Le 30 mars 1976, Jeanne Moreau ouvre les portes de sa maison à l'émission Aujourd'hui madame. Amoureuse des couleurs, l'actrice a fait peindre ses plafonds en bleu, en référence au "ciel mexicain" ou en vert, couleur des "cœurs de laitues" qu'elle affectionne. "'C'est un peu comme un royaume une maison. C'est un lieu qui vous ressemble".
"Ça vous parait moderne parce que à la ville tout se salit très vite donc je voulais des choses très, très nettes pour être faciles à entretenir [...] on a un peu la hantise de la poussière donc quand c'est net, on voit très bien où elle est. Il n'y a pas de recoins où elle peut se loger. A la campagne, c'est pas pareil".
"Il y a beaucoup d'objets qui passent ici et qui ne restent pas longtemps"
Jeanne Moreau est une collectionneuse dans l'âme, elle avoue d'ailleurs, "les objets, je les aime parce que quelquefois, ils m'ont été offerts ou bien un objet me fait plaisir à cause de sa forme. J'ai eu des périodes où j'ai collectionné les œufs, d'ailleurs il y en a ici. Et puis après, j'ai collectionné des canards mais je n'aime pas en avoir trop ici. Et quand quelqu'un vient à la maison et me dit : oh, cet objet, qu'est-ce qu'il est beau et qu'il le touche. J'aime bien donner. Donc, il y a beaucoup d'objets qui passent ici et qui ne restent pas longtemps. Sauf ceux qu'on me donne. Je ne donne pas ceux qu'on m'a donnés".
Dans un coin de son salon trône un siège de tournage siglé Elia Kazan, Jeanne Moreau raconte l'histoire de cet objet : "ça, c'est un cadeau qu'on m'a donné la semaine dernière. En effet, au mois de novembre j'ai tourné à Hollywood, au studio Paramount avec Kazan et je m'asseyais toujours sur sa chaise. Il m'a dit : puisque tu l'aimes, près la fin du film, je te l'enverrai. Il me l'a envoyé en cadeau. Ça c'est un souvenir de cinéma".
Plus loin, un étrange œuf attire l'attention, "j'ai une mappemonde russe que j'aime beaucoup, parce qu'elle est en forme d'œuf. Avec un sourire mutin, elle ajoute, "tout d'un coup, d'imaginer que la Terre n'est pas ronde alors que tout le monde nous l'a dit et qu'on le sait. Ça met un petit peu de fantaisie. Tous les continents sont étirés, je la trouve belle". Un autre objet étrange retient son attention, "et puis, il y a un petit objet là, un œuf et une poule de Fabergé. C'est un objet assez rare, assez précieux qui m'a été donné par Pierre Cardin. Non seulement il est beau, mais j'aime beaucoup les poules, les coqs, j'en ai à la campagne".
Jeanne Moreau possède aussi des objets pratiques mais tout aussi délicats que le reste de sa collection, "Et puis, il y a un petit nécessaire de couture. J'aime bien broder et il est particulièrement délicat. Il n'est pas seulement là pour la décoration. Quand je pars dans le Midi, je l'emmène et je m'en sers".
La journaliste lui demande ensuite la pièce de ma maison qui compte le plus pour elle, "c'est la cuisine ! affirme-t-elle, je suis très méticuleuse pour la batterie de cuisine, précise-t-elle. J'aime beaucoup faire à manger. Anna aussi, cette femme qui vit avec moi. Et mes amis, j'aime qu'ils sachent qu'ils peuvent manger à quelque heure qu'ils viennent".
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La journaliste interroge Anna, la dame de compagnie de l'actrice, en plein confection d'une pâte à tarte. Elle vit avec Jeanne Moreau depuis 19 ans. "C'est une femme qui a beaucoup de cœur, très intelligente et qui a bon fond. J'y suis très attachée. Plus que des amis, la famille si vous voulez", confie-t-elle.
"Au moins, pendant que je vis, que mes amis vivent, au moins qu'on s'en serve !"
La caméra s'attarde ensuite sur ses verres et assiettes, "moi tous les objets, c'est pour s'en servir… une assiette, c'est pour manger dedans. Il y en a qui me disent : eh mais si je la casse ! Si elle a 200 ans, je dis : moi j'en ai rien à foutre, je ne vivrai pas tout ce temps-là. Au moins, pendant que je vis, que mes amis vivent, au moins qu'on s'en serve" !
"Je lis vraiment par goût et par nécessité"
Plus tard, assise à son bureau installé dans sa chambre, son lieu de travail, elle évoque son "désordre organisé", ses nombreux livres et décrit son attachement aux ouvrages, "j'étais une enfant à la santé fragile et je passais beaucoup de temps couchée, des convalescences, des trucs comme ça, et j'ai fait beaucoup d'études par correspondance. Et pour me récompenser si j'avais bien travaillé, on me demandait ce que je voulais. C'était les livres. Je lis vraiment par goût et par nécessité. Il y a des gens qui, je ne sais pas moi, ont envie de manger des bonbons, moi j'ai besoin de lire. Ecrire est une chose assez pénible pour moi qui suis nouvelle, alors j'ai besoin d'isolement et la chose qui me provoque le plus, c'est la lecture. Alors je cherche un livre qui soit particulièrement beau, que j'ai déjà lu ou pas, et à ce moment-là, ça me met dans un état d'exaltation et alors que ça devrait me rendre modeste, ça me pousse à écrire"...
Florence Dartois