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Concurrence internationale : dans les années 1990, le symbole des pommes chiliennes 

Concurrence internationale : dans les années 1990, le symbole des pommes chiliennes 

Les agriculteurs français, emmenés principalement par la FNSEA, protestent depuis le 18 novembre contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les pays latino-américains du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay). Ce secteur professionnel alerte depuis plusieurs décennies sur les conséquences de la multiplication d'accords de libre-échange. Exemple avec le cas de l'importation de pommes chiliennes au tournant des années 1990.

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 20.11.2024
 

L'ACTU.

Fin novembre, près d'un an après leur dernier mouvement social d'ampleur, les agriculteurs ont multiplié les actions chocs pour marquer leur opposition à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Celui-ci permettrait l’importation en grande quantité de produits agricoles d’Amérique du Sud, souvent moins chers et moins-disants d’un point de vue environnemental. Une concurrence accrue que dénoncent donc les producteurs français.

Dans nos archives, de nombreux exemples montrent que cette inquiétude n'est pas nouvelle. À partir de la fin des années 1980, avec l'accroissement de la mondialisation, du libre échange, mais aussi de l'intégration européenne, plusieurs secteurs du monde agricole français ont essayé de faire connaître leur inquiétude. Exemple avec les pomiculteurs.

LES ARCHIVES.

À la fin des années 1980, la pomme, fruit phare de la production arboricultrice française, connaissait des difficultés. La France, qui avait longtemps été l'un des leaders mondiaux, était bientôt rattrapée en production par la Chine, les États-Unis ou encore la Pologne et l'Italie. Même si les importations restaient minimes, en fonction de la qualité de la récolte française, il était parfois nécessaire d'importer des pommes d'ailleurs, notamment lorsque la saison était terminée dans l'hémisphère nord.

De là, les pommes chiliennes ne mirent pas longtemps à apparaître sur le marché français. C'était, pour les arboriculteurs français dont le rendement à l'hectare diminuait chaque année un peu plus, tout un symbole. D'autant que leurs coûts de production étaient souvent plus élevés, donc leurs prix moins compétitifs.

« C’est une véritable provocation. » À plusieurs reprises, dans les journaux télévisés français et alors que certains agriculteurs doutaient de la capacité de l'Union européenne à continuer de les protéger dans un contexte de concurrence internationale accrue, la pomme chilienne est évoquée.

Dès 1988, comme on l’entend dans l’archive de France 3 Marseille, les pomiculteurs des Bouches-du-Rhône s'insurgeaient de retrouver des pommes venues du Chili, de moins bonnes qualité, alors qu'eux en produisaient localement. « Il y a des mois qu'elles ont été conditionnées. Elles sont en piteux état et pourtant, la Communauté économique européenne vient de les importer », expliquait le commentaire.

Des difficultés à écouler les stocks renforcées par les importations

Patrice Renaud, producteur, s'inquiétait de l'avenir financier du secteur : « Ce sont 16 000 emplois qui sont en jeu actuellement. C'est la vie de cette production qui est menacée si on n'arrive pas à arrêter ces importations ! Cette année, les importations de l'hémisphère sud vont dépasser les 550 000 tonnes. En 1987, nous en étions à 450 000 tonnes. Nous avions déjà averti les pouvoirs publics en disant que c'était intolérable. Et là, on nous a provoqué en nous remettant 9 000 tonnes depuis le 1ᵉʳ septembre, c'est-à-dire depuis jeudi dernier. L'année 1987 a été déficitaire pour beaucoup de producteurs qui n'ont pas pu rembourser leur prêt de campagne 1987. Nous avons repris pour 88 un prêt de campagne encore plus important et nous serons incapables de le rembourser. Nous sommes incapables de payer nos charges. »

Le lendemain de ce reportage, les pomiculteurs de la région organisaient un grand rassemblement dans la ville de Sénas (Bouche-du-Rhône). « Certains, on le sait, ces dernières années, ont beaucoup investi pour moderniser leurs exploitations, pour aussi améliorer la qualité de leurs productions (...), tout cela finalement pour se retrouver face à une concurrence étrangère qu'ils jugent parfois sauvage », résumait le journal télévisé ci-dessous.

Manifestation des agriculteurs à Sénas
1988 - 01:47 - vidéo

L'arrivée de pommes du Chili, selon les manifestants, aggravait un écoulement des stocks déjà ralenti : la récolte de 1987 n'avait pas été écoulée et l'exportation interdite pour cause de russeting, « autrement dit, parce que la peau de leurs fruits présentait un défaut esthétique », avait laissé les pommes s'entasser.

Faute de pouvoir rembourser leurs frais et financer leur caisse commune, les exploitants apprenaient que « leur organisme de tutelle, la Mutuelle sociale agricole des Bouches-du-Rhône » allait interrompre le paiement de toute prestation le mois suivant. De quoi les inquiéter et amplifier la grogne.

Surproduction française et importation de l'hémisphère sud

« Deux saisons de récoltes très inégales, plus des importations massives en provenance de pays hors CEE, résultat : c'est la grogne chez les producteurs de pommes. » 1993, en Normandie cette fois-ci et comme on l'entend ci-dessous, les pomiculteurs faisaient part d'une situation délicate : « Une année 1991 nulle déficitaire en raison du gel, une autre 1992, pléthorique, avec un excédent de deux millions de tonnes en Europe, un franc de perte par kilo à la production ».

Page agricole : crise dans la pomme
1993 - 03:41 - vidéo

Aux problématiques du secteur et aux changements des habitudes de consommation, le commentaire ajoutait une nouvelle fois : « Les politiques semblent avoir abandonné la préférence communautaire au profit des importations extérieures pour des raisons tiers-mondiste. Depuis février, les pommes arrivent par bateaux entiers de Nouvelle-Zélande et d'Amérique du Sud. C'est pourquoi les producteurs de fruits et légumes manifesteront le 6 avril prochain à Bruxelles ».

Michel Bareix, président du groupement normand des producteurs de fruits, de préciser par l'exemple : « On a des pommes qui viennent du Chili alors qu'on a des stocks en France et en Europe qui ne seront pas consommés. Donc il est inconcevable que l'on importe des fruits alors qu'on met notre récolte au trou ».

Et le commentaire de conclure : « Si rien n'est fait, 90% de la profession sera en cessation de paiement avant la fin de l'année. »

La même année, la FDSEA de Dordogne et du Lot-et-Garonne, effectuaient une « opération plus musclée ». À Bordeaux, au marché en gros de fruits et légumes, les exploitants détruisaient et « arrosaient de gazole » les produits d'origine hors CEE. « Des produits vendus trois à quatre fois moins cher » qu'en France.

La pomme, « symbole de la souveraineté française », récupérée à la présidentielle 1995

Face aux revendications du secteur de la pomme, et alors que le candidat de la droite Jacques Chirac faisait de ce fruit l’emblème de sa campagne, le candidat souverainiste à la présidentielle 1995, Philippe de Villiers, tentait de rallier les pomiculteurs (et les agriculteurs en général) à sa cause. Quitte à mélanger un peu tous les sujets.

En visite dans le Tarn-et-Garonne, « dans un verger sinistré où la moitié des plantations a été arrachée, en arrachage subventionné par la Communauté européenne » le candidat en profitait pour aborder la question de la souveraineté agricole. Le commentaire de l'archive ci-dessous résumait l'analyse de De Villiers : « Dans le premier département arboricole de France, 2 800 hectares vont être ainsi arrachés, alors que, par ailleurs, l'Europe importe 900 000 tonnes de pommes du Chili ou d'Argentine ».

Et le candidat d'argumenter contre son opposant à droite : « Monsieur Chirac parlait de "Munich agricole" à propos du GATT (...) à l'époque où il disait "il faut la préférence européenne". La préférence européenne, c'est quoi ? Ça veut dire qu'il faut d'abord consommer les pommes européennes avant les pommes d'Afrique du Sud, les pommes de l'Argentine, du Chili. Ensuite, il a ratifié le GATT. Il a ratifié Maastricht, il a ratifié l'Organisation mondiale du commerce. Il a tout ratifié, tout ce que Monsieur Balladur lui a demandé. Et comme il prend la pomme comme symbole marketing de sa campagne en croquant cette pomme du Chili, je lui ai dit : est-ce que vous avez oublié vos promesses ? »

Si les inquiétudes des exploitants étaient légitimes, la question de l'importation de fruits de l'hémisphère sud se faisait plutôt en période de contre-saison. Si ces stocks venaient s'ajouter sur le marché aux stocks de pommes locaux, il s’agissait bien souvent, comme on l'a vu plus haut, d'un aléa supplémentaire qui s'ajoutait à un contexte de production déjà compliqué (intempéries, surproductions, avaries...). Il est donc difficile de résumer les problèmes agricoles français aux décisions agricoles de l'Union européenne ou au GATT comme le sous-entendait alors Philippe De Villiers.

D'autant que, comme le précisait un article du quotidien Libération en 1995 : « S'il est vrai que, depuis 1994, un programme d'arrachage a été initié dans la communauté en raison d'une surproduction de près d'un million de tonnes par an, le candidat à l’Élysée a simplement omis de noter que les destructions de vergers étaient volontaires, surveillées, subventionnées et ne touchaient en général que les arbres de piètres catégories. »

Aujourd'hui, entre mai 2022 et avril 2023, la France a produit 1 446 milliers de tonnes et exporté 305 700 tonnes. À l'inverse, 122 500 tonnes ont été importées dont 95 000 d'Europe (78 %). Le Chili représente 13 000 tonnes, soit 11 % des importations.

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