Le 21 avril 2021, le rover de la NASA a transformé du dioxyde de carbone issu de l’atmosphère martienne en oxygène, une première sur une autre planète. Un premier stade nécessaire à la préparation de l'exploration de Mars par des humains et de validation du processus qui permettra aux futurs astronautes de respirer. La question est de produire sur place l'oxygène pour s'éviter de transporter de larges quantités d’oxygène depuis la Terre. Dans les années 1980, les scientifiques tentaient déjà d'imaginer les techniques qui permettraient aux premiers hommes sur Mars de survivre sur place en créant leur propre oxygène, leurs propres ressources énergétiques et alimentaires. En octobre 1987, ce projet titanesque venait de débuter aux Etats-Unis, son nom : Biosphère 2. Un centre de recherches situé à Tucson, en Arizona qui devait permettre aux hommes d'apprendre à vivre sur la planète rouge. Pour le journal télévisé, Claude Gagnaire faisait découvrir l'écosystème protégé sous une vaste bulle et préfigurant une éventuelle base future sur Mars.
A l'époque, le trajet aller-retour de la Terre à Mars prenait deux ans. En ajoutant la mission d'un an sur place, les astronautes passeraient trois ans dans l'espace. Il fallait donc à tout prix les rendre les plus autonomes possible. Cette expérience visait à entraîner des humains à vivre sur la planète rouge. Sur 10.000 mètres carrés, Biosphère 2 était alors conçu comme un système écologique autonome, dans une immense serre hermétiquement close et dans laquelle allaient vivre pendant deux ans huit "Biosphériens".
"L'air circulera naturellement à travers tous ces systèmes, comme il le fait sur Terre"
En octobre 1987, le complexe est déjà bien avancé, il y a un module d'essai, des laboratoires, des serres et une maquette du site. Biosphère 2 est divisée en sept "Biohomes" ou espaces écologiques : "Le Biohome Habitat, où seront logés les hommes. Une ville miniature : le biohome d'agriculture intensive. Il fournira la nourriture légumes, fruits, animaux. Le biohome forêts tropicales, avec rivières et cascades. Plus une savane, suivie de marécages. Plus loin, le Biohome maritime, un océan de 12 mètres de profondeur avec des coraux et des poissons. Enfin, un désert. L'air circulera naturellement à travers tous ces systèmes, comme il le fait sur Terre. Quant aux 8 Biosphériens, ils pourront se baigner dans l'océan, se réfugier dans le désert, escalader des rochers et communiquer avec l'extérieur."
Margaret Augustine, directrice du projet ajoute : "Ils auront un système de télécommunications et des ordinateurs, des vidéos et téléphones, radios. Ils auront toutes sortes de possibilités de communiquer avec l'extérieur. Je ne pense pas qu'il y ait de danger qu'ils se marchent les uns sur les autres dans aucune des unités. C'est en fait un très grand espace."
Si tout cela paraît paradisiaque, il faut tout de même comprendre que les huit cobayes vivront en vase clos, dans une cloche en verre hermétique. Son infrastructure est celle qu'aura la future biosphère spatiale. "L'Énergie est fournie par des panneaux solaires. À côté, un poumon. Il accueille le jour l'air chaud qui se dilate et le refoule la nuit, maintenant la pression constante. À l'évidence, déjà un problème : la buée, la poussière sur les glaces, qui peuvent bloquer les rayons du Soleil. Il va falloir créer des robots pour nettoyer. À l'intérieur, enfermés depuis deux mois, des plantes et des insectes, mais aussi des caméras, des microprocesseurs, des capteurs, certains plantés dans les tiges comme des seringues hypodermiques. Ils contrôlent les fluctuations du gaz carbonique, dangereux pour l'homme, mais utilisé par les plantes".
Un objectif : maintenir l'écosystème efficient
L’objectif de ce test est aussi de rendre la flore et la faune autonomes. Linda Leigh, biologiste, souligne qu'ils contrôlent aussi "l'humidité à l'intérieur de la biosphère. Nous ne sommes pas sûrs que le pollen pourra s'envoler pour aller féconder les herbes que nous avons dans la savane et donc assurer le système évolutif que nous souhaitons dans la biosphère. Il y a aussi des insectes. Certains sont de bons insectes, d'autres sont de mauvais insectes. Alors nous testons une partie de notre système intégré de contrôle des infestations, en introduisant des insectes qui mangent ceux qui sont nuisibles. On peut voir s'ils font réellement leur travail et maintenir leur population à un niveau qui permet de contrôler les parasites. "
La visite se poursuit avec la découverte des outils de maintien de la température, des volets activés par ordinateurs. Mais le travail est gigantesque ! Dans la serre expérimentale, les 13 candidats sélectionnent des plantes qu'ils vont emmener. Leçon de modestie. Les futurs conquérants de l'espace passeront beaucoup de temps à jardiner, pêcher, faire la cueillette. Ils élèveront aussi des chèvres, des poules et des poissons sélectionnés au laboratoire de l'Université de l'Arizona. Le biologiste David Stump présente une expérience innovante dans laquelle les poissons sont utilisés pour purifier l'eau. Il décrit le processus vertueux : "Les poissons produisent de l'ammoniac qui se trouvent dans leurs excréments. L'ammoniac se dépose sur ce lit de rochers et les bactéries le transforment en nitrate et ce nitrate est utilisé par les plantes pour leur développement. Donc les plantes ont nettoyé l'eau pour les poissons qui, en retour, ont fourni de la nourriture aux plantes et dans le même temps. Bien sûr, les humains peuvent manger les poissons et les plantes". Les Biosphériens devront aussi emmener des cultures de cellules de plantes pour les développer sur Mars.
"Du succès final dépend sans doute l'avenir de l'homme..."
Le journaliste parait perplexe quant aux chances de succès de l'expérience : "Tout cela paraît simple. Seulement, chaque animal, chaque homme, chaque végétal transporte avec lui des micro-organismes, des virus, des bactéries nécessaires à l'un mais dangereux pour l'autre et qu'on ne peut éliminer. Alors, que se passera-t-il en décembre 89, lorsqu'on refermera pour deux ans la porte de la biosphère sur les humains, leurs plantes et leurs chèvres hermétiquement ? Dans cet univers clos où, finalement, on aura amené qu'une partie de ce que Dieu a fait. La chaîne étant rompue, un virus, un microbe pourra se développer à une vitesse foudroyante et provoquer une catastrophe. Pour beaucoup, l'expérience est vouée à l'échec, au moins provisoire, mais elle mérite d'être tentée. Elle permettra de mieux comprendre ce qui se passe sur notre propre biosphère. Elle fixera des objectifs à la science qui a besoin de grandes idées. Elle prouvera sans doute que si l'on veut émigrer quelque part sur la Lune ou Mars, il faudra y transporter avec nous et notre technologie, nos animaux, nos plantes, nos microbes et nos poubelles recyclées Nous sommes un tout, mais du succès final dépend sans doute l'avenir de l'homme".
Pour le biologiste Stéphane Storm, c'est le moment ou jamais de tenter l'aventure, il explique pourquoi : "Nous arrivons à un moment de notre histoire où il y a un créneau très étroit où nous pouvons tenter l'aventure. Si nous ne le faisons pas, l'explosion de la population va absorber toutes les ressources de notre planète, si bien que dans cinquante ans, le monde sera trop pauvre pour une telle entreprise. Je pense qu'il est impératif que nous le fassions mais je pense que c'est une belle aventure et je pense que c'est une mesure d'urgence."
Deux missions ont été menées dans le dôme scellé. La première a duré du 26 septembre 1991 au 26 septembre 1993. La seconde a duré six mois en 1994 avant de stopper. Ce projet, comme l'imaginait le journaliste, a finalement échoué, notamment sur la question du recyclage de l'air, mais a eu le mérite de montrer la difficulté de maîtriser un écosystème dans son intégralité. Transformer le dioxyde de carbone en oxygène, comme l'a réalisé Perseverance pourrait apporter la réponse à cette question épineuse de la survie sur Mars.
Pour aller plus loin :
En 1991, on imaginait comment on vivra sur Mars en 2020 ? (17 novembre 1991)
Florence Dartois