L'acteur de théâtre et de cinéma Michel Simon, célèbre pour son rôle dans L'Atalante de Jean Vigo, était un amoureux de la nature. En 1965, entre Noël et le jour de l'An, la télévision française avait diffusé un entretien intimiste du comédien, réalisé par Claude Santelli. Plutôt misanthrope et connu pour vivre en ermite, entouré de ses animaux, l'acteur avait tout de même accepté de recevoir le réalisateur chez lui, dans sa maison de Noisy-le-Grand en Seine-Saint-Denis.
Alors qu'en cette période festive, on aurait pu s'attendre à un dialogue léger et optimiste, les spectateurs découvraient un homme profond, inquiet de l'évolution du monde industriel et de ses conséquences nocives sur la nature. Loin d'être hermétique à la société, le comédien discret dévoile ici un sens aiguisé de l'observation qui le mène déjà à un constat sans appel. Celui de la fin proche des animaux, et par voie de conséquence, de la nature et de l'homme.
En termes crus et sensibles, ce « Cassandre » délivrait un message quasi prophétique sur l'avenir de l'humanité : « La prolifération de l’être humain, c’est pire que celle du rat. C’est effroyable. Les bêtes sont merveilleuses, car elles sont en contact direct avec la nature. Ce qui aurait pu sauver l’humanité ça aurait pu être la femme, parce qu’elle est encore en contact avec la nature. Elle échappe aux lois, aux imbécillités émises par les anormaux. Elle est encore en contact avec la nature, mais elle n’a pas droit au chapitre. »
« Les animaux vont disparaître »
Claude Santelli interrogeait cet oiseau de mauvais augure : « Et les animaux alors ? » Pour l'artiste, tout était malheureusement déjà joué : « Les animaux vont disparaître. Il n’en restera plus bientôt. En Afrique, c’est l’hécatombe permanente. Quand je suis venu ici, j’avais une trentaine de nids d’hirondelles. L’année passée, j’ai eu deux nids d’hirondelles et pour la première fois, j'ai ramassé une hirondelle qui était tombée de son nid qui était si pauvrement alimentée... »
Ce qui troublait dans la suite de son propos était sa lucidité quant aux dangers d'une science débridée au service d'un productivisme sans limites. Michel Simon décrivait en quelques mots percutants ce qui provoquera selon lui la fin de la vie sur Terre et que les scientifiques nomment aujourd'hui la « Sixième extinction ».
Avec une ironie désabusée, il concluait : « Grâce aux progrès de la science, la science chimique qui assassine la Terre, qui assassine l’oiseau, qui tue toute vie ! Qui assassine l’homme ! On s’en apercevra peut-être trop tard. "Grâce" à cela, il n’y a plus d’oiseaux. Ce parc, quand je suis arrivé en 1933, c’était merveilleux ! Le printemps, c'était une orgie de chants d’oiseaux. C’était quelque chose de merveilleux. Aujourd’hui il n’y en a plus. Je ramasse chaque printemps des oiseaux morts tombés du nid ou des oiseaux adultes qui ont mangé des insectes empoisonnés et qui meurent ! »
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