Devant les caméras du très branché magazine Dim Dam Dom, les éternels tourtereaux s'amusaient à déconstruire l'image de leur couple idéal. Ce 23 octobre 1966, le magazine consacre un long sujet à ce couple mythique. Lorsque la journaliste demande à Elsa Triolet ce qu'elle ressent d'avoir été la muse exclusive d'Aragon, elle répondait mutine.
"Ce n'est pas la poésie qui me donne l'impression d'être aimée, c'est le reste. C'est la vie".
"Je ne suis peut-être pas très partageuse."
"Les lecteurs de ces poèmes, ils s'attendent à ce que j'ai 20 ans éternellement. Je ne peux pas satisfaire ce besoin de beauté, de jeunesse qu'il y a chez le lecteur. Eh bien, je me sens coupable et ça me rend malheureuse". Elsa Triolet évoque ce qu'elle trouve "terrible" dans sa propre poésie, "ce n'est pas pour moi seule !", mais elle avoue cultiver une part de mystère dans d'autres textes "où moi je sais de quoi il s'agit et où ça reste secret pour les autres. Je ne suis peut-être pas très partageuse."
"Il se diminue toujours par rapport à moi..."
Louis Aragon disait d'elle qu'elle "était l'aventure intellectuelle de sa vie", son influence sur l'oeuvre d'Aragon, qui se considère être comme l'ombre de sa pensée depuis leur rencontre, ça l'énerve et devant la caméra elle laisse percer une pointe d'agacement : "il a tort, il me fait du tort... Il se diminue toujours par rapport à moi, ça fâche les gens et ils ont raison !"
"Je sais que j'ai beaucoup fait, mais ça s'est fait comme ça car nous sommes faits l'un pour l'autre. J'ai beaucoup influencé ses écrits. Il m'en est très reconnaissant je crois, parce que c'est allé au bout du compte dans le sens où il voulait que ça aille et qu'il y avait un moment où il avait beaucoup de mal à se trouver. Il avait complètement perdu son chemin en tant qu'écrivain et de m'avoir à côté de lui, je le dis sans fausse modestie, a probablement été comme un chemin balisé. Et il veut toujours me remercier pour cela. Il n'arrête pas de me remercier".
Le mystère toujours et encore...
Elsa Triolet a semble-t-il toujours cultivé une part de mystère pour son mari. Louis Aragon avoue même ne pas connaître Elsa, "Je pense toujours qu'Elsa m'échappe".
Elsa, elle, se souvient avec précision de chaque instant passé avec son poète. Elle évoque avec une certaine volubilité leur rencontre et son apparence à l'époque "extraordinairement brun, très mince et un peu trop beau... ce qui lui donnait des allures de gens qu'on rencontrait dans les dancings... La 1ère fois que j'ai rencontré Louis, il était habillé de noir et son costume était tout à fait luisant, comme un piano".
A la Coupole, le poète raconte à son tour leur rencontre, dans ce même lieu, trente ans plus tôt. Le couple d'inséparables rejoue même la scène : "tu es entrée par cette porte battante et nous ne nous sommes plus quittés de toute la vie".
Egalement proche du poète Vladimir Maïakovski, la romancière Elsa Triolet a joué un rôle important dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Elle sera la première femme à obtenir le prix Goncourt.
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