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La révolution des œillets au Portugal : ce qu'il s'est passé à partir du 25 avril 1974

La révolution des œillets au Portugal : ce qu'il s'est passé à partir du 25 avril 1974

Portugal, 25 avril 1974 : menée par le général Spínola, la junte militaire prend le pouvoir et renverse la dictature. C’est la révolution des œillets. Après 50 ans de régime autoritaire, le pays aspire à l’ouverture de la vie politique. Retour en images sur ces événements.

Par Romane Laignel Sauvage et la rédaction de l'INA - Publié le 17.04.2014 - Mis à jour le 25.04.2024
 

À la télévision française le 25 avril 1974.

« Le profond malaise perceptible depuis longtemps dans la vie politique portugaise a aboutit à 5 h à une crise aiguë : les chars ont pris position à Lisbonne ». 25 avril 1974 : à la télévision française, le journal de 13 h annonçait le renversement du pouvoir autoritaire en place au Portugal depuis plus de 40 ans. « Dans un communiqué publié ce matin à 11 h à Lisbonne, le commandement du Mouvement des forces armées (MFA), c'est-à-dire des putschistes, annonce qu'ils contrôlent presque entièrement la situation », pouvait-on entendre dans cette archive disponible en tête d'article.

Si la situation était désormais calme à Lisbonne, elle n'était « pas encore tout à fait claire ». Le journaliste annonçait la reddition du gouvernement et la formation d'un gouvernement provisoire. Celui-ci devait rester en place jusqu'à l'organisation d'élections libres. « Les libertés démocratiques vont être rétablies. Une longue page de l'histoire du Portugal est ainsi tournée. »

Après l'exposé des faits les plus récents, le journaliste revenait sur la longue période de tensions que le Portugal venait de traverser. Après 36 ans de règne sans partage sur le Portugal, António de Oliveira Salazar avait été contraint d’abandonner le pouvoir en 1968, affaibli par la maladie. Président du Conseil depuis 1932, Salazar avait instauré l’Estado Novo, un régime nationaliste et autoritaire sans place pour l’opposition politique. Salazar désigna Marcelo Caetano, un homme de confiance, comme successeur.

Sous l'autorité de Salazar, déjà, le pays dédiait une grande partie de son budget aux guerres coloniales africaines. « Un bourbier » dont Marcelo Caetano n'avait pas réussi à sortir. Exsangue sur le plan économique, le Portugal envoyait de surcroît ses plus jeunes citoyens effectuer un service militaire d'au moins deux ans. Le Portugal engageait sa population et son armée professionnelle dans des guerres qui ne finissaient pas.

À cette situation particulièrement explosive s'était ajoutée la « bombe Spínola », disait le 13 h. « Ce général portugais, héros des guerres coloniales écrivait dans un livre intitulé Le Portugal et son avenir, nous n'y arriverons pas par la force, organisons l'autodétermination dans les provinces d'Afrique ». Il avait alors été limogé. À date, rien n'indiquait le rôle de Spínola derrière le putsch du 25 avril, précisait l'archive.

La révolution des œillets en archives.

1969 : la guerre coloniale fait rage. 25 000 soldats portugais luttent contre les guérilleros de Guinée-Bissau. Cette année-là, « Point Contrepoint » faisait le portrait d'un territoire en guerre. Dans ce reportage aux côtés des Portugais et disponible ci-dessous, on rencontrait António de Spínola, général salazariste. « La situation politique en Guinée est semblable à celle des autres territoires portugais. La population dans leur grande majorité est dans la décision ferme de maintenir et intégrer dans l'ordre politique la nation portugaise », assurait-il dans un français difficile. Et de garantir, en réponse aux accusations de violences auxquelles faisait face à l'armée portugaise, la volonté de « ménager la population » guinéenne.

Guerre en Guinée
1969 - 13:49 - vidéo

Attention, certaines images peuvent être dures.

1974 : l'opposition grandit

Le changement de mentalité est en marche. L’opinion portugaise réclame une solution politique à la guerre. 280 000 « pères, maris ou fils » sont engagés dans le conflit. Les étudiants contestataires sont envoyés en Guinée, là où les combats sont les plus durs. Une division apparaît au sein de l’armée. En parallèle, la crise économique touche le pays. Les prix montent en même temps que la colère des Portugais. La guerre dans les colonies représente 42 % du budget.

Au même moment, l’empire colonial portugais aspire à l’indépendance : Mozambique, Angola, Cap-Vert, les tensions montent et l’armée portugaise s’enfonce dans la guerre coloniale. Mais le gouvernement de Marcelo Caetano refuse d’abandonner ses territoires africains (ce sont avant tout ses intérêts économiques que Lisbonne souhaite conserver). Le coût de la guerre et la mobilisation des jeunes accroissent le mécontentement de la population déjà crispée par les problèmes économiques.

Dans l'archive ci-dessous, le « Magazine 52 » s'attachait à décrire la politique du successeur d'António Salazar, entre libéralisation et maintien de l'autoritarisme. Face à lui, l'opposition grandissait sur fond de guerre coloniale, d'émigration économique et politique. « N'oublions pas que notre vocation a toujours été atlantique, nous sommes un pays de marins. (...) Nous avons notre cœur un peu réparti par le monde », argumentait en français Marcelo Caetano auprès des journalistes français.

Portugal : la politique de Marcelo Caetano
1973 - 04:10 - vidéo

Début 1974, António de Spínola publiait « Portugal e o Futuro » (Le Portugal et l'avenir). Il y dénonçait « la guerre d'outremer au Mozambique, en Angola et en Guinée », racontait le journaliste français Ladislas de Hoyos depuis le Portugal. « Une guerre qu'il dit être inutile, qui aura en un peu plus de dix ans bloqué l'expansion du pays et coûté quelque 50 % du budget national. » Quelques jours après la sortie de son livre, Spínola avait été limogé.

Interview du Général Spinola
1974 - 03:13 - vidéo

Dans l'archive ci-dessus, il s'exprimait pour la première fois, interrogé par les journalistes français. Loin de souffler sur les braises, il disait : « Il n'y a aucune divergence de fond sur la conduite politique. » Puis de garantir être toujours au service du pays et ne pas avoir d'ambitions politiques.

25 avril 1974 : le coup d'État

Le 25 avril, quelques minutes après minuit, la chanson portugaise Grândola, Vila Morena était diffusée à la radio. C'était le signal choisi par les militaires du Mouvement des Forces Armées (MFA) pour lancer un putsch contre l'Estado Novo de Caetano. Le MFA occupa progressivement les points vitaux de Lisbonne et de Porto. Vers 4 h 30, le poste de commandement du Mouvement des Forces Armées demandait à la population de rester chez elle. Représentant du MFA, le général Spínola recevait la reddition de Marcelo Caetano. En quelques heures, la dictature avait été renversée.

À Lisbonne, la foule est en liesse, le putsch de la junte était devenu révolution populaire. Les prisonniers politiques étaient libérés. Partout, on fêtait la liberté retrouvée, œillets rouges à la main, le symbole désormais de ce 25 avril. Dans la foule, les revendications sociales se multipliaient : liberté syndicale, la fin de la guerre coloniale. Le Parti socialiste portugais, exilé à Paris, donnait son appui aux militaires. Mario Soares, secrétaire général, énumérait dans l'archive ci-dessous les défis de la transition à venir au Portugal.

Avril 1974 : le retour des exilés politiques

De retour d’exil, Mário Soares était accueilli par la foule qu'il salue dans une séquence rapportée dans l'archive ci-dessous. Il rencontrait au ministère de la Défense le général Antonio Spínola, leader du mouvement des Forces armées (MFA) et assurait : « Nous allons aider la junte dans la mesure de nos possibilités pour le rétablissement des libertés et pour un terme rapide à la guerre coloniale. » Le secrétaire du Parti communiste Alvaro Cunhal suivait de près Soares et rentrait à son tour d'exil le 30 avril.

Reconstruire la stabilité

Spínola fut choisi pour exercer la charge de président de la République. En juillet 1974, un nouveau gouvernement était constitué autour de Vasco Gonçalves, membre du MFA. Parmi les ministres, les leaders des principaux partis portugais tels que Mário Soares et Alvaro Cunhal. Ce dernier se montrait confiant, la présence de militaires en grand nombre était une « garantie ».

En août, comme l'annonçait ci-dessous le JT de 20h, les Guinéens signaient leur indépendance vis-à-vis du Portugal.

Le 30 septembre 1974, le général Spínola, « l'homme au monocle », démissionnait. Francisco da Costa Gomes devenait le nouveau président. Après l’euphorie venait le temps de la reconstruction. Il fallait réorganiser le pays. Communistes, socialistes, militants catholiques de droite, tous désiraient le pouvoir. Une période de transition avec des accents de guerre civile s'installa.

Interrogé par Antenne 2 dans l'archive ci-dessous, François Mitterrand demandait aux commentateurs français de la patience. « Depuis moins d'un an, il faut bien que ce pays, après ce formidable traumatisme de la dictature d'un demi-siècle, retrouve son équilibre ».

Prévue pour le 12 avril 1975, l’élection de l’assemblée constituante était finalement retardée au 26. À l'été, le Portugal entrait en guerre civile. Les communistes occupaient les locaux du journal socialiste « Republica », comme on l'entend dans l'archive ci-dessous. Par ailleurs, des catholiques de droite manifestaient contre la gauche et les militaires.

Le point au Portugal
1975 - 01:12 - vidéo

Nomination d’un triumvirat de généraux

Fin juillet 1975, un triumvirat de généraux était nommé. Le président Costa Gomes, le Premier ministre Vasco Gonçalves, et le chef de la sécurité militaire Otelo de Carvalho se partagèrent le pouvoir. Les partis furent relayés au second plan. La démocratie parlementaire était abandonnée. L'archive ci-dessous faisait état de la situation politique au Portugal.

Et enfin la démocratie

Une insurrection le 25 novembre 1975 met fin à quasiment deux ans de processus révolutionnaire et à l'influence des militaires sur la vie politique portugaise. Deux ans jour pour jour après le coup d’État du 25 avril, les Portugais furent appelés aux urnes pour élire 263 députés. Le scrutin marqua le retour de la droite et du centre droit. Une politique de coalition fut obligatoire.

Enfin, le 14 juillet 1976, le candidat de la coalition, le général Eanes, devenait le premier président de la IIIe République portugaise. Nommé Premier ministre, le socialiste Mario Soares gouverna avec difficulté. Le Portugal entre cependant dans une nouvelle ère marquée par des changements sociaux profonds et d'importantes évolutions économiques.

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