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1994 : l'Ukraine accepte d’abandonner son arsenal nucléaire

1994 : l'Ukraine accepte d’abandonner son arsenal nucléaire

Alors que Vladimir Poutine a placé en alerte la force de dissuasion russe, dimanche 27 février, nous revenons sur les lendemains de la dislocation de l'URSS et du problème de la gestion de ses armes nucléaires, alors réparties entre Russie et Ukraine. En 1994, une Ukraine affaiblie économiquement acceptait de se débarrasser de son arsenal contre la reconnaissance de son intégrité territoriale.

Par Cyrille Beyer - Publié le 28.02.2022 - Mis à jour le 07.03.2022
Raisons dénucléarisation Ukraine - 1994 - 02:10 - vidéo
 

Le 24 août 1991, la Rada, le Parlement ukrainien déclare son indépendance de l’URSS, une indépendance confirmée par référendum le 1er décembre 1991, qui donne 92,3 % de « oui ». Dans la foulée, les Ukrainiens élisent leur président, Leonid Kravtchouk, le 5 décembre 1991. L’indépendance du pays est finalement actée le 8 décembre par les accords de Minsk, où Russes, Biélorusses et Ukrainiens entérinent la dislocation de l’URSS et donnent naissance à la place à la Communauté des Etats indépendants (CEI) qui regroupe ces trois pays fondateurs, rejoints quelques jours plus tard, le 21 décembre, par les autres républiques de l’URSS, à l’exception des pays Baltes, qui se tournent déjà vers l’Ouest.

Ces premières années qui suivent la chute de l’URSS sont pour l’Ukraine celles de la rupture affichée avec la Russie. Ayant à gérer les velléités sécessionnistes de certaines régions à majorité russophone, comme la Crimée, l’Etat ukrainien se veut désormais résolument indépendant de Moscou. Le président Kravtchouk, « dans l’euphorie, surfe sur la vague nationaliste », comme l’explique le reportage de France 2 en tête d’article et daté du 14 janvier 1994 : il choisit « les symboles de son futur état : création d’une armée, d’une marine nationale, sortie de la zone économique du rouble… » Mais cette séparation entre les deux pays n’est pas du goût de Moscou, qui va utiliser l’arme économique pour affaiblir son voisin : « l’Ukraine, qui importe l’essentiel de son gaz de Russie, va payer en devises fortes », ce qui entraîne un « endettement massif et une paralysie économique ». Résultat, toujours selon le reportage de France 2, « la réforme piétine en Ukraine, entraînant hyperinflation et chute de la production : Kiev est asphyxiée. »

Deal

« Au pied du mur », Leonid Kravtchouk va donc signer à Moscou, le 14 janvier 1994, le deal proposé par la Russie et les Etats-Unis : se débarrasser de son arsenal nucléaire, le troisième au monde, hérité de l’époque soviétique, et recevoir en échange un soutien financier des Etats-Unis. Un arsenal composé de « 176 missiles intercontinentaux et d’engins nucléaires embarqués à bord de bombardiers ou de missiles de croisière. L'ensemble représente quelque 1 500 ogives nucléaires aujourd'hui braquées sur les Etats-Unis », pouvait-on lire le jour de la signature de l’accord dans les pages du Monde. Le quotidien précisait qu’outre le « doublement des 155 millions de dollars » d’aide à l’Ukraine, l’Amérique devrait pourvoir «  une assistance spéciale pour accroître la sécurité de ses réacteurs nucléaires civils, type Tchernobyl » et surtout « ouvrir grandes à l'Ukraine les portes du "partenariat pour la paix", autrement dit, autoriserait Kiev à développer une coopération militaire avec l'OTAN ».

Si le chef de l’état ukrainien cède ainsi face au « retour du grand frère russe », c’est qu’il n’a plus le choix, comme l’explique, toujours dans le même reportage de France 2, Marie Mendras, de la fondation nationale des Sciences politiques : « Durant toute l’année 1993, l’Ukraine s’est sentie tellement sous pression qu’elle n’avait plus envie de céder. Jusqu’au jour où le président Kravtchouk, lui-même en difficulté dans son propre pays, a été amené finalement à céder face aux pressions étrangères. Il lui reste désormais à faire face à la situation intérieure [de l’Ukraine] et à son Parlement. »

«Trahison nationale»

Car dans sa capitale, l’accord passe mal. Le président est accusé de « trahison nationale » pour cette concession de taille faite aux Etats-Unis et à la Russie, cette dernière se voulant ainsi « l’unique héritière de l’URSS ». Signe des difficultés politiques à venir pour le président ukrainien, le reportage de France 2 se termine en notant que l’accord conclut « ce matin à Moscou a déjà du plomb dans l’aile ».

L’accord sera néanmoins confirmé et complété par le mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994, signé par la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Ukraine, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. L’une des dispositions prévoit que contre l’achèvement du transfert de son arsenal nucléaire vers la Russie et sa ratification du traité de non-prolifération des armes nucléaires, l’Ukraine se voit garantir souveraineté et intégrité de son territoire. Un engagement auquel les Etats-Unis et la Russie souscrivent à nouveau, le 4 décembre 2009, jour d'expiration du traité Start de réduction des armes stratégiques.

Le mémorandum sera violé par la Russie une première fois il y a huit ans, lorsqu'en mars 2014 elle annexe la Crimée puis intervient militairement dans les provinces sécessionnistes du Donbass, à l'est du pays. Puis une seconde fois, lorsque le 24 février 2022, elle lance son armée pour tenter de prendre le contrôle, cette fois-ci, de tout l'Ukraine.

Retour sur cet accord de décembre 1994 et ses conséquences avec Anne de Tinguy, historienne et politologue française.

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