Il y a près d’un mois, le 25 février, au lendemain de l’invasion russe de l’Ukraine, le président tchétchène Ramzan Kadyrov annonçait en grande pompe l’envoi d’une partie de sa milice armée en Ukraine, en soutien des troupes régulières de l'armée russe. Considérés comme la « garde prétorienne » de Kadyrov, ces hommes, surnommés les « Kadyrovtsy », sont connus pour leur brutalité. Leur présence en Ukraine est un signe du soutien apporté par l’homme fort de la Tchétchénie à son mentor, le président Vladimir Poutine, qui lui a laissé carte blanche depuis près de 15 ans pour maintenir l’ordre dans cette république caucasienne du sud de la Russie, à majorité musulmane. A deux reprises, entre décembre 1994 et août 1996 et entre 1999 et 2000 (et jusqu'en 2009 si l'on considère la persistance de combats), la Russie est entrée en conflit contre ce territoire, membre de la Fédération russe mais aux fortes velléités sécessionnistes. Deux conflits très durs, qui vont causer la mort de centaines de milliers de civils tchétchènes, et saigner l’armée de la Fédération russe.
Le 15 novembre 2006, France 2 dresse le portrait de Ramzan Kadyrov, nouvel homme fort de la Tchétchénie. « Ancien lutteur et chef de milice, il affiche ses goûts de luxe sans complexe et la population épuisée par des années de guerre semble se rallier à sa cause malgré les protestations des défenseurs des droits de l’homme », explique David Pujadas dans le lancement du sujet. Alors âgé de 30 ans, Premier ministre de la Tchétchénie depuis 2005, Ramzan Kadyrov est le fils d’Akhmad Kadyrov, le président tchétchène assassiné en 2004. Ancien opposant à la Russie, indépendantiste durant la première guerre tchétchène (1994-1996), Akhmad Kadyrov s’était finalement rallié à Vladimir Poutine. Le jour de l’assassinat de son père, le jeune Ramzan Kadyrov « sous le choc » est reçu par Vladimir Poutine, comme on peut le voir sur le sujet de France 2, avec ce commentaire de la journaliste Anne Ponsinet : « A 27 ans, il n’a alors pas l’âge requis pour succéder à son père, il devient vice-premier ministre puis Premier ministre. En réalité, à la tête de ses milices c’est lui l’homme fort de Tchétchénie. »
Courage
La suite du reportage montre Ramzan Kadyrov entouré d’hommes en armes lors d’une course de chevaux, en Tchétchénie. Interviewé sur cet aspect militariste de son entourage, il déclare que « le guerrier, c’est un homme de paix. C’est celui qui gère au mieux. Le patron. » Si Kadyrov se « pose désormais en reconstructeur », et que Grozny est reconstruite, les « gens, eux, ont toujours peur », poursuit Anne Ponsinet. Et rares sont les Tchétchènes, à l’image de Issa dans le reportage, qui ont le courage de dénoncer ses crimes. Lui a osé porter plainte pour la détention illégale de son fils, « torturé pour qu’il avoue un meurtre » : « Les gens ont peur, confie-t-il à France 2. Moi, par deux fois on m’a mis un automatique sur le ventre et on m’a dit : "Si tu ne te calmes pas, on va te descendre". »
Ramzan Kadyrov « nie les exactions dont on l’accuse. Il ne reconnait que des dérapages ». Le journal Novaïa Gazeta, qui employait la journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou, tente pourtant de documenter les crimes du clan Kadyrov. Ce dernier est, encore aujourd’hui, soupçonné d'être le commanditaire du crime de la journaliste, célèbre dans toute la Russie pour le courage avec lequel elle n’avait de cesse de critiquer Ramzan Kadyrov et les crimes commis pendant la guerre de Tchétchénie par sa milice (près de 14 ans après les faits, la justice russe n’a toujours pas jugé les commanditaires de l’assassinat. Seuls des exécutants ont été condamnés, en 2012, NDLR). Cette même milice qui se retrouve aujourd'hui sur le front ukrainien, toujours aux ordres de Ramzan Kadyrov et de Vladimir Poutine.