, c'est le sentiment de culpabilité. L'aidant se sent responsable de son proche aidé. Il se dit : « moi, je ne vais pas prendre du répit, du plaisir, alors que lui ne va pas bien ». Le sentiment de culpabilité est l'un des freins à l'auto-identification.

INA - L'archive ci-dessous éclaire le propos de Laure Vézin. Il s'agit de l'interview de la journaliste et écrivaine Christiane Collange par Aline Pailler en 1990. À l'époque, paraissait son livre Moi, ta fille, dans lequel elle évoquait la modification de sa relation avec sa mère vieillissante et dépendante, regrettant qu'on parle si peu des rapports des enfants avec des parents âgés. Il était question de culpabilité, de devoir...

« On a terriblement mauvaise conscience (…) parce qu’on garde le souvenir de son enfance avec le sentiment qu’on doit tout à nous parents (…) la relation de l’enfant qui devient responsable de ses parents, c’est compliqué »...

INA - Le baromètre 2024 montre que l'auto-reconnaissance en tant qu'aidant peut prendre entre 2 et 3 ans. Quels sont les risques induits par cette identification tardive pour l'aidant et l'aidé ?

Laure Vézin - Ce délai de conscientisation dépend beaucoup des besoins du proche aidé et de la nature de sa pathologie. Est-ce que c'est une pathologie évolutive, avec des besoins d'aide qui se font croissants ou pas ? Il y a un risque d'épuisement. Mais le premier risque, il est d'abimer la relation aidant-aidé. L'aidant peut même en vouloir à l'autre, ressentir de la colère.

INA - Notre archive en tête d'article illustre bien les propos de Laure Vézin lorsque l'aidant décrit la colère qu'il ressent à l'encontre de son épouse atteinte de la maladie de Parkinson et qui ne réagit pas assez vite à ses demandes : « Il faut qu'elle se force à faire le geste. Vous attendez... Je ne suis pas patient de nature, alors j'explose. Je le regrette tout de suite après et je présente des excuses. Mais il est trop tard, j'explose. On a vraiment envie quelquefois d'ouvrir la fenêtre et de crier parce que ça devient étouffant. »

Et la journaliste de conclure, à propos de la notion de devoir : « Ils ne demandent pas d’aide. Ce matin, ils nous disaient être mariés pour le meilleur et pour le pire depuis 51 ans. Alors, ils vont continuer à partager cette maladie. Mais un de leur souhait, c'est d’être un peu plus écouté par les professionnels de santé et la société en général. »

Laure Vézin- Voilà. Il y a l'impact sur la santé de l'aidant, sur sa santé physique, sa santé psychologique et sa santé sociale, avec l'isolement. D'ailleurs, un plaidoyer du collectif « Je t'Aide », avait montré que quand on est aidant, on est plus à risque d'isolement, parce que la vie sociale est la première chose qu'on abandonne : ses activités, ses amis, son travail. Comme on manque de temps, c'est ce qu'on sacrifie en premier et on réorganise sa vie autour de l’aidant.

2008. Portrait de Michel Roudnev, aidant familial qui s'occupe de sa femme Mariette depuis 10 ans, atteinte de la maladie d'Alzheimer témoigne de ses questionnement et de son isolement : « On ne vit que pour eux, il faut renoncer à son travail (...) À l’époque, j'étais en activité, j’ai dû partir en pré-retraite. Les nuits que j'ai passées, je me suis dit comment : "je vais faire" (...) Dans ces cas-là, les amis s'en vont". »

INA - Comment les aidants qui s'ignorent, parviennent-ils à prendre conscience de leur statut ?

Laure Vézin - Souvent au détour d'une évolution des besoins du proche aidé ou par une rencontre avec un professionnel ou bien par l'entourage qui est parfois le miroir des émotions de l’aidant. L'entourage va dire : « tu ne dois plus avoir de temps pour toi ». Ou alors « mais tu es sûr que tu y arrives seul, parce que c'est quand même beaucoup ce que tu fais ! ». Sans cette notion de miroir, ils n'ont pas de moyens de s'identifier comme des aidants. C'est souvent d'ailleurs soit l'entourage (34%), soit un professionnel (20%) qui va les nommer comme aidants.

INA - En quoi la prise de conscience d'être un aidant est-elle importante ?

Laure Vézin - Ce terme « aidant », il est très technique. Pour moi, il est utile dans le seul sens où si je m'identifie comme un aidant. Si je vois que dans ma ville il y a un café des aidants, alors je vais faire le lien entre les deux et me dire : « c'est pour moi. » Si je ne m'identifie pas comme un aidant. Il peut y avoir un café des aidants à côté de moi, je ne vais pas le voir. Selon moi, c'est un terme uniquement fonctionnel qui permet de garder cette position de fils, de parent, de conjoint et de ne pas devenir des soignants, des auxiliaires de vie.

Après, dans la réalité, on sait bien qu'il y a des situations d'aidance complexes, peu de ressources proches à disposition, des dispositifs de répit difficilement accessibles. On a quand même environ 200 cafés des aidants en France. Ils sont intéressants, car on peut parler de choses et d'autres, on peut vider son sac. Il n’y a pas de solution à la clé, mais au moins, on n’est pas restés seul à ruminer. On a parlé avec d’autres aidants et, ainsi, on s'est un petit peu allégé.

INA - L'archive ci-dessous présente l'un des premiers cafés des aidants créé en 2008. Le jardin des pêcheurs est un lieu où les aidants partagent leur vécu, comme la maman d’Étienne, polyhandicapé de naissance dont elle s'occupe à plein temps. On la suit dans son quotidien et au café. Elle explique l’intérêt de ce lieu : l’échange d’expérience, se ménager des temps de repos sans culpabiliser.

Création du café des aidants familiaux
2008 - 00:00 - vidéo

« Ça vous arrive d'en avoir marre ? » - « Souvent, oui. On cherche la finalité de la chose. On est dans un processus, où de toute façon, il n'y a pas de fin en soi par rapport au handicap. Il y aura une fin quand ce sera la fin pour lui. Voilà. Point. » (Une maman) Marie-Christine : « c'est vrai qu'on a du mal à faire confiance et à se mettre en retrait (demander de l'aide à des professionnels). L'intérêt, c'est de pouvoir souffler à un moment donné pour pouvoir mieux aider ensuite. »

INA - Que conseiller à un aidant pour vivre cette période le mieux possible ?

Laure Vézin - Ce que je conseille avant tout, c'est d'être bien informé. Il existe des formations destinées aux aidants, des groupes de paroles. Il faut tenir sur la longueur, donc il faut essayer de connaître - même si on se dit que sa situation ne s'y prête pas ou que ce n'est pas le moment - ce qui existe près de chez soi, en termes d'aide pour son proche aidé, ou pour soi en tant qu'aidant.

En 2010, devant la lourdeur de la tâche, les associations d'aide à domicile en milieu rural et la Mutualité sociale agricole (MAS) ont mis en place une infrastructure pour aider les aidants et les sortir de leur isolement et éviter l'épuisement. Exemple de Ginette Tolon, 71 ans, aidante familiale qui vit à Lauzun et s'occupe de son mari atteint de la maladie d'Alzheimer.

« Elle n'est plus rien ma vie depuis 9 ans, elle est foutue ! On a arrêté les voyages, les vacances, on a tout arrêté » !

Laure Vézin - Il faut surtout lui dire que ce n'est pas une honte de recourir à de l’aide, au contraire, on peut doser ce besoin d'aide. C'est normal de trouver d'autres solutions que soi-même quand on est aidant. Il y a cette question d'amour et de devoir que nous avons évoqué, mais on voit bien qu'on fait face à des choses qui dépassent ces notions. Je parlais du côté « naturel », mais on a maintenant des situations d'aidance qui durent très longtemps, qui se complexifient et sur lesquelles les aidants ne sont pas formés et n'ont pas à être formés non plus. L'idée, ce n'est pas qu'ils deviennent le soignant de leur proche, c'est qu'ils puissent rester à la place affective initiale.

Dossier : aide aux aidants
2004 - 00:00 - vidéo

En 2004, le conseil général de l'Eure mettait en place un réseau d'aide aux aidants familiaux, appelé Résaida. Rencontre avec Sonia, retraitée, elle est aidante et s’occupe « par conscience » de sa mère nonagénaire qui refuse d'aller en maison de retraite. Elle a fait appel à ce réseau d'aide et bénéficie d'auxiliaires de vie pour la toilette et l'habillage. Le reste, elle le gère, mais attend aussi beaucoup de ce réseau pour son bien-être personnel : « J'en attends un soutien psychologique, c'est nécessaire. J'espère trouver une écoute auprès des professionnels de santé et un échange avec d'autres aidants... »

Laure Vézin- Même lorsque l'aidant vous dit qu'il n'a pas besoin de soutien psychologique, je lui conseille toujours de se renseigner, d'anticiper, d'aller voir la plateforme d'accompagnement et de répit sur son secteur. Cela permet déjà de connaître ce qui s'y passe, d'aller rencontrer des professionnels, d'échanger, de demander plusieurs avis. Et surtout, le premier conseil, c'est de faire attention à sa santé, de ne pas lâcher tout ce qui est vie sociale : ses activités, ses loisirs, ses vacances, et de s'autoriser à continuer une vie comme avant, en tout cas, la plus normale possible.

INA - Ci-dessous, un exemple de services proposés par une plateforme de répit dans la Sarthe en 2015. Le centre propose une combinaison de différents services : assistance à domicile, accueil de jour et hébergement temporaire pour le malade ainsi que des temps d'échange et des ateliers bien-être pour l'aidant.

 « Une séance de sophrologie pour trouver un peu d'apaisement. L'exercice est difficile pour Roberte. Son mari est aujourd'hui dans la phase ultime de la maladie d'Alzheimer. Il refuse de s'alimenter. Accompagner l'aidant : c'est la mission première du dispositif appelé "plateforme de répit" ». Anaïs Fonteneau, psychologue, explique qu'il ne s'agit pas de se désengager de ses responsabilités, mais au contraire, de permettre un engagement du proche sur la durée en lui proposant des temps de répit.

INA - Un jour l'aidance cesse. Lorsque l'aidant perd son proche que devient-il ? Existe-t-il une assistance post-aidance ?

Laure Vézin - On l'a vu, être aidant représente un lourd investissement en temps et en énergie. Certains y sacrifient leur vie sociale, professionnelle, parfois même leur santé. C'est vrai qu'après la disparition du proche aidé, il peut être compliqué de se reconstruire. De plus, lorsque proche aidé était maintenu à domicile, il y avait des intervenants pour lui, de nombreux passages. Et après, du jour au lendemain, tout s’arrête. Et comme on s'est créé un isolement induit par la relation aidant-aidé. Qu'on a distendu les liens avec l’extérieur, ce n’est pas si naturel que cela de reprendre le cours de sa vie après une parenthèse qui est parfois de plusieurs années. Cet isolement a un véritable impact sur la santé. Ça fait partie de la santé aussi la vie sociale.

Certaines associations prennent en compte l'après. « Avec nos proches », par exemple, ouvre des ateliers d’échanges sur le thème de l'après-aidance. Ils bénéficient en outre d'un numéro national accessible 24h/24, partout en France.

Ce qui est intéressant, c'est que l'on voit que ceux qui ont bénéficié d'un accompagnement pendant l’aidance, vont mieux vivre l’après-aidance, notamment du point de vue psychologique. C’est en tout cas les témoignages que nous font les aidants. On continue de les suivre un petit peu et le fait de pouvoir reparler des choses vécues ou de retracer ce qu'ils ont traversé, les aide à mieux vivre la gestion du deuil.

INA - Pour conclure, quel bilan faites-vous de l'évolution du regard de la société sur les aidants ?

Laure Vézin - Concernant la prise de conscience des besoins des aidants, il y a eu d'énormes progrès. Même au niveau des professionnels. Les aidants ne sont plus invisibilisés comme avant. Mais aujourd'hui se pose la question du financement et des moyens alloués au niveau des politiques publiques pour mieux accompagner les aidants, pour pouvoir mieux répondre à leurs attentes. Parce qu’il y a tout le travail pour s'identifier comme un aidant, certes, mais une fois que je me suis identifié comme tel, quelles sont les solutions à ma disposition ?

Il y a un grand champ d'actions à mener sur l'accessibilité des solutions proposées, l’accessibilité financière, l'accessibilité en termes d'associations, de dispositifs, etc. Et là, c'est le domaine plutôt des politiques publiques sur lesquelles il y a de fortes attentes. Aujourd'hui, c'est encore l'aidant qui compense les insuffisances. La réalité est là et l’aidant se rend bien compte qu’il est la variable d’ajustement.

Ce que disent les archives de la visibilité des aidants dans la société

Morgane Hiron, déléguée générale du collectif «Je t’Aide» et Laure Vézin, psychologue spécialisée dans l’accompagnement des aidants, apportent leur éclairage sur l'évolution du regard de la société sur les aidants et l'émergence de leur reconnaissance. Il est aussi question de l'évolution des politiques publiques, avec un risque de se heurter à un plafond de verre faute de moyens suffisants.

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