Le roman 1984 a été écrit en 1948 par le romancier britannique George Orwell. Il parait l'année suivante, le 8 juin 1949. Un ouvrage traduit depuis en 62 langues ! Dans ce sujet, la journaliste Sylvie Marion mène l'enquête pour tenter de dévoiler les mystères de ce roman captivant. George Orwell l'écrit au début de la Guerre froide qui oppose le bloc de l'Est à celui de l'Ouest. Pour composer le titre de son roman, il inverse volontairement les deux derniers chiffres de 1948, pour donner une simple année : 1984. Depuis sa parution, cet ouvrage a été perçu "tantôt comme une anticipation politique, tantôt comme une mise en garde."
L'intrigue... "2 + 2 = 5"
L'auteur y décrit la Grande-Bretagne trente ans après une guerre nucléaire, entre l'Est et l'Ouest, qui se serait déroulée dans les années 1950. Un régime de type totalitaire gouverne. Il est fortement inspiré d'un mélange de stalinisme et de certains éléments du nazisme. Sylvie Marion explique : "Cette société est régie par trois slogans : "La guerre, c'est la paix", et donc au ministère de la paix, on prépare la guerre… Deuxièmement, "L'ignorance c'est la force". Et donc au ministère de la vérité, on réécrit sans cesse l'histoire. Enfin, "La liberté c'est l'esclavage". Et donc, au ministère de l'amour, on abrite la police de la pensée. La devise du pays est "2 + 2 = 5". Et nul n'a le droit d'en douter."
Enfin, le chef tyrannique c'est "Big brother". Un grand frère qui surveille tout le monde, tout le temps et partout. Il martèle son slogan : "Big brother is watching you." "Sur un écran espion apparaît, omniprésente, son image. Son héros se prénomme Winston. Il croit en la valeur de l'individu. En cachette du "télécran", il pense tout seul et il tombe amoureux. Mais dans ce pays ça s'appelle un "sexcrime", où l'on ne doit de l'amour qu'à Big Brother." Winston et sa chérie vont tenter de se révolter, mais trahis par leurs complices, ils vont être arrêtés, torturés et "cerveaux-lavés" et ils finiront par se soumettre car oui : "2 + 2 = 5" !
Pas d'espoir dans ce tableau sombre d'une société esclavagisée par les écrans et la propagande.
"Mais ce monde Orwellien est-il vraiment une prédiction ou une énergique mise en garde ?"
Sylvie Marion poursuit son enquête auprès de plusieurs spécialistes qui tentent de répondre à cette question qui taraude tous les lecteurs depuis 1949.
Pour Bernard Crick, le biographe d'Orwell (trad.off) "Le livre est une satire mais pas une prophétie… comme Swift avant lui dans Le voyage de Gulliver, il nous décrit une grotesque image de notre société, de ce qui se passait de son vivant."
Sylvie Marion poursuit son analyse : "En écrivant 1984, Orwell dénonçait en réalité ce qu'il connaissait : le colonialisme en 1923 lorsqu'il était en Birmanie, le stalinisme dont ses amis libertaires furent les victimes durant la Guerre d'Espagne en 1936, le nazisme dont l'Europe sortait à peine quand le livre fut rédigé et le début de la Guerre froide."
Eric Hopsbaum, historien, remet le roman dans son cadre historique : "En 1948, c'était vu surtout avec une grande vraisemblance, comme ainsi dire un tract antisoviétique, puisque le totalitarisme à ce moment-là était représenté surtout par le stalinisme. Au fil des années, les tendances ont changé… pour la majorité du monde, si ce régime est très peu sympathique, il ne représente plus le danger dominant et encore moins l'avenir qui viendra."
Bernard Crick insiste sur le fait qu'Orwell "craignait que cette tyrannie soviétique se développe chez nous."
"Alors est-il envisageable que l'année qui s'ouvre devant nous puisse ressembler au 1984 Orwellien ?"
Et pourtant ! Fait troublant. Chaque pays semble toujours trouver des éléments allant dans le sens de ses propres craintes dans le livre d'Orwell. En cette année 1984, Sylvie Marion se demande si le retour en grâce de Mao Tse Tong ne ressemble pas à la réécriture de l'histoire du ministère de la vérité ? De son côté, à l'Est, la Pravda site Orwell comme un dénonciateur des USA. A Londres, Margaret Thatcher est qualifiée de "Big sister". Aux Etats-Unis, on fait son autocritique en citant Orwell dans le domaine de la technologie.
Marvyn Rosenblum (producteur de l'adaptation cinématographique "1984", en préparation à l'époque) va d'ailleurs dans ce sens. A l'époque, on est pourtant encore loin du réseau Internet et de la généralisation de la vidéosurveillance, pourtant le roman résonne déjà... : "Les médias chez nous dénoncent les trois milliards de fiches établies par le gouvernement des USA sur tout citoyen américain. Dès qu'on tente d'interconnecter tous les ordinateurs, cela fait scandale et on hurle contre "Big brother"… Il y a dans la banlieue de Miami une zone très criminogène où on a placé des caméras de surveillance dans les rues et tout ce qui s'y passe est surveillé par la police."
Un livre visionnaire ?
Bernard Crick confirme : "on retrouve bien les craintes sur les relations établies entre l'Etat et la liberté. D'un côté on exige tous la liberté, de l'autre on érige un appareil d'état qui rend de plus en plus difficile la poursuite individuelle de la liberté. Toute cette surveillance… Oh mon Dieu !"
Jean-Daniel Jurgensen, auteur de La route de 1984, ajoute que le monde décrit par Orwell n'est peut-être qu'un pale reflet de ce qui s'annonce vraiment, avec un aspect prophétique : "Les mêmes dangers existent qu'au temps d'Orwell, il s'en est même ajouté d'autres… le totalitarisme des fondamentalistes musulmans, qui est aussi un totalitarisme."
Pour Eric Hopsbaum, le récit est dépassé tant les obstacles à venir s’avéreront bien plus redoutables : "Je dirais que le grand danger actuellement n'est plus le totalitarisme tel qu'il était en 1948 mais ce qui pourrait accélérer, c'est une rechute dans un Moyen-âge et dans la barbarie, la Troisième Guerre mondiale ou l'éclatement aigu du nucléaire."
Livre visionnaire ou simple satire de son époque ? Ce qui est certain, c'est que sept décennies après sa parution, 1984 reste un livre incontournable qui semble résonner plus que jamais avec nos problématiques liées à l'évolution de nos sociétés hyper-connectées et à la montée des populismes dans le monde.
Le roman dystopique est entré dans la Pléiade, la célèbre collection de Gallimard, en juin 2020.
Pour aller plus loin
Apostrophes : Milan Kundera, ses réserves pour l'oeuvre d'Orwell (27 janvier 1984)
Apostrophes : Simon Leys : le rapport de George Orwell au socialisme. (27 janvier 1984)
La notion de "Big brother" en vidéos
Écoutes téléphoniques et espionnage (Playlist)
Interview d'Aldous Huxley, auteur du roman Le meilleur des mondes, par Claudine Chonez sur l'évolution de la société. (Inter actualités de 12h30, 26 juillet 1961, Audio)
Florence Dartois