Jean Jaurès dîne ce soir-là avec ses collaborateurs dans ce café où il a ses habitudes, tout près du siège de son journal, l’Humanité. C’est un homme plein d’optimisme et d’énergie. Mais ce 31 juillet, il constate avec amertume et pessimisme l’imminence de la guerre tant redoutée avec l’Allemagne...
Depuis l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand le 28 juin à Sarajevo, l’Europe tremble à l’idée d’un conflit généralisé. Les socialistes sont les plus remontés contre l’idée d’un conflit continental. Jean Jaurès, journaliste et député socialiste de la SFIO, est l’un de leurs plus fervents porte-parole. Depuis l’assassinat de l’héritier impérial autrichien, pressentant l’immense danger que font courir les alliances militaires nouées entre les grandes puissances militaires et divisant l’Europe en deux blocs antagonistes, il n’a de cesse de rencontrer ses collègues de l’Assemblée. Et notamment le Président du Conseil, le socialiste René Viviani, en qui il place toute sa confiance pour calmer la situation internationale, et notamment l’agressivité de l’Allemagne.
Mais l’alliance franco-russe, nouée dès le début des années 1890 pour encercler et neutraliser l’impérialisme allemand du nouveau souverain Guillaume II, couronné en 1888, se révèle un implacable engrenage. En voyage à Saint-Petersbourg avec le Président de la République Poincaré, du 20 au 23 juillet 1914, René Viviani ne peut que s’en tenir aux obligations diplomatiques de la France : en cas de danger et de menace austro-allemande contre la Russie, Paris se tiendra prête aux côtés de son allié russe, et la guerre avec l’Allemagne sera inévitable.
Les derniers jours de juillet, une partie des socialistes européens jettent toute leur énergie pour préserver la paix. Jean Jaurès est à Bruxelles les 29 et 30 juillet, en compagnie de l’Allemande Rosa Luxembourg, en congrès pour la paix. Ensemble, ils veulent croire que les socialistes et les ouvriers du continent tiendront bon et le moment venu, feront grève pour empêcher la guerre. Patriotes, mais pas nationalistes, ils essaient de transcender les tensions pour empêcher la guerre.
Mais le 31, de retour à Paris, les nouvelles sont mauvaises. L’Europe mobilise, la Russie est prête, l’Allemagne aussi. La guerre est à deux doigts d’éclater et Jaurès se sait désormais menacé dans sa vie par l’agitation nationaliste qui gagne la France et Paris.
Son pressentiment se réalisera. Le 31 juillet, à 21h40, Jean Jaurès meurt assassiné sous les balles d’un certain Raoul Villain, un étudiant nationaliste qui souhaite la guerre avec l'Allemagne. L’assassinat de l’un des hommes politiques les plus populaires de France aura un retentissement dans tout le pays, et même au-delà dans une Europe qui se prépare, bien contre son gré, à la guerre.
Ses funérailles sont l’occasion de la première manifestation de l’Union sacrée et d’une solidarité trans-partisane pour la défense de la Nation. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Des milliers de jeunes gens se résignent à partir combattre. C’en est fini du rêve de la paix en Europe…
Le 29 mars 1919, le jury acquittait Raoul Villain de l'assassinat de Jean Jaurès, bien que sa culpabilité ne fasse aucun doute, lui-même ayant reconnu les faits. Mais dans le climat de nationalisme qui suit la fin de la Première guerre mondiale, le jury, à onze voix contre une, ne retenait rien contre lui.
Cyrille Beyer