Le 16 juin 1974, au cours de l'émission « La France défigurée », les téléspectateurs découvrent une nouvelle thématique, appelée à prendre de plus en plus de place au fil des ans dans le débat public : l'économie d'énergie. Le mot est lancé par Claude Guillemin, du Bureau de recherches géologiques et minières (un service de l’Etat fondé en 1959 et chargé de la gestion des ressources naturelles). Nous sommes alors neuf mois après la survenue du premier choc pétrolier, en octobre 1973. Les Français – et plus généralement les Occidentaux – découvrent les limites d’une économie gourmande en énergie, principalement fournie par le pétrole.
C’est la fin des Trente Glorieuses, cette époque de grande croissance économique durant laquelle on mesurait avec fierté la richesse des pays à l’aune de ses productions matérielles – et de ses déchets. Car les sociétés industrielles des Trente Glorieuses auront érigé jusqu’alors comme quasi religion le principe du tout jetable.
Crise géopolitique
Avec le choc pétrolier de 1973, les producteurs de l’or noir, regroupés depuis 1960 dans l’organisation de l’OPEP, restreignent drastiquement leur production. Principalement Arabes, les producteurs de l’OPEP entendent utiliser l’arme du pétrole dans le contexte de la guerre du Kippour qui oppose Israël à l’Egypte, à la Jordanie et à la Syrie. Panique dans les pays occidentaux : le coût de la vie monte en flèche, la production industrielle fléchit, le chômage explose…
Economiser l'énergie
Selon Claude Guillemin, si l’énergie manque, on va donc l’économiser. Avec pour commencer, le principe du « recyclage, qui certes consomme de l’énergie, mais relativement peu par rapport à ce que coûte l’énergie pour sortir le produit de base du minerai ».
Le principe d’un changement de système économique paraît donc acté, mais combien de temps cela prendra-t-il ? Selon le même Claude Guillemin, « s’il y a une guerre, cela prendra un an, sinon vingt, trente ans, cela dépendra des crises, de la façon dont les gens sont sensibilisés… ». Et de conclure en imaginant que « la différence entre le monde que nous avons actuellement et celui que nous aurons d’ici vingt ou vingt-cinq ans […] sera considérable ».
Une prédiction qui se révélera malheureusement bien trop optimiste, surestimant la capacité de nos sociétés à changer de système économique et à prendre véritablement conscience des risques que font peser nos modes de vie sur la santé de la planète.
En France, la principale réponse économique qui est donnée au choc pétrolier sera en effet le « tout nucléaire ». En permettant la production d’une électricité à bon marché, l'énergie atomique permettra le rétablissement de la production industrielle et la perpétuation de l'objectif d'une croissance économique comme réponse aux problèmes de la société.
Un verre d'eau précieuse
Malgré cela, la prise de conscience de l’impossibilité de perpétuer indéfiniment un système économique basé sur la détérioration des ressources naturelles commence lentement à faire son chemin. C’est justement en 1974, que pour la première fois dans une élection présidentielle, un candidat se présente sous l’étiquette écologiste.
L’un des spots de campagne de René Dumont est resté célèbre : un verre à la main, il boit « l’eau précieuse », alertant ses concitoyens « qu’avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera ».
René Dumont n’obtiendra que 1,32% des votes au premier tour de l'élection présidentielle de 1974. Malgré son échec cuisant, René Dumont aura participé au frémissement d'une (lente) prise de conscience des Français face à l'urgence écologique.